Il est loin le temps où les Pères et docteurs de l’Église vilipendaient le théâtre ! Considéré comme une invention maléfique, cet art était en effet autrefois condamné par l’Église. On peut comprendre que son arrivée dans les collèges de la Compagnie de Jésus ne se réalisa pas sans peine… Pourtant, aujourd’hui encore, Alain Pochet, comédien, metteur en scène et professeur au lycée Saint-Louis de Gonzague à Paris, explique que la tradition théâtrale dans nos écoles demeure bien vivante.

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Les femmes savantes à Saint-Louis de Gonzague, pièce mise en scène par Alain Pochet.

Le principe du théâtre dans les collèges jésuites remonte à saint Ignace de Loyola lui-même, qui recommandait de faire « représenter quelques dialogues et autres exercices pour donner cœur à l’étude aux élèves ». De fil en aiguille, les jésuites mettent en scène les Saintes écritures, l’histoire des saints (martyrs), mais aussi des discussions entre la Foi et l’Église, entre l’Hérésie et la Raison… Les costumes et l’aménagement de la scène apparaissent, ainsi que la musique.

De l’art oratoire naissent de véritables pièces, interprétées par exemple à l’occasion de remises de prix. Le répertoire se sécularise. De l’Ancien au Nouveau Testament, les professeurs des collèges voués à cet art s’inspireront de textes profanes. Au fil du temps, le théâtre prend une place considérable dans les collèges. Aux deux pièces à l’affiche annuellement, s’en ajoutent d’autres. Deux nouveautés : l’apparition du français et de la comédie !

Malgré les critiques, nombreuses, les jésuites tiennent le cap et contribuent à nourrir l’appétit des élèves pour cette discipline. Ils suscitent aussi des vocations : Molière, Voltaire, Corneille et d’autres sortent de leurs classes.

Depuis la fondation des collèges, la pratique de cet art n’a cessé de former quantité de jeunes collégiens et lycéens. L’art de la parole fut un des éléments essentiels de leurs enseignements.

« N’ayez pas peur ! » :  témoignage d’Alain Pochet

Alain Pochet À peine sorti du Conservatoire royal de Bruxelles en 1998, où je reçus une formation de comédien, on me proposa de m’occuper du théâtre à Saint-Louis de Gonzague (Franklin) à Paris. Premier contact avec les jésuites ! J’y découvris l’importance de cet art, le goût, non seulement de la comédie et du divertissement, mais également – et surtout – une pratique de la discipline au service du prochain et de sa croissance.

Depuis une vingtaine d’années, j’ai vu croître le nombre d’ateliers de cet établissement. Entretemps, la direction me demanda de diriger l’option théâtre du lycée. J’allais pouvoir réaliser avec les élèves un travail de fond dans le cadre du projet annuel de jouer deux pièces pour les Journées missionnaires. Avec les jeunes de l’option théâtre, je m’efforce d’appliquer les compétences acquises au Conservatoire : le jeu mais aussi la mise en scène. Que d’expériences passionnantes, grâce au talent des élèves… et à leur confiance !

Lorsque j’assiste à des changements profonds dans la personnalité d’un jeune, j’avoue reconnaître que ce phénomène ne m’appartient pas, qu’il m’échappe, qu’il relève d’un ordre que je ne maîtrise pas. J’ai vu des élèves ne jamais « décoller » et d’autres accomplir des progrès époustouflants ! La confiance se libère tout à coup, au point qu’ils se dépassent, bousculent leurs habitudes. Le défi d’entrer en scène « pour l’autre » et non pour flatter son orgueil, de se donner à fond pour que le partenaire puisse donner le meilleur de lui-même, toutes ces exigences sont formatrices ! Cela nécessite des qualités de dépassement de soi, d’humilité et de persévérance, dont la résonance spirituelle me semble évidente.

« N’ayez pas peur ! », lisons-nous à peu près 365 fois dans la Bible. « N’ayez pas peur d’être vous-même ! », dis-je aux jeunes. Il m’arrive d’invoquer le Seigneur pour qu’Il m’inspire dans l’accompagnement de ceux qui me sont confiés, afin que je les aide à devenir vraiment ce qu’ils sont, afin qu’ils osent être pleinement eux-mêmes. Sur les planches, il se joue des rôles multiples, mais, au travers de cette diversité, il se joue plus en profondeur toujours le mystère de la personne et de sa vocation. J’en suis témoin.

Remercions le théâtre, sans oublier le pari des jésuites, et remercions le talent et la générosité de nos jeunes !

Naissance d’une vocation : témoignage de Lauriane Escaffre, comédienne et ancienne élève à Saint-Louis de Gonzague

Lauriane Escaffre J’arrive en 6e à Saint-Louis de Gonzague, et je découvre avec joie que l’Expression Théâtrale fait partie du programme. Une heure par semaine.

Je me souviens encore de la première scène que j’ai eu à jouer, celle du bourgeois gentilhomme qui apprend l’orthographe. Et, à ma plus grande surprise, malgré mon caractère timide, je provoque plusieurs éclats de rire !

Dès lors, le théâtre devient une vraie passion… Saint-Louis de Gonzague possède un vrai théâtre ; j’avais découvert une petite porte qui donnait sur les coulisses et, alors que c’était interdit, à l’heure du déjeuner, nous nous faufilions sur la scène, avec ma meilleure amie, pour déclamer les textes que nous avions appris. Quand le Père jésuite de notre division a demandé des volontaires pour monter une pièce qu’il avait écrite sur saint Ignace de Loyola, c’est sans hésitation que je me suis proposée. C’est la première pièce que j’ai jouée devant un vrai public, j’avais 14 ans. Quel souvenir ! Et, dix ans plus tard, me voilà comédienne.

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2019), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci de consulter ce lien.

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