En conclusion de l’assemblée de Province 2022, sur le thème de la collaboration entre jésuites et laïcs, le P. François Boëdec, Provincial, a développé les enjeux de la collaboration et évoqué les projets en cours et à venir de la Province. Extraits de son intervention.

La collaboration au service de la mission du Christ

La collaboration recouvre des réalités très diverses, des liens institutionnels, des responsabilités, des procédures et des manières de faire différentes. Mais, pour autant, ce qui émerge de cette diversité, ce sont ces liens au service de la Mission du Christ. Ce n’est évidemment pas nouveau que des collaborateurs soient associés à la mission de la Compagnie, mais aujourd’hui, notamment dans notre Province, cette collaboration est une caractéristique essentielle de notre élan apostolique. Il est clair que nous ne pourrions avoir le même élan, la même surface apostolique sans vous.
Ce n’est pas seulement et d’abord parce nous avons besoin de vous, même si c’est une évidence, mais parce que nous sentons aussi, dans l’esprit du Concile, qu’il s’agit de porter ensemble la Mission. S’il y avait plein de jésuites, on risquerait peut-être d’être auto-suffisants. Je crois que dans la période pas facile que nous traversons, c’est valable pour toute l’Église, il y a une chance, une opportunité pour faire un chemin que nous n’aurions sans doute pas fait sinon, pour laisser Dieu nous parler et nous faire découvrir d’autres manières de le servir et d’imaginer ce service. J’ai aimé ce qui a été dit sur le « Nous » avant-hier. Quel est ce « Nous » ? Et sur la distinction que fait le P. Général entre « Corps apostolique » et « Corps religieux ». Ce n’est pas seulement notre mission à nous jésuites, c’est la mission de la Compagnie dans l’Église que nous portons ensemble, chacun dans la responsabilité, et la vocation particulière qui est la sienne. En ce sens, on peut dire la mission de la Compagnie est portée plus largement que par les seuls jésuites.

L’apport bénéfique de la présence des laïcs

Ces jours-ci sont précieux pour mesurer le chemin parcouru, pour nous écouter, percevoir un certain nombre d’enjeux dans notre manière de procéder, les enjeux d’altérité : altérité hommes/femmes, altérité clercs/religieuses, laïcs, par exemple. Plusieurs choses me viennent à l’esprit à partir de ce que nous avons partagé. D’abord, je voudrais dire combien votre présence à nos côtés nous fait du bien. Vous êtes un soutien à un moment où nous pouvons sentir fortement nos fragilités. Merci de nous supporter dans tous les sens du terme. Vous nous aidez sur le terrain de nos engagements, vous nous aidez parfois en nous déchargeant de certaines choses pour que nous puissions nous recentrer sur certaines tâches, vous nous aidez à sortir de nous-mêmes, à voir certaines réalités différemment.
Ce que j’aime dans la collaboration, c’est d’être avec des personnes qui ne sont pas béni-oui oui, qui ne sont pas dans une admiration béate, qui nous aiment assez pour ne pas être éventuellement d’accord avec nous, et qui savent nous le dire, tout en restant, chacun, chacune, à sa place, dans sa responsabilité, dans son service. […] J’attends, nous attendons, des personnes libres mais investies, compétentes (Ignace savait l’importance de faire appel à des compétences extérieures), et qui y croient avec nous.

Si les jésuites permettent souvent à des collaborateurs de travailler ensemble, en les associant et les fédérant autour d’un projet commun, l’inverse est aussi souvent vrai : vous nous aidez souvent aussi à collaborer entre nous jésuites. Continuez à nous aider sur ce point. Vous nous poussez, vous nous encouragez quand la fatigue peut-être là, vous croyez à ce que cette petite musique de la Compagnie peut apporter de bon, modestement mais résolument, à notre Église et à la société, au-delà de nos limites voire de nos fautes. Vous nous aidez à clarifier des choses parfois. J’ai pu voir combien les conseils d’amis et collaborateurs de la Compagnie, francs et exigeants, ont été et sont une aide précieuse. Par exemple face à la crise des abus.
Vous nous aidez à oser parfois aussi. Je me souviens de la décision prise, en un temps très court en raison de conditions d’octroi de subventions, de la création du Collège Mattéo Ricci à Bruxelles. On n’a pas passé des mois et des mois de discernement et de relecture. Nous n’avions pas le temps pour cela. Mais ce qui a été déterminant pour moi, c’est l’engagement de laïcs dans ce projet. Si nous n’avions pas senti qu’il y avait une équipe de laïcs, motivés, engagés, qui y croyaient, je n’aurais pas pris cette décision de nous engager dans cette aventure.

Une Mission commune au sein d’un réseau vivant

Nous avons pu échanger aussi durant ces jours sur ce que nous mettons derrière cette notion large de Mission. La Mission avec un grand M et nos différentes missions avec des petits m. Aujourd’hui, il est clair que la Mission de la Compagnie est largement balisée par les 4 préférences apostoliques de la Compagnie que nous souhaitons faire vivre. Nous sommes envoyés, missionnés, pour cela. En n’oubliant jamais la première : montrer la voie vers Dieu à l’aide des Exercices spirituels, qui irrigue et oriente les trois autres. Et la Compagnie a la responsabilité de proposer des temps et des lieux, une formation adaptée pour que nos salariés, collaborateurs, partenaires puissent découvrir et peut-être vivre, pour leur part, un peu du charisme ignatien. En d’autres termes, boire ensemble à la même eau. En lien avec cela, et c’est une expérience que beaucoup ont fait à travers les voyages à Loyola-Javier, quelques jours durant l’été pour les nouveaux collaborateurs, faire l’expérience d’être membre d’un réseau plus large. Nous sommes engagés dans un lieu et une mission particulière, et pourtant nous collaborons tous à une Mission plus grande, nous sommes tous reliés, dans des secteurs parfois très différents, à une action plus large. Nous sommes ensemble, nous appartenons à un Réseau vivant.

