À l’occasion du quarantième anniversaire de la mort d’Aimé Duval, jésuite, auteur, compositeur, interprète et guitariste, le Réseau ignatien de Nancy a organisé une commémoration le 28 avril 2024. Laurence de Kersabiec, membre de l’équipe d’animation de ce réseau, a recueilli des témoignages des proches d’Aimé Duval et revient sur cette figure marquante.
Mais pourquoi donc se souvenir de cet homme qui ajoutait toujours l’adjectif « bon » devant le nom de « Dieu », qui parlait du Christ en disant « Monsieur Jésus Christ » et qu’on surnommait « le Brassens en soutane », le « guitariste du Bon Dieu » ou encore le « troubadour de la foi » ? Est-ce à cause de son succès et de sa célébrité ? En effet, son premier disque, enregistré en 1956, s’est écoulé à 45 000 exemplaires en trois semaines, et en 1961, les 14 enregistrements de ses chansons atteindront le million de ventes, sans compter les quelques 3 000 concerts qu’il a donnés dans plus de 40 pays du monde, y compris derrière le rideau de fer pendant la Guerre froide.
En réalité, il ne cherchait pas la célébrité. Avec sa soutane, sa guitare et ses petites chansons, il s’invite d’abord au comptoir des bistrots : là, il s’attablait, commandait une bière et engageait la conversation. Au fond, l’épisode de la Samaritaine revisité ! Tutoyant tout le monde, il parlait de Jésus Christ et des « choses de la vie ». Du sens de notre présence sur terre aussi. Bréviaire de comptoir ! Fascinant ! Attentif, il écoutait les gens, leurs difficultés à croire ou à vivre. Sortir. Aller à la rencontre, poser un regard bienveillant, aimant sur celle ou celui qui croise son chemin, comme un certain « Monsieur Jésus Christ » en son temps ! L’homme en soutane, au bout d’un moment, prenait sa guitare et se mettait à chanter, à évangéliser par ses refrains. Il disait : « je chante Jésus Christ qui vous sauve, qui me sauve ».
Le P. Jean de Longeaux, dernier jésuite vivant ayant vécu en communauté avec le P. Aimé Duval à Nancy nous dit de lui : « C’était un homme profondément bon, joyeux et modeste, toujours touché par la poésie. On lui a parfois reproché sa voix qui n’était pas celle d’un artiste lyrique, mais lui, c’était les mots pour exprimer sa foi à travers le chant qui l’intéressaient. Il ne se disait pas guéri de l’alcoolisme dans lequel il avait sombré à une certaine époque. Il avait beaucoup souffert de l’attitude de plusieurs membres de la communauté vis à vis de lui, mais n’en parlait guère ; et il avait une très grande reconnaissance envers le P. Noir, le seul qui l’avait compris et qui était toujours resté à ses côtés ».
Que nous reste-t-il du P. Aimé Duval aujourd’hui ? Son livre bien entendu (L’enfant qui jouait avec la lune, aux Éditions Salvator) témoignage poignant sur le drame de l’alcoolisme, le difficile chemin de la guérison, mais également cri d’amour pour « Monsieur Jésus Christ ». Ses chansons dont les textes n’ont pas pris une ride et que l’on peut toujours écouter sur les plates-formes d’écoute… Il nous reste ses amis, des anonymes qui sont venus nous parler de lui en ce 28 avril, à Nancy, marqués à jamais par l’empreinte que le P. Aimé Duval sj a laissée en eux.
Les derniers mots seront ceux du P. Aimé Duval, ou plutôt ceux de sa prière, surtout celle des jours sombres qu’il a connus : « Monsieur Jésus, depuis le temps que nous sommes amis, vous me connaissez, je ne suis pas malhonnête, vous savez que je ne veux faire de mal à personne. Vous savez que je suis votre ami, vous savez que je chante pour mes frères. Vous savez que je n’aime pas l’argent ni les honneurs. Vous savez aussi que je deviens vieux et pas beau. J’ai perdu la jeunesse, le moral, la santé, les amis. J’ai presque tout perdu. Sauf vous. Ne m’oubliez pas, s’il vous plaît » (Ibid, page 37).
Laurence de Kersabiec,
membre de l’équipe d’animation du Réseau Ignatien de Nancy
Témoignages de participants à propos du P. Aimé Duval sj
Le P. Jean de Longeaux sj, nonagénaire, dernier jésuite ayant vécu en communauté avec Aimé Duval à Nancy jusqu’à sa mort
« Oui je me souviens très bien du Père Aimé Duval, avec lequel j’ai vécu les dernières années de sa vie ; nous nous entendions bien. Jusqu’au bout, il a été fidèle aux Alcooliques Anonymes et participait régulièrement aux réunions de son groupe. […] Un détail exprimant son côté facétieux dont je me souviens : un jour où il était hospitalisé, comme nous allions lui rendre visite et que nous lui demandions ce que lui disait le docteur, il nous a répondu que ce dernier était passé la veille, accompagné de quelques étudiants et commençait à leur parler directement des soins qu’il prodiguait, mais le P. Duval l’avait interrompu : « Vous savez, Docteur, que vous avez le droit de me dire bonjour ». Le lendemain ou deux jours plus tard, nous lui demandions si le docteur était revenu : « Oui, il est entré et m’a dit : Bonjour Monsieur Duval… »
Denise, propriétaire d’un bistrot que fréquentait Aimé Duval
« Quand Aimé Duval nous parlait de Teilhard de Chardin ou d’une quelconque théorie de théologie, on n’avait pas l’impression d’être devant un curé » prechi precha » ! Il buvait sec, et quand il s’enflammait un peu sur sa propre obédience qui était loin d’apprécier ses pratiques « marginales » et sa façon de vivre, y compris le chant, tout cela considéré comme révolutionnaire, c’était grandiose et instructif ! Cette liberté, ce manque d’hypocrisie et surtout cette grande érudition, nous enchantaient toujours. (…) »
Gaëtan de Courrèges, prêtre, auteur et compositeur de chants liturgiques, qui s’est mis à la guitare en entendant Aimé Duval
« Aimé, ce soir, je voudrais te remercier de la part du grand gosse de 13 ans que j’étais alors. Avec tes petites chansons, tu lui as appris deux ou trois choses toutes simples : que la foi d’abord n’est pas échafaudage de principes, mais rencontre. (…) Toi, tu me parlais des petites gens, de leurs tendresses et de leurs colères, de Monsieur Jésus Christ surtout. Tu redonnais à l’Évangile son goût de pain frais : « Le ciel est rouge, il fera beau. J’ai joué de la flûte sur la place du marché et personne avec moi n’a voulu danser… » Tu chantais, et la foi n’avait plus cette odeur de vieille sacristie. Elle ne récitait plus ses phrases par cœur, elle choisissait son vocabulaire dans le dictionnaire de tout le monde. La foi faisait de la poésie avec les mots de tous les jours. Tu m’as appris la foi en quelques mots libres et amicaux. »
Mieux connaître Aimé Duval
Chanteur, jésuite, troubadour et alcoolique, poète et chantre de la foi, le P. Aimé Duval a enregistré son premier disque en 1956 et en a vendu plus d’un million. Né en 1918 dans les Vosges, il apparaît comme le précurseur d’un art populaire qui a pris l’initiative de chanter, accompagné de sa guitare, des airs de joie et de louange. Georges Brassens lui-même lui avait rendu un vif hommage. > En savoir +