Travailler aux fondements qui nourrissent et éclairent les multiples aspects du fait de vivre aujourd’hui, telle est la perspective des Archives de philosophie. Zoom sur cette revue réputée auprès des chercheurs et des universitaires, avec son rédacteur en chef, le P. Laurent Gallois sj, spécialiste de philosophie britannique moderne et d’idéalisme allemand.

revue Archives de philosophie La revue Archives de Philosophie a pour objet de travailler à partir des questions de notre temps. En publiant des articles de recherche, elle montre que les sujets, sur lesquels chacun est tenté de se prononcer si spontanément, sont plus complexes qu’on ne l’imagine. Elle invite à se mettre à distance de la première réaction, de l’émotion ou du tweet, ce qui peut paraître à rebours de la culture actuelle, car réfléchir se fait dans le temps et non pas en un clic. La philosophie n’est pas faite pour offrir un prêt-à-penser sur des problèmes posés mais elle met en capacité de s’approprier des thématiques, de se situer et d’avancer dans le monde d’aujourd’hui non sans se référer à l’histoire. Nous considérons que le lecteur est capable de lire des articles de philosophie et de forger son propre jugement.

Un travail de long terme

Les sujets développés dans les dossiers (« Les savoirs de la famille », « Philosophie de la photographie », « La vieillesse chez les Anciens », « Médecine et humanisme », « Histoire de la race », etc.) sont variés. Si les questions contemporaines sont présentes, elles ne sont pas traitées sous l’angle de l’immédiateté, de l’actualité ou de la solution mais au travers d’un long travail. Des résonances étonnantes se produisent pourtant parfois entre la programmation et les événements politiques. Par exemple, le cahier publié début 2019 et consacré au philosophe allemand Habermas, spécialiste des questions de consensus, est paru au milieu de la crise des Gilets jaunes tandis qu’il traitait du problème de la représentativité. Nous abordons d’ailleurs assez souvent des questions politiques, comme celle de notre responsabilité pour la justice, toujours en donnant le recul nécessaire à la pensée.

Promenade intérieure

La philosophie peut déranger, voire faire peur. Perçue comme peu compréhensible ou abstraite, voire coupée du réel, elle suscite des interrogations sur son utilité, surtout si, en bien des milieux croyants, elle ne traite pas immédiatement et explicitement de la foi ni de Dieu. Archives de Philosophie incite le lecteur à dépasser ces réticences et a priori. Lire un texte de philosophie, c’est en effet comme partir en randonnée, sur des chemins où des paysages inattendus se découvrent et touchent intérieurement. Par moments la difficulté est réelle, et puis des clairières ou des points de vue s’offrent au marcheur persévérant. À son arrivée, il relira son voyage et s’apercevra que, régulièrement, il y a eu des points de vue lumineux. Le tracé de ces points représente l’aspect fécond de sa promenade. Il en est de même pour la lecture philosophique, où le lecteur perçoit des lumières sur ce qu’il est en train de vivre.

Cent ans d’histoire

Fondée en 1922 par des jésuites enseignant dans une des deux maisons de formation philosophique des jésuites français à Vals-près-le-Puy, en Haute-Loire, la revue naît dans un contexte où cohabitent des courants politiques fortement anticléricaux ainsi que des philosophes convaincus qu’il est possible d’être religieux et de mener une activité intellectuelle exempte de toute apologétique du christianisme. Le P. Joseph Souilhé sj a, notamment, incarné cet équilibre. Tout comme le P. Marcel Régnier sj plus tard. Depuis 2002, nous sommes édités par le Centre Sèvres. La Compagnie de Jésus permet à la revue d’exister librement jusque dans sa pratique éditoriale. La revue s’appuie aussi sur un comité de rédaction composé de personnalités de sensibilités philosophiques très différentes. Attentives aux questions nouvelles qui se posent, elles sont forces de propositions thématiques. L’éditeur et le comité de rédaction sont les deux piliers de la revue.

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Laurent Gallois P. Laurent Gallois sj,
rédacteur en chef de la revue Archives de philosophie,
communauté Manrèse (Clamart)

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Petit exercice de contemplation du monde et d’examen de soi

Dans quelle mesure la contemplation du monde me donne-t-elle de mieux me connaître et sentir ce qui se passe en moi ? À partir de ces deux citations, je peux entrer dans un petit exercice de contemplation. Cicéron, De Legibus I 61 : « Cet homme, quand il aura traversé du regard le ciel, la terre, les mers et la nature en son entier ; qu’il verra d’où sont issues toutes ces choses et où elles doivent aller, quand et comment elles périront, ce qui est mortel et fragile en elles, ce qui est divin et éternel ; quand il saisira […] qu’il n’est lui-même plus limité aux murs d’une cité mais qu’il est citoyen du monde entier comme d’une cité unique, alors, au milieu de cette grandeur des choses, dans cet examen et cette connaissance de la nature, il se connaîtra lui-même« .
Shaftesbury, Lettre sur l’enthousiasme, Section 4 28 : « Il nous est impossible de contempler quoi que ce soit au dessus de nous tant que nous ne sommes pