Entretien avec le P. Thierry Dobbelstein sj, Provincial, dans l’Avenir Verviers

Le journal L’Avenir Verviers a publié un long entretien, le 7 octobre 2023, du P. Thierry Dobbelstein sj, nouveau Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone, originaire d’Eupen en Belgique. Un échange au cours duquel il a pu s’exprimer sur sa mission, sur l’engagement des jésuites dans l’éducation, ainsi que sur les défis sociétaux actuels. En voici quelques extraits.

Sur la fonction de Provincial

« Il faut d’abord dire que je ne suis pas seul. J’ai un assistant qui assure toutes les urgences depuis le bureau et je dispose d’un auxiliaire, un jésuite français, avec qui je partage la moitié des responsabilités puisque chaque année, à deux, nous devons faire le tour de toutes les communautés jésuites et notre province en compte 35 en France, en Belgique francophone, au Luxembourg, sur l’Île Maurice et en Grèce. Nous rencontrons chacun des jésuites, individuellement, pour un échange que nous appelons le compte de conscience. C’est un moment où le jésuite s’ouvre en conscience à son supérieur, partage ses joies, ses peines. » Thierry Dobbelstein

Sur l’éducation

« Nous avons développé un réseau national, un réseau européen et un réseau mondial des écoles jésuites et nous continuons à investir beaucoup de moyens humains et financiers dans l’animation de ces réseaux.

[…] Un des défis, c’est de former les jeunes professeurs à découvrir qui était Ignace de Loyola et quels sont les axes de force de la pédagogie jésuite : former des hommes et des femmes avec et pour les autres, des hommes et des femmes compétents, doués de conscience et de compassion, et qui s’engagent ».

Sur le pape

« [Quelques jours après son élection…] le pape François a pris contact avec la curie générale et nous avons été très touchés de la manière par laquelle il rentrait dans sa fonction d’évêque de Rome. Il l’a fait comme un religieux jésuite. On sentait combien le pape transpirait les préférences apostoliques universelles  dont je viens de parler. C’est un homme des Exercices spirituels. Il ne peut pas parler de Dieu sans avoir le souci des plus pauvres et de la justice dans le monde. Il a aussi le souci des jeunes et de l’annonce de l’évangile d’une manière authentique, qui peut être comprise par tous, y compris les non chrétiens. Et puis, il y a son magnifique encyclique Laudato si, où il a mis au centre des préoccupations des chrétiens l’obligation de prendre à bras-le-corps le défi écologique.

Sur la précarité

« Quand les prix augmentent, ce sont toujours les plus petits qui le sentent passer. Quand le prix du mazout de chauffage augmente, c’est une catastrophe pour les personnes les plus fragilisées alors que les personnes bourgeoises qui ont eu l’occasion d’investir dans une maison neutre énergétiquement ne voient pas passer la note. Ça montre combien les questions de justice et d’injustice sont loin d’être facilement solubles ».

[…] Les jésuites sont très engagés dans l’accueil des réfugiés. Le service jésuite des réfugiés (JRS) met la plus grosse partie de ses moyens à aller rendre visite à des personnes en centres fermés, ces personnes pour qui on fait tout pour qu’elles soient oubliées. On ne supporte même pas qu’elles occupent nos rues. »

« Au cours des cinq années où j’étais à Paris, j’allais au moins une fois par mois en prison, à Fleury-Mérogis, pour célébrer l’eucharistie en étant accompagné par des étudiants de sciences politiques. Lors de ces eucharisties, c’était prodigieux parce qu’on célébrait ensemble. Avec, d’un côté, les prisonniers qui font partie d’une des queues de la gaussienne que représente la population si on la place sur une échelle socio-économique ; et de l’autre, les étudiants de sciences po qui faisaient partie de la tête de cette gaussienne. Vivre une célébration qui réunissait ainsi les deux extrêmes de la société française, c’était toucher du doigt ce dont nous rêvons. À savoir une société de communion et qui nous transforme. Sur le chemin du retour de la prison, je voyais combien ces étudiants étaient transformés. Leur regard sur le monde carcéral était tout différent. Ils étaient partis en tremblant ; ils revenaient rayonnants. Je me rappelle une intention de prière spontanée d’un détenu qui disait « Merci à ces étudiants de venir à nous et nous rappeler que nous sommes toujours vivants et que nous ne sommes pas oubliés ».

Sur le changement climatique

« Quand j’enseignais il y a 20 ans, j’avais l’impression que mes élèves écoutaient gentiment, d’une demi-oreille. À l’heure actuelle, je me rends compte que ce sont les jeunes qui boostent et qui secouent les professeurs en disant que la situation est encore plus grave que ce qu’on l’imagine.

Au sein de nos écoles, nous avons par exemple des écoteams. D’abord, je me réjouis qu’on les encourage. Ensuite, je me réjouis que les jeunes interpellent les directions et les pouvoirs organisateurs pour que ça aboutisse à de réels changements structurels dans et autour des écoles. Pour moi, c’est source d’espérance ».

Sur la solidarité

« Si nous voulons accompagner les personnes dans la création d’un monde d’espérance, il faut d’abord orienter son regard sur tous les exemples de solidarité. Si je ne vois que les réflexes d’égoïsme, d’abord, suis-je capable de les voir chez moi avant de les voir chez mon voisin ? Si je les vois chez moi, j’ai la responsabilité de me changer, me transformer. Si je me focalise juste sur les réflexes d’égoïsme, je ne fais que me décourager et me désengager davantage. À l’inverse, je peux me laisser émouvoir par les réflexes de solidarité. Quand on voit ce qui s’est passé en région verviétoise pendant les inondations, c’est magnifique ».

Propos recueillis par Raphaëlle Gilles dans l’article paru le 7/10/2023 dans le journal L’Avenir Verviers

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