Dans un village de pêcheurs d’une dizaine de maison de l’île de Kyushu, au Japon, naquit en 1525 un enfant fragile et presque aveugle, ne voyant que d’un œil qui lui permettait tout juste de trouver son chemin. Il portait le nom de Ryosai.

Au 16 ème et au 17 ème siècles, au Japon, les aveugles pouvaient, selon leur situation économique, parvenir à de bons métiers comme masseurs, médecins, musiciens et même parfois comme conseillers des grands seigneurs. Pour Lorenzo né dans une famille pauvre, il n’y avait qu’une possibilité : parcourir routes et villages en chantant, en s’accompagnant de son biwa (luth japonais), les histoires des guerriers d’autrefois. S’ils avaient une certaine facilité à s’exprimer, les aveugles arrivaient parfois à être catéchistes dans les temples bouddhistes. Pour Lorenzo, qui ne savait ni lire ni écrire, il n’y avait que peu de possibilités. Un jour, après avoir appris à jouer de son biwa, il quitta son foyer et son île. Il se fit biwa-hoschi, trouvère ambulant.

Au cours de son errance, il arriva un jour de l’automne 1551 à la ville de Yamagushi ; dans l’une des rues principales de cette ville, il entendit l’étrange voix d’un étranger. Assis sur la margelle d’un puits, celui-ci expliquait, avec l’aide d’un interprète, une nouvelle religion centrée sur l’idée d’un seul dieu, appelé Deus, créateur de toutes choses. Lorenzo s’arrêta pour écouter, demanda des précisions, puis resta là pour vivre avec le Père Maître François Xavier et son interprète, le Frère Juan Fernandez. Il reçut le baptême et mit sa vive intelligence et sa prodigieuse mémoire au service de sa nouvelle religion: le meilleur catéchiste de l’Église du Japon était né.

Les premières informations qui nous sont données sur lui nous disent : Lorenzo parle très bien la langue du Japon et encore mieux des choses de Dieu. Il vit dans l’obéissance, la pauvreté et la chasteté.

A Yamagushi, Lorenzo trouve une terre désolée et une chrétienté dispersée sur ordre de Mori Monorails. Il se rend alors à Bongo (Iota), où il est reçu dans la Compagnie de Jésus en 1556 par le Père Torres, avec l’accord du Père Melchior Nunes, Provincial arrivé la même année. Il était le premier Japonais à être reçu dans la Compagnie. En 1557, nous le trouvons accompagnant le Père Gaspar Vilela sur sa terre natale. Ce dernier, après avoir parlé de son travail avec les Portugais, ajoute : Un Frère japonais prêchait les Japonais. Né dans ce pays, il porte le nom de Lorenzo ; je vous en ai déjà parlé. Il a une très mauvaise vue ; mais le Seigneur dans sa miséricorde lui a accordé bien des dons avec le désir de donner la lumière à bien des hommes, et c’est ce qui se fait pour beaucoup par son intermédiaire. Parmi ces « beaucoup » que Lorenzo amena au baptême étaient son père et sa mère.

En septembre de cette même année, Lorenzo part de nouveau vers Kyoto. Il accompagne le Père Vilela et deux autres Japonais. L’un d’eux, Diego, né à Sakamoto, leur donna l’hospitalité dans cette ville. De là, ils essayèrent à nouveau de se rendre à Hieisen. Ils échouèrent, mais réussirent du moins à prendre pied à Kyoto. Ces années de vie à Kyoto furent des années difficiles, dans une grande pauvreté ; persécutés, ils furent ensuite expulsés. Cependant, petit à petit, le labeur de ces deux vaillants missionnaires commença à porter du fruit. Lorenzo est alors le catéchiste, le messager qui, le bourdon en main, va d’un lieu à un autre demandant de l’aide. De temps en temps, nous trouvons dans les lettres des nouvelles de ce genre : Chaque jour croissait le concours des gens qui venaient l’écouter; ne s’arrêtant pas du matin au soir, à force de parler sans repos, le Frère Lorenzo en vint à cracher du sang et à perdre tellement ses forces qu’il ne pouvait plus tenir debout. Mais, soutenu par la grâce de Dieu, il ne s’arrêta pas, bien que ce ne fut pas sans grandes peines…

Toyotomi Hideyoshi, l’un des daymio qui a persécuté les chrétiens.