Veiller les uns sur les autres

Concernant les relations jésuites / laïcs, on a entendu durant ces jours un rapport différent au temps, à l’investissement. Avec peut-être, inconsciemment, la difficulté pour les jésuites, parfois, de ne pas assez tenir compte de la vie laïque qui a ses propres rythmes, ses propres besoins et exigences. Nous sentons bien, même si nous progressons là-dessus, que le jésuite peut avoir tendance à ne voir sa vie qu’à travers sa mission. Et c’est compréhensible, parce cela rejoint le sens profond qu’il a voulu donner à sa vie. C’est pour cela qu’il s’est donné et qu’il a accepté de renoncer à d’autres choses, d’autres joies. En même temps, nous savons très bien ce que peuvent avoir des vies désordonnées par trop de travail, qui ne laissent pas assez de place au repos, à la prière, à la gratuité bienfaisante, à l’interpellation fraternelle et au soutien des compagnons et des amis. Collaborer, c’est aussi pour nous jésuites, et peut-être aussi pour vous religieuses et laïcs, une occasion d’entendre une parole qui nous sorte de nos enfermements, et de nos surcharges. D’une certaine manière, on peut dire que nous avons à veiller les uns sur les autres. Et alerter quand des fonctionnements trop solitaires risquent d’être néfastes. (…)

Discerner ensemble

Être ensemble engagés dans une même mission pose aussi forcément la question du discernement, nous mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit, comme cela nous a été rappelé. Sans abdiquer évidemment de la responsabilité première et ultime de la Compagnie dans ses choix et orientations apostoliques, comment, nos partenaires et nos amis peuvent-ils, d’une manière ou d’autre, être associés à nos réflexions et nos discernements ? (…) Je crois qu’il faut prendre au sérieux cette question, et avancer là-dessus dans les temps à venir. Sans oublier dans cette réflexion, la place de la famille ignatienne. La Compagnie et ses amis ne forment pas eux tout seuls la famille ignatienne. De même que la Compagnie doit avoir ses propres intuitions et orientations, sa dynamique qui lui est propre. Mais il est évident que nous savons tous – le rassemblement « Au large avec Ignace » à Marseille n’est pas loin et reste comme un moment important -, combien il y a du profit spirituel et apostolique à nous soutenir, à prendre des initiatives, à œuvrer ensemble. (…)

Je voudrais terminer par un texte assez bref, non pas d’un jésuite, mais d’un ami très cher de la Compagnie, dont il fut un ancien élève, et qui a partagé beaucoup de nos intuitions et manière de faire. Un homme que j’aime bien et qui revient dans l’actualité puisqu’on a fêté avant-hier, 28 décembre, le 400e anniversaire de sa mort, à Lyon dans ce qui est maintenant notre noviciat, avec une Lettre apostolique du Pape François pour souligner la fécondité et l’actualité de ce grand maître spirituel, je veux parler de St François de Sales. J’ai hésité à vous lire un passage où il nous invite à avoir de la douceur envers nous-mêmes ; c’est important à entendre en ces temps compliqués où on peut se mettre beaucoup de pression et ne pas assez prendre soin de soi ; mais j’ai finalement choisi un autre texte que j’aime bien, issu de sa Correspondance, où il est question, dans le langage de l’époque, de cap et de boussole, – cela parlera peut-être davantage à ceux qui aiment la mer, mais pas seulement j’espère – cap et boussole pour l’élan apostolique et l’orientation de nos vies, en écho à ce que j’ai entendu durant ces jours. Ce sera un peu les vœux que je nous formule pour l’année et les années qui viennent.

« Les navires ont tous une aiguille marine [une boussole], laquelle étant touchée de l’aimant regarde toujours l’étoile polaire, et encore que la barque s’en aille du côté du midi, l’aiguille marine ne laisse pourtant pas de regarder toujours à son nord.

Ainsi (…) que la fine pointe de l’esprit regarde toujours à son Dieu, qui est son nord. (…) Vous allez prendre la haute mer du monde ; ne changez pas pour cela de patron [cadran], ni de mât, ni de voile, ni d’ancre, ni de vent. Ayez toujours Jésus Christ pour patron, sa croix pour arbre, sur lequel vous étendez vos résolutions en guise de voile ; que votre ancre soit une profonde confiance en Lui, et allez à la bonne heure. Veuille à jamais le vent propice des inspirations célestes enfler de plus en plus les voiles de votre vaisseau et vous faire heureusement surgir au port de la sainte éternité ! (…)

Que tout se renverse sens dessus dessous, je ne dis pas seulement autour de nous, mais je dis en nous, c’est-à-dire que notre âme soit triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en ténèbres, en tentations, en repos, en goût, en dégoût, en sécheresse, en tendreté, que le soleil la brûle ou que la rosée la rafraîchisse, ah, il faut pourtant qu’à jamais et toujours la pointe de notre cœur, notre esprit, notre volonté supérieure, qui est notre boussole, regarde incessamment et tende perpétuellement à l’amour de Dieu. » Saint François de Sales (1567-1622)

C’est ce que je nous souhaite à chacun, pour sa propre vie, pour la Compagnie, la vie de notre Province, pour notre collaboration, et tout le travail que nous accomplirons ensemble. Que l’amour de Dieu soit notre boussole, et que nous nous aidions mutuellement à garder la foi, l’espérance et la charité. Je vous remercie de votre attention. »

P. François Boëdec, Provincial

François Boedec jesuite