« L’Esprit souffle où il veut » : récit d’un jésuite en Syrie
Le P. Vincent de Beaucoudrey est en mission au Proche-Orient depuis 2016. D’abord envoyé à Beyrouth, il est aumônier de jeunes en Syrie depuis quelques années. Il raconte le difficile quotidien des Syriens confrontés à une crise économique extrême.
Point sur la situation en Syrie
Il y a deux ans, je me suis retrouvé aumônier de jeunes en Syrie, au milieu des ruines de la guerre et d’une crise économique. Depuis, chaque mois, nous croyons avoir touché le fond et, pourtant, nous descendons encore… il faut maintenant 3 500 livres syriennes pour un dollar. La valeur de la monnaie a quasiment été divisée par dix depuis mon arrivée il y a deux ans. Au moment où vous lisez cet article, nous aurons probablement encore perdu encore un peu de pouvoir d’achat.
Il ne faut certes pas s’inquiéter pour les jésuites eux-mêmes, mais pour tous ceux qui voudraient vivre de leur travail quand les soutiens sont si souvent dérisoires. Certains se réjouissaient, la semaine dernière, d’être augmentés de 5 000 livres avant de réaliser que cela ne fera bientôt qu’un dollar !
Dans ce climat d’incertitude, il arrive que les boutiques ferment car elles ne savent pas à combien vendre. Les queues devant les stations-service rythment les routes (les files font souvent plus d’un kilomètre et il faut parfois 24 heures pour pouvoir acheter quarante litres d’essence). Suite au blocage du canal de Suez en mars, la situation était plus simple : il n’y avait pas d’essence ! Le pain subventionné devient difficile à trouver…
Désintérêt de la communauté internationale
Et pourtant, la Syrie n’attire plus tellement l’attention… comme si la presque fin des combats avait résolu les problèmes de la vie quotidienne.
D’une manière qui échappe complètement à mon entendement, les jeunes chrétiens de Homs ne meurent pas encore de faim, malgré les salaires ridiculement bas et le taux de chômage important.
Pourtant, la vie n’est plus la même. En deux ans, le sandwich est passé de menu quotidien de beaucoup d’étudiants à plat de fête. Les jeunes hommes avaient déjà envie de quitter le pays, cela devient une préoccupation de chaque jour. Comme le passeport syrien partage avec les passeports afghans et irakiens ce statut peu envié de passeports « les moins puissants », voyager est une gageure.
Le Covid change à peine nos vies tant cela paraît dérisoire face à l’ampleur des problèmes (en fait, il les change indirectement, car la fermeture des frontières est un des paramètres de la crise).
Que devons-nous faire, comme jésuites ?
Revenir à une aide d’urgence, comme au temps de la guerre ? Nous en sommes bi en incapables et aider ponctuellement est difficile car cela crée des injustices nécessairement publiques. Aider ceux qui le veulent à voyager ? Ils sont si nombreux, et est-ce rendre service au peuple ? Je n’oserais pas décourager un jeune qui veut partir, mais je ne me sens pas de l’encourager non plus.
Alors que me reste-t-il ? Au risque d’être moi aussi dérisoire, continuer le catéchisme, augmenter nos activités pour « vivre ensemble » tout ce qui est possible, rester avec eux pour leur dire qu’ils comptent…
Ce qui m’impressionne le plus, c’est que les jeunes répondent : ils s’enthousiasment et ne se laissent pas abattre. Nous enchaînons les week-ends à la campagne et les fêtes… décidément, l’Esprit souffle où il veut.
Vincent de Beaucoudrey sj