En 1564, arrivèrent à Kyoto le Père Luis Frois et le Frère luis de Almeida. C’est à cette époque que remonte la description faite par Almeida de la prédication de Lorenzo : Dire son audace, sa grâce et sa facilité de parole, et aussi les raisons très claires par lesquelles il démontrait l’existence d’un Créateur…Je suis resté émerveillé non pas tant de ce qu’il disait – chose dont nous parlons sans cesse ici – que de la grâce et la clarté avec lesquelles il présentait tout…Pour être encore plus clair, il faisait comme s’il était un païen, puis argumentait contre les raisons qu’il avait présentées…Une fois la prédication achevée, qui durait trois bonnes heures, tous demeuraient stupéfaits.

En 1565, il passa à l’Église de Bongo, où il enseigna le japonais aux nouveaux missionnaires. L’année suivante, il fut à nouveau envoyé à Sakai et à Kyoto, cette fois comme compagnon du Père luis Frois. Commence alors la période la plus brillante de sa vie. Il s’entretient à plusieurs reprises avec Oda Nobunaga, l’homme qui commença l’unification du Japon et fut pendant plus de trente ans le maître incontesté du Japon central. A l’occasion de l’une de ses visites eut lieu une discussion avec le bonze Nichijo Shonin, ennemi véhément des chrétiens. Dans la chaleur de la discussion, acculé dans ses derniers retranchements par Lorenzo, Nichijo se saisit d’une épée de Nobunaga pour couper la tête de Lorenzo. Celui-ci n’eut la vie sauve que grâce à la rapide intervention de Tokichiro, général de Nobunaga, connu dans l’histoire sous le nom de Ioyotomi Hideyoshi.

Jusqu’en 1587, Lorenzo continua à se dépenser inlassablement dans diverses villes : Sakai, Kyoto et Azuchi, la nouvelle cour de Nobunaga; c’est là qu’en 1580 il amena au baptême le daïmyo Kyogotu Takayoshi et son épouse. Il collabore alors à la construction de la nouvelle église d’Azuchi et, à Takatsuki, prêche devant les vassaux de Takayama Hukon. Lorenzo est là lorsque le supérieur de la Mission, le Père Francisco Cabrai, et le Visiteur, le Père Valignano, s’entretiennent avec Nobunaga.

Et, lorsque le Père Coelho, Vice-Provincial, se rend en 1586 à Osaka pour demander à Hideyoshi de se rendre à Kyushu pour soumettre le daïmyo de Kagoshima, Hideyoshi se fait lui-même le guide de la visite du château tout en plaisantant avec Lorenzo, en lui rappelant la discussion qu’il avait eue avec le bonze Nichijo Shonin. Malgré cela, Toyotomi Hideyoshi décrète le 25 juillet 1587 l’expulsion des missionnaires ; Lorenzo doit se rendre à Hirado, puis de là à Nagasaki. Il dépense ses dernières forces dans l’Église de Koga, aux environs de Nagasaki, en compagnie du Père Gil de La Mata. De ce temps date le commentaire d’une lettre envoyée à Rome : Le Frère Lorenzo, japonais, aide le Père; il fut le premier japonais reçu dans la Compagnie. Il a 65 ans. C’est un homme particulièrement exemplaire qui a un grand zêle pour les âmes. En dépit de son âge et de toutes ses infirmités, quand cela est nécessaire, il prêche encore deux ou trois fois par jour.

Lorenzo mourut le 3 Février 1592. Il était dans sa chambre en train de parler avec un autre Frère et un chrétien quand il leur demanda de sortir un moment; il appela alors un jeune homme qui prenait soin de lui et lui demanda de l’aider à s’asseoir dans son lit. C’est ce que fit le jeune homme en le soutenant par derrière. Ainsi assis, Lorenzo prononça doucement le nom de Jésus et, sans que le jeune qui le soutenait s’en rende compte, il rendit alors son âme au Seigneur.

Ses frères jésuites ont ainsi résumé la vie de Lorenzo : il voyait peu avec son corps, mais il était éclairé par Dieu et voulait en éclairer beaucoup d’autres.

Son compagnon de tant d’années de travail, le Père Luis Frois, conclut ainsi son récit : bien que, par nature, il était un bien pauvre instrument, étant aveugle et né de bien pauvres parents, sans aucune connaissance de la culture du Japon et de la nôtre, il servit si bien notre Seigneur qu’il a été comme le fondement de toute la chrétienté de Miyako (Kyoto).

> Photo : © Frédéric Fornos