Le P. Guy Cossée de Maulde sj, co-fondateur du Centre Avec à Bruxelles avec le P. Jean Marie Faux sj, est chargé d’analyse et d’animation au Centre Avec. Pour la revue En Question éditée par le Centre Avec, il livre son témoignage retraçant les grandes lignes de sa vie : les liens et les relations qui font vivre et dont il faut prendre soin, la recherche du bien commun, l’importance du politique, l’exigence du discernement… 

Guy Cossée de Maulde Centre Avec « Quel est ton parcours de vie engagé ? » À une telle question, il est délicat d’apporter une réponse qui ne soit prétentieuse. Mais, puisqu’elle est sincèrement posée, il serait malhonnête de s’y soustraire.

S’efforcer d’y répondre, avec la même sincérité, c’est même l’occasion d’exprimer sa reconnaissance, car ce qu’on est et devient doit tellement à celles et ceux que nous entourent, à la société dans laquelle nous vivons… C’est aussi partager simplement ce qui fait sens dans notre vie.

Mon enfance s’est déroulée dans un petit village, Maulde près de Tournai. À une époque marquée par la crise économique de l’entre-deux-guerres et par la deuxième guerre mondiale. Dans une famille aimante – Édouard et Émilie, mes parents, une fille et quatre garçons. Sans vraiment souffrir des circonstances de l’époque, même si en 1940 nous avons vécu l’ »évacuation » et ses angoisses, même si, pendant des années, il a fallu recueillir dans des bassines l’eau qui traversait la toiture de la demeure familiale jusqu’au jour où un improbable héritage permit de remplacer toutes les ardoises de celle-ci… C’est dans ce contexte familial, simple et heureux, que l’enfant que j’étais – plutôt colérique – a grandi.

Naissance d’une vocation

À l’âge de 9 ans (septembre 1944, nous venions d’être libérés de l’occupation allemande), je suis devenu pensionnaire dans le collège que les jésuites tenaient à Tournai. Un parcours scolaire paisible. Dès 12-13 ans, j’ai senti naître en moi le sentiment que je devais devenir prêtre. D’où cela pouvait-il venir ?  Je ne sais trop. Pas du collège à proprement parler, même s’il était un milieu favorable. Peut-être de l’atmosphère familiale où la foi chrétienne se vivait de façon fort simple. Quoi qu’il en soit, cette « idée » s’affermissait. Mais, lorsque j’en ai parlé à un professeur jésuite en qui j’avais confiance, je lui ai dit tout de go « prêtre, mais surtout pas jésuite ! » Celui-ci m’a simplement répondu : « Vois, mais il arrive que ce que l’on ne veut pas du tout, s’avère être le vrai choix à faire ». Une parole fort sage que j’aime à répéter : elle met en évidence que certaines réticences très fortes peuvent – c’est toujours à discerner – indiquer une crainte, un retrait à l’égard d’un engagement exigeant pourtant porteur de vie. Quelques mois plus tard, sentant que je vivrais fort isolé en devenant prêtre diocésain, je me suis dit qu’il valait mieux entrer dans une congrégation religieuse : sans trop le savoir, je commençais à découvrir l’importance de la communauté. C’est ainsi que je décidai de sonner à la porte des jésuites. Et, quand mon frère Charles m’annonça – j’avais alors 16 ans – qu’il entrait chez les jésuites, je lui ai répondu : « Tiens, moi aussi ». Et, depuis 1953, j’en suis heureux.

Être jésuite, être en chemin

Être jésuite, « compagnon de Jésus » (selon les perspectives de saint Ignace de Loyola, fondateur des jésuites), c’est un « cheminement » sans doute commun, mais propre à chacun.

De façon générale, ma démarche de foi est plutôt rationnelle. Si, par exemple, je suis persuadé que la part du cœur est essentielle dans nos vies, c’est parce que cela me semble tout à fait raisonnable. Si je crois en Dieu, en Dieu qui est Amour, c’est que – au travers des questionnements d’aujourd’hui comme d’hier sur la réalité de l’univers dont le mystère reste toujours à découvrir – l’explication la moins insatisfaisante, ayant le plus de sens, me paraît celle d’un être qui transcende les limites du temps comme de l’espace et est attentionné à l’égard de l’univers et de l’humanité. Si j’ai foi en Jésus Christ, c’est que ses paroles et ses actes, que je découvre à la faveur des premiers témoins de sa vie qui me paraissent crédibles (en particulier les Évangiles), m’amènent – au travers de mes interrogations – à reconnaître en lui Dieu qui se manifeste dans notre histoire humaine. Avec tout ce que cela signifie, toujours à découvrir, reconnaître et vivre… En sa compagnie.

Jésuite en formations

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Le P. Guy Cossée de Maulde sj au 50 ans du Centre spirituel jésuite de La Pairelle, près de Namur.

Mes quatre premières années de jésuite ont été très classiques : deux années de noviciat (pour discerner notre vocation), suivies de « candidatures » en philologie classique à Namur et au jury central (pendant mon service militaire comme brancardier). Lors des trois années de philosophie qui ont suivi, j’ai été particulièrement marqué par la rigueur de réflexion d’un Gaston Isaye, qui parlait volontiers de « la métaphysique des simples » (de l’homme de la rue ou même de l’enfant). Le cours de morale sociale a favorisé la prise de conscience de l’indispensable prise en compte à la fois du « personnel » et du « collectif » pour mener à bien nos vies dans le monde tel qu’il est. Transformer les structures sociétales selon les perspectives du bien commun, cela va de pair avec le travail de transformation intérieure… Autrement dit, j’ai davantage pris conscience de l’importance du politique, qui concerne les personnes et leur développement tout comme la société et son vivre-ensemble. Et, depuis lors, je ne cesse d’encourager à s’y engager.

Cette prise de conscience m’avait incité à explorer, pour le mémoire de licence en philosophie, la conception du parti communiste dans le marxisme-léninisme. Mais, surtout, elle a orienté fondamentalement ma mission de jésuite dans la sphère du social. C’est ainsi que, après une brève expérience de surveillant (éducateur) dans un collège jésuite à Bruxelles, j’ai repris en 1961 des années d’études, cette fois en économie : un an à Namur, deux à l’Université catholique de Louvain, en veillant à compléter les cours d’économie par des cours de sociologie. Le mémoire de licence portant sur l’entreprise et les conceptions qu’en ont d’une part les économistes, d’autre part les théoriciens de l’organisation. Ce travail m’a aidé à mieux appréhender la réalité de l’entreprise et de ce qu’elle devrait être avec ses parties prenantes : détenteurs de capitaux, personnel, clients, fournisseurs, société globale (locale mais aussi mondiale) dans laquelle elle s’insère – avec son rôle d’innovation en veillant à la poursuite du bien commun. En prenant en compte les exigences environnementales dont, dans les années 60, on n’était pas encore suffisamment conscient.

Les quatre années d’études théologiques (1964-1968), dans une maison de formation jésuite très cosmopolite, ont été marquées par le renouveau du Concile Vatican II (1962-1965) : voulu par le Pape Jean XXIII, le Concile nous faisait respirer l’air d’une Église se resituant dans le monde contemporain, solidaire de celui-ci, partageant « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent ». Une Église  » Peuple de Dieu », une Église qui se remet sur ses pieds : où est remise en évidence l’importance fondamentale des baptisé(e)s, leur rôle, leur responsabilité dans la mission de vivre et partager humblement la bonne nouvelle de Jésus Christ. En étant « prêts à rendre compte de l’espérance qui nous habite, avec douceur et respect » (1ère lettre de Pierre, 3, 15-16).

Parmi les professeurs, j’ai particulièrement apprécié le P. Jean Marie Faux sj pour ses réflexions sur la foi. Il est devenu mon accompagnateur spirituel, un vrai ami avec qui, par la suite, je partagerai des moments forts d’engagement au croisement entre « foi et justice » (soit entre la dimension verticale du sens de cette vie et la dimension horizontale d’une vie bonne) qui continuent à marquer ma vie. J’ai également apprécié Paul Tihon, qui nous incitait à nous confronter, avec esprit critique, aux recherches théologiques contemporaines. C’est avec son soutien que j’ai élaboré mon mémoire de licence sur le langage religieux. J’en ai notamment retiré la nécessité de prendre résolument en compte la diversité des « jeux de langage », en prenant toujours en considération les contextes auxquels ils se rapportent, c’est essentiel si nous voulons nous comprendre entre nous. Et aussi l’importance de l’ « étrange » pour « évoquer » Dieu qui est toujours au-delà de ce que nous en appréhendons et disons. En 1967, je suis ordonné prêtre : un moment fort, qui vous remet devant vos limites et faiblesses face aux responsabilités du service ; un moment où, « tout nu », conscient de votre fragilité, vous vous sentez amené à vous en remettre à Dieu avec confiance.

> Lire le témoignage en intégralité sur le site internet du Centre Avec

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