De passage en France, le P. Guy Jonquières sj, vivant au Chili depuis plus de quarante-cinq ans, évoque le pays et ses missions.

P. Guy Jonquières, vous êtes jésuite et depuis quarante-six ans et demi vous vivez au Chili. Quelles sont vos attaches Tarn-et-Garonnaises ?

Je suis né dans l’Aveyron et ma famille s’est installée en 1940 à Caussade, j’avais sept ans. Je suis entré au petit séminaire en 1944 et ensuite au grand séminaire en 1951 à Montauban. Après mon service militaire, on m’a envoyé un an à l’université et à la fin de cette année-là, j’ai demandé à entrer à la Compagnie de Jésus.

Comment êtes-vous parti au Chili ?

Je suis au Chili depuis quarante-six ans et j’espère y finir ma vie. Je crois qu’il y a trois étapes qui ont orienté ce choix. Tout d’abord en 1945, mon père était très déçu de l’ambiance européenne et il avait envisagé d’émigrer en Amérique latine. Ça m’a sensibilisé à cette époque à cette perspective même s’il ne s’est rien passé au niveau vocationnel. Quand les papes Pie XII et Jean XXIII ont demandé du monde pour aller aider les Églises du Sud, j’ai pensé que peut-être pourrais leur rendre service. Plus tard, je suis parti en Espagne pour enseigner le français et apprendre l’espagnol. Deux ans après, je revenais en Espagne pour étudier la théologie, j’ai rencontré un jeune jésuite de la République Dominicaine qui m’avait demandé pourquoi je n’irais les aider. J’avais répondu « Peut-être, un jour, irai-je pour vous donner un coup de main, mais je ne me sens pas bien capable d’aller m’installer là-bas et d’y vivre ». En fait, au cours de mes études de théologie et d’une retraite « agitée », mon avis a complètement changé et j’ai décidé de m’offrir et on a accepté ce choix. Je suis parti en 1968.

Vous avez connu la dictature du général Pinochet, comment l’Église catholique a vécu cette période ?

En 1962, les évêques chiliens avaient écrit une lettre collective qui a fait date. Elle prenait en compte des évolutions récentes de la société et notamment le fait que les injustices sociales étaient grandissantes. En cinq ou six ans, j’ai connu trois régimes politiques. Le régime de Frei Montalva était un régime encore démocratique, pourtant en train d’échouer en quelque sorte. Le gouvernement d’Allende, qui a très bien commencé et très mal fini. Il a été liquidé par les militaires de manière brutale et eux sont restés au pouvoir pendant dix-sept ans. Ce fut une dictature très dure au début, un peu moins à la fin mais ils n’étaient pas décidés à quitter le pouvoir et le référendum qu’ils ont lancé n’a pas tourné en leur faveur à leur grande surprise.

Durant la dictature, la hiérarchie catholique a été une des seules voix libres qui pouvait se faire entendre, soutenant le peuple chilien…

Et quand la dictature a été finie, l’Église s’est recentrée légitimement sur ses tâches propres. De fait, cela a provoqué un repli de l’Église. Les forces de gauche, très mobilisées pendant la dictature ont connu le même phénomène de repli. Ce phénomène a donné le sentiment que l’Église, n’avait plus un rôle important à jouer. Plus récemment, des actes de pédophilie ont aussi contribué à cette perte de crédibilité. A tel point qu’un sondage récent a souligné que 71% des chiliens n’avaient pas confiance dans l’Église catholique.

Quelle est votre mission au Chili ?

J’ai travaillé dans l’enseignement et l’accompagnement spirituel. Pendant treize ans, j’ai été accompagnateur de CVX, la branche laïque de spiritualité ignatienne mais aussi professeur et père spirituel au séminaire de Santiago. Aujourd’hui, je suis responsable d’un centre d’accueil. J’ai n’ai pas eu d’action dans le social, alors que la Compagnie est très active dans ce domaine. Le P. Alberto Hurtado (1901-1952), qui a été canonisé, a fondé le Foyer du Christ qui est une œuvre très importante et qui s’occupe des enfants des rues, des adultes en difficulté. Il y a même un centre de formation pour apprendre un métier. Les jésuites ont aussi un centre d’accueil pour les migrants. Il faut savoir qu’il y a un demi-million d’immigrés au Chili (ndlr : pour environ dix-huit millions d’habitants).

La vie consacrée est le thème pour l’année 2015. Où en sont les vocations au Chili ?

Le manque de vocations religieuses est aussi un souci aujourd’hui. Des congrégations féminines s’en vont faute de recrutement. Nous même, n’avons cette année que quatre entrées. On fait pourtant du travail de « promotion vocationnelle ». Mais le contexte est difficile, la sécularisation du pays est beaucoup plus rapide que cela l’a été en Europe.

Propos recueillis par JF Laparre

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