Didier Rimaud, tisserand de mots…

L’année 2022 marque le centenaire de la naissance du P. Didier Rimaud sj (1922-2003). Hymnes, chants ou poésies : qui n’a pas été touché, voire ébloui, à l’écoute des compositions de ce poète ? Le P. Pierre Faure sj, qui a longtemps collaboré avec Didier Rimaud, évoque la figure de ce chantre de Dieu qui a renouvelé le chant liturgique de langue française.

Didier Rimaud 2 Didier Rimaud était un artiste aux talents multiples, sensible et joueur, amoureux de beauté et de musique. Dès sa jeunesse, il peint des aquarelles, écrit des poèmes, sculpte le bois, collectionne des coquillages, passe du temps à improviser au piano, étudie le violon et, bien plus tard, apprend la guitare d’accompagnement pour chanter ses premières chansons, dont il écrit texte et musique. Il publie même deux disques ! Il devient jésuite à 19 ans. En stage au Collège de Marseille – il y sera surveillant et professeur de français –, il chante et accompagne un chœur d’enfants dans de nombreuses tournées par-delà les frontières. Toute sa vie, il servira le chant liturgique – au Centre national de pastorale liturgique, à la revue Église qui chante – et composera jusqu’à son dernier jour, à la veille de Noël 2003. Certains de ses cantiques sont devenus des classiques des assemblées : Si le Père vous appelle, Que tes œuvres sont belles, Au cœur de ce monde

Fais paraître ton jour

Pour dire en peu d’espace ce que je retiens de l’œuvre écrite de Didier, j’évoquerais la litanie Fais paraître ton jour. Texte sans égal dans l’œuvre du poète, comme dans le chant liturgique en langue française, écrit pour le Congrès Quelles musiques à l’église ? (Paris, 1977).

Voici la première strophe et le refrain :

Par la croix du Fils de Dieu
Signe levé
Qui rassemble les nations,

Par le Corps de Jésus Christ
Dans nos prisons,
Innocent et torturé,

Sur les terres désolées,
Terres d’exil,
Sans printemps sans amandiers,

Fais paraître ton Jour
Et le temps de ta grâce,
Fais paraître ton Jour,
Que l’homme soit sauvé

Pourquoi ce chant est-il sans égal ? Parce qu’il est tellement centré sur le mystère pascal du Christ – ce chemin qui passe par la mort pour entrer dans la vie – qu’il peut être chanté pour unifier le parcours de la liturgie des jours saints, du vendredi à Pâques. Un texte bien bâti, on pourrait le nommer « tapisserie », mieux que litanie. D’abord le refrain, puissant, adressé à Dieu, tire l’ensemble du texte. Puis six strophes qui illustrent, appuient et nourrissent la force de la demande du refrain, très bien mise en valeur par la mélodie de Jacques Berthier. La septième strophe, enfin, chantée entièrement sur le mot Alléluia, est saturée par la victoire de la résurrection ! Chaque lecteur attentif et patient pourra découvrir, dans le détail des mots, comment est tissée finement la tapisserie. Il y découvrira comment sont nouées subtilement la croix et la résurrection du Christ avec le monde où nous vivons.

Didier Rimaud

Une partition originale tirée d’un carnet manuscrit. © Archives jésuites de Vanves

La croix est toujours qualifiée positivement (signe levé, fleuve de paix…), comme si elle était vue depuis la résurrection. Paradoxalement, le corps de Jésus Christ est souffrant dans les premières strophes et positif dans les dernières ; le monde, enfin, est d’abord désolé dans les strophes 1, 3 et 4, et positif dans les autres strophes. Ces tensions et oppositions (mort/vie) ne se résolvent que dans le refrain : « Fais paraître ton Jour… » Enfin, dans la strophe 6 apparait l’acclamation Alléluia (Louez Dieu) dans chacun de ses trois membres, et la strophe 7, chantée entièrement sur le mot Alléluia, est saturée par la victoire de la résurrection ! Les strophes 6 et 7, évidemment, ne se chantent pas le vendredi saint !

Au Centre spirituel de La Baume à Aix-en-Provence, dans les années 80, ce chant était réservé aux jours saints, comme un signal au sommet de l’année liturgique. Des adolescents, assidus à ces célébrations, puis devenus plutôt « mal croyants », n’ont pas hésité à demander que ce chant soit chanté pour les funérailles de leur père, mort subitement. Ils avaient compris…

Talent discret

Dans un autre registre, c’est dans l’anonymat que Didier Rimaud participe à la colossale traduction du latin vers le français des rituels liturgiques catholiques, à la suite de la réforme de Vatican II.

Il est moins connu que Rimaud écrivit aussi dans un cadre plus large que celui de la liturgie catholique. En témoigne le texte suivant, mis en musique par Roger Calmel, qui a obtenu le 1er Prix au Concours « Le choral des Choralies », organisé par le mouvement À cœur Joie en 1992.

Nuit de Grande Ourse et de velours,
Nuit de cigale et de grillon,
Nuit constellée d’oiseaux de nuit,
Nuit de lucioles tout en feu,
Nuit des collines toujours en travail,
Nuit des racines fouillant la terre,
Nuit de la graine encore au fruit,
Nuit des sillons où sommeille la vie,
Nuit de l’origine avant le temps,
Nuit où s’engendre les matins,
Nuit qui dit à la nuit,
Sans un mot sans un cri
Le mystère de l’homme en attente de naître.
Nuits ! Ô nuits !

Enfin, fait peu connu du grand public, davantage dans les conservatoires de musique et les chœurs d’enfants : Didier Rimaud a écrit plusieurs contes pour chœur d’enfants, dont trois ont été mis en musique par Roger Calmel : L’enfant musique (1984), Le berger de Lumière (1986) et Les chants de la mer.

En terminant, pour le plaisir… une comptine !

La feuille

Vivante,
je danse ;
et morte,
je vole.

Hommages au P. Didier Rimaud sj

Jusqu’au bout, Didier Rimaud aura servi le chant liturgique, et certains de ses cantiques sont aujourd’hui des  » classiques  » des assemblées du dimanche : Fais paraître ton jour, Que tes œuvres sont belles, Au cœur de ce monde, Si le Père vous appelle… Il avait confié quelques jours avant sa mort à l’un de ses proches : « Je me prépare à aller chanter avec mes amis Jacques Berthier, Christian Villeneuve et Patrice de La Tour du Pin. Mais écrire est aujourd’hui pour moi devenu d’un autre monde. »

Didier Rimaud appartenait à une famille lyonnaise de bourgeoisie militaire. À Carnac, où il est né et dont il a parcouru les plages depuis la maison familiale,  » Didier était fasciné, se souvient encore Pierre Faure, « par le bruit des vagues qui était pour lui le plus ancien bruit du monde. Si l’entrée de Didier Rimaud dans la Compagnie de Jésus juste après le bac et des années de scoutisme correspondait à une trajectoire classique et conforme à son milieu social, il n’a pas le goût ni le profil du travailleur intellectuel forcené. Qu’importe, Didier a d’autres cordes à son arc, ou plutôt sa guitare !

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Mieux connaître et lire…. Didier Rimaud

  • rimaud Michel Rondet sj et Pierre Faure sj, Que tes œuvres sont belles ! Prier avec les hymnes de Didier Rimaud sj, Éditions Vie chrétienne, 2018, n°588. > En savoir +
    L’essentiel des textes du P. Rimaud pour le chant liturgique et des poèmes et chansons se trouve dans trois volumes, aux Éditions du Cerf : Anges et grillons (2008, 209 p.), À force de colombe (2007, 269 p.), À l’enseigne de Pâque (2007, 312 p.).
  • Les contes pour enfants et autres comptines : Les Contachanters, Éditions Saint-Augustin, 2006, 191 p.

P. Pierre Faure sj,
Communauté Pedro Arrupe à Vanves

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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