Le film « Silence » ou un changement de paradigme

Ce dimanche 13 novembre, la chaîne de télévision Arte diffuse le film « Silence », de Martin Scorsese, d’après le roman éponyme de Shûsaku Endô. Le récit, qui se déroule dans le Japon du XVIIe siècle, relate les aventures de deux jésuites portugais à la recherche de leur ancien mentor devenu apostat. Takao Onishi sj, nous en propose une lecture.

Voir la bande-annonce du film « Silence »

Tant le roman d’Endô que le film de Scorsese nous posent des questions épineuses, sans forcément y répondre. « Silence » nous conduit à une réflexion bouleversante qui remue en nous quelque chose qui est de l’ordre du fondement spirituel. Dans « Silence », le lecteur et le spectateur sont témoins de chrétiens japonais contraints, sous la menace de persécutions, de piétiner des images pieuses (fumie). Et, sous la torture, certains missionnaires jésuites renieront, eux aussi, publiquement leur foi.

Si, historiquement, les chrétiens japonais sont parvenus à transmettre clandestinement leur foi chrétienne de génération en génération, rappelons-nous aussi que pendant presque 250 ans (1629-1873), ils ont été contraints par l’État de piétiner le fumie à chaque Nouvel An lunaire. Puis, en secret, ils récitaient ensemble des prières de contrition, dans un sentiment de culpabilité et dans l’espérance de se confesser un jour, lorsqu’un prêtre viendrait. Certes, le piétinement de l’image pieuse par le jeune jésuite Rodrigues nous choque ; mais la situation est trop complexe pour la qualifier,
simplement, d’apostasie. Comme dans le cas des chrétiens cachés, il semble toujours garder la foi au Christ, loin de la perdre. C’est ainsi que nous sommes invités à examiner son parcours.

De la gloire à l’humiliation

film silence

Dans son livre, l’auteur décrit le désir de Rodrigues d’aller au Japon au temps des persécutions parce qu’il était dans l’impossibilité de croire que Ferreira, son maître vénéré eût préféré l’avilissement à la gloire du martyre. Sa pensée initiale, schématique, sépare les martyrs forts du faible renégat piétinant le fumie. Cette vision dichotomique sera ébranlée à trois moments décisifs – son arrestation, son interrogatoire et sa rencontre avec l’inquisiteur –, suscitant en lui déception et mécontentement, de par leur banalité, loin du caractère tragique qu’avaient connu le Christ ou les martyrs.

L’idéal de foi de Rodrigues, son image glorieuse et triomphante de Dieu, des martyrs et de l’évangélisation, se confrontent à sa propre réalité, médiocre et misérable. De ce décalage entre idéal et réalité, se pose en lui une question fondamentale : « Seigneur, pourquoi gardez-vous toujours le silence ? » Le parcours missionnaire de Rodrigues est donc un processus de dépouillement de soi, où son idéal se démolit, où il passe de la gloire à l’humiliation.

Le point culminant du dépouillement de soi est le moment même du piétinement de l’image du Christ adoré. Au lieu d’être un missionnaire exemplaire ou un martyr héroïque, Rodrigues devient un lâche apostat ». Pourtant, paradoxalement, c’est à ce moment même qu’il découvre une nouvelle image de Dieu : un Dieu infiniment miséricordieux, même pour ceux qui renoncent à la foi. C’est dans la profondeur du silence que le prêtre entend la voix du Christ qui connaît même la souffrance de ceux qui se culpabilisent après l’avoir renié, la partage avec eux, et les accompagne jusqu’au bout. Rodrigues a ainsi vécu un changement de paradigme : le passage d’un Christ glorieux et triomphant à un Christ humilié, ami des humiliés.

Pendant que nous bavardons, Dieu garderait le silence. Mais c’est dans le vrai silence où nous nous taisons humblement en nous mettant à son écoute, que Dieu sort de son silence et nous parle. Pour que Dieu se manifeste librement et gratuitement, il faut que nous lâchions des images figées que nous avons de lui et qui limitent donc ses manières d’agir dans notre cadre humain. Le parcours vécu par Rodrigues nous pose enfin une question toujours actuelle : n’oublions-nous pas que Dieu est toujours plus grand que notre pensée ?

Takao Onishi sj,

Pour aller plus loin :

Chronologie :

  • 1549 – Arrivée du christianisme au Japon par l’action de saint François-Xavier. Développement florissant.
  • 1596 – Début des persécutions qui dureront 250 ans.
  • 1544 – Seuls quatre jésuites restent au Japon, auto-exclus de la Compagnie de Jésus pour avoir apostasié sous la torture : parmi lesquels le Vice-Provincial Cristóvão Ferreira et Giuseppe Chiara (modèle de Sebastião Rodrigues dans Silence).
  • 1966 – Sortie du roman « Silence » de Shûsaku Endô.
  • 2016 – Sortie du film de Martin Scorsese (Vatican et États-Unis).

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (été 2017), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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