Le Synode spécial pour l’Amazonie se tient à Rome du 6 au 27 octobre prochain. À cette occasion, le P. Thierry Linard de Guertechin, jésuite belge géographe et démographe qui vit au Brésil depuis 1975, témoigne de son engagement en faveur de la justice sociale. Membre de l’Observatoire de justice sociale, le Centre social de la Compagnie de Jésus au Brésil, il est aussi membre de la Commission Justice et Paix de l’Archidiocèse de Brasília.

Quand je suis arrivé au Brésil, en 1975, après mon ordination sacerdotale, c’était la dictature militaire depuis 1964 ; elle durera jusque 1985. La société brésilienne connaît ensuite un certain processus de démocratisation, notamment avec la garantie aux couches les plus pauvres de la population d’une vie plus digne et la sécurité sociale.

Une société marquée par de profondes inégalités sociales

Je réside à Brasília. C’est là que se trouve le noyau central de l’Observatoire de justice socioambientale Luciano Mendes de Almeida (OLMA), dont je suis membre, et qui résulte du remaniement des anciens Centres sociaux de la Compagnie de Jésus au Brésil et veut articuler en réseau les différentes oeuvres sociales de la Province. Concrètement, à Brasília même, j’ai lancé avec une équipe de laïcs le projet Dialogues en construction, sous forme de séminaires mensuels, pour former un « noyau pensant » pour l’OLMA et contribuer à forger une opinion publique.

Suite aux événements politiques de ces dernières années, avec l’empêchement de la Présidente Dilma et la prise de pouvoir par son vice-président, la société brésilienne s’est profondément divisée. Notre projet Dialogues s’est donné pour mission de dépasser le manichéisme politique en cours jusqu’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’organiser une confrontation du pour et du contre, mais d’appeler à une réflexion qui ouvre un espace de conversation et d’échange avec des acteurs sociaux et politiques désireux de construire une démocratie plurielle par des engagements divers au niveau politique.

Structurellement, la société brésilienne est toujours marquée par de profondes inégalités sociales. Son paradigme de Casa-Grande e Senzala (Maître et Esclaves, du nom de la fresque historique du sociologue et écrivain brésilien Gilberto Freyre), visible dans les paysages urbains et ruraux, n’a en rien évolué. Les politiques sociales se limitent à diminuer les effets de cette inégalité fondamentale, sans s’attaquer à ses causes structurelles.

Au cœur de la favela

Une semaine par mois, je me rends à Rio de Janeiro, dans la favela de la Rocinha, où j’ai vécu jusqu’en 1998. L’institution ASPA y a ouvert une crèche pour 180 enfants et, fait notable, une pouponnière. La demande de crèches a considérablement augmenté en raison du travail des femmes ; l’État, en manque de structures d’accueil, fait appel aux communautés locales. L’ASPA offre aux enfants de la favela l’accès à une bibliothèque, à une ludothèque et à d’autres activités socio-éducatives. Il existe un projet d’école de devoirs pour aider les enfants de l’école primaire. L’ASPA fait partie d’un réseau d’institutions populaires de la Rocinha et exerce un rôle déterminant dans la lutte pour de meilleures conditions de vie dans la favela. À Rio de Janeiro, j’ai enseigné la démographie et les statistiques non-paramétriques au département de sociologie de la PUC/RJ, mais surtout travaillé au Centre social de la Compagnie qui, en 1998, a déménagé à Brasília. Cet institut, appelé Institut Brésilien de Développement (IBRADES), étant lié organiquement à la Conférence Nationale des Évêques du Brésil (CNBB), j’ai accompagné l’équipe de Pastorale sociale de la Conférence. J’exerce, aujourd’hui encore, le rôle de conseiller auprès de la CNBB.

Deux fois par an, je rencontre les missionnaires belges, surtout les Fidei donum, prêtres diocésains envoyés à l’Église brésilienne par leurs diocèses respectifs. D’un âge respectable – tout comme moi –, ils  ne regrettent rien et sont heureux de leur vie missionnaire au service du Règne de Dieu. Comme eux, je suis conscient de vivre un changement d’époque qui affecte la vie ecclésiale. Tout en
constatant la fin d’une certaine chrétienté, nous devons promouvoir une vie plus évangélique au service de ce monde qui en a grandement besoin.

Synode spécial pour l’Amazonie : enjeux et espoirs

Le 15 octobre 2017, le pape François a annoncé la convocation d’un Synode spécial des évêques de toute l’Amazonie, territoire qui s’étend au-delà du bassin du fleuve. Le Synode a lieu en octobre 2019 et se tient à Rome, signe que le pape entend y prendre une part active. Le thème de la rencontre : « Nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». Ces nouveaux chemins seront élaborés pour et avec le peuple de Dieu qui habite dans la région. (…)

Les réflexions du Synode spécial, en partant d’un territoire spécifique, entendent dépasser le domaine strictement ecclésial, voire ecclésiastique, ainsi que le champ de l’Amazonie et être pertinentes pour l’Église universelle et pour l’avenir de la planète. Le Synode s’annonce comme un kairos pour les peuples et les Églises de la Grande Amazonie, en tant qu’il met en valeur les processus sociaux et ecclésiaux qui produiront des fruits dans le temps post-synodal.

En savoir +

> Thierry Linard de Guertechin sj, Le Synode spécial pour l’Amazonie : enjeux et perspectives, dans En Question, la revue trimestrielle du Centre Avec, n°126, juillet-septembre 2018.
> Interview du P. Thierry Linard sj dans le journal Dimanche.