Pourquoi les jésuites promeuvent-ils le théâtre dans leurs collèges ? Le P. Pascal Gauderon sj, membre de la pastorale du réseau des établissements scolaires jésuites en France et coordinateur du festival annuel de théâtre – et par ailleurs engagé dans bien des aventures scéniques – apporte sa réponse, non sans analogie avec la vie religieuse.

jésuites théâtre

Festival 2023 à Amiens : Les descendants, pièce de Sedef Ecer jouée par les élèves du lycée Saint-Marc (Lyon). Quête des origines, totalitarisme, histoire, réconciliation… Vastes sujets !

« Ça fait travailler l’oral, on aura de meilleures notes au bac ! ». Qui s’est vraiment risqué sur scène peut nommer bien d’autres fruits, savoureux, non réductibles à cet utilitarisme.

Les bienfaits s’apprécient d’abord en termes de croissance personnelle : « Au début, j’avais peur, puis j’ai gagné en confiance… » ; « J’ai découvert que je pouvais faire rire les autres si je dépassais ma timidité… » ; « C’est du vrai boulot, pour donner un beau spectacle ! ». Ensuite, travailler des textes riches nourrit les comédiens autant que le public : « Notre pièce fait vraiment réfléchir… » ; « Je n’oublierai jamais ces répliques ! ». Soulignons enfin l’expérience communautaire qu’offre la pratique théâtrale, même en amateur : « J’ai vu qu’on avait besoin de chacun. » ; « Quand on voit le public heureux, on comprend pourquoi on fait tout ça… »

Une école de vie, donc, les artifices de la scène provoquant un engagement bien réel, une expérience éducative cultivant de belles vertus.

Un exercice évangélique

jésuites théâtre 2

Festival 2023 à Amiens : les élèves du lycée Saint-Joseph de Tivoli (Bordeaux) nous rendent présents à la Pâque de saint François Xavier, dans la pièce de Fabrice Hadjadj À quoi sert de gagner le monde.

Personnellement, Personnellement, j’aime y voir un exercice profondément évangélique, qui travaille, comme nos vœux religieux, les postures essentielles..

Pauvre, chacun l’est sur scène, se donnant tout entier, se risquant en direct, partageant ses talents dûment travaillés, sans maîtriser l’accueil du public : on peut être drôle, mais riront-ils ? Semer sans garantie de récolte… Pauvre dans l’acte de jeu lui-même : l’ego ne doit pas polluer la scène… Chacun disparaît pour que vive son personnage, tait ses paroles personnelles pour donner voix à celles d’un autre, occulte ses sentiments pour consonner à d’autres : mourir à soi-même pour faire advenir un autre vivant… Une désappropriation de soi qui ouvre à un don généreux, enrichissant, dans la gratuité du jeu. Pauvre aussi, le public, qui accueille au présent, dans l’instant, le riche présent offert par la troupe.

Chaste, à juste distance, la troupe l’est, offerte au public, ne mettant pas la main sur lui. Chasteté engagée : l’intime, les corps, les voix, les émotions, sont livrés au public. Avec une pudeur infiniment respectueuse : on ne cherche pas à envahir ou dévoiler l’espace intérieur du spectateur. Chasteté libre donc : donner, se donner, pour édifier le spectateur, sans prédation autocentrée, sans séduction cachée, dans une relation asymétrique qui s’accomplit en une communion profonde.

Obéissant, le comédien se doit de l’être : aux textes et intentions de l’auteur, aux partis pris du metteur en scène, aux autres comédiens pour interagir avec pertinence, aux techniciens pour assurer la fluidité du déroulé… Il se met tout entier à l’écoute et au service d’autres. Une mort à soi convoquant le meilleur de lui-même : il mobilisera toute son intelligence et tout son cœur, pour entrer dans la compréhension profonde de la pièce ; et son énergie, ses expériences passées, ses émotions, son charisme propre, son génie même, pour habiter son personnage et l’incarner d’une façon unique. En obéissant, il libère son potentiel personnel et sa créativité, stimulés par la commande. La parole d’un autre, écoutée en confiance, vient rejoindre en lui le meilleur et le révéler.

Se trouver en se perdant

Ainsi, le comédien, nécessairement pauvre, chaste et obéissant s’il veut être bon, se trouve en se perdant : mourant à soi, il se révèle et s’accomplit ; se donnant tout entier dans son art, il communique plus que lui-même. Parce que le théâtre est une grande aventure humaine, accessible à tous, il est une aventure spirituelle profonde, offerte à tous. Que l’on nomme ou non ces enjeux intérieurs. « Chercher et trouver Dieu en toute chose », disons-nous… Au théâtre, c’est assez évident, où affleure constamment le mystère de l’Incarnation, de la parole faite chair livrée pour communier…

Aussi avons-nous à cœur de continuer à promouvoir ces arts scéniques dans nos établissements scolaires, comme dans toutes nos missions. Citons par exemple la reprise du festival inter-établissements à Amiens ; les ateliers scéniques proposés dans nos diverses formations ; les camps spectacle du Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) ; ou encore ce goût des veillées festives spectaculaires lors de rassemblements ignatiens… Une tradition qui a encore un bel avenir !

pere pascal gauderon jesuite P. Pascal Gauderon sj,
membre de la pastorale du réseau des établissements scolaires jésuites en France,
coordinateur du festival annuel de théâtre

La bibliothèque municipale de Lyon met en valeur le théâtre dans la pédagogie jésuite : éclairage du P. Dominique Gonnet sj

À la bibliothèque municipale (BM) de Lyon, une nouvelle vitrine d’exposition valorise la collection jésuite provenant de l’ancienne bibliothèque des sciences religieuses et philosophiques à Chantilly (Oise), dite des Fontaines, dans le cadre de son dépôt à la BM. La thématique retenue est « Les jésuites et le théâtre : art oratoire et pédagogie ». Dès la création des premiers collèges, le théâtre jésuite est adapté du théâtre latin ou grec dans un sens chrétien, avec une orientation morale. La tragédie est enseignée dans les grandes classes. La comédie est jouée par les plus jeunes, sans oublier le ballet. Les pièces sont principalement écrites en français. Les sujets puisent leur origine dans la Bible ou l’histoire et la culture antiques.
> En savoir +


Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (automne 2023), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.

Pour aller plus loin :

Lire d’autres articles liés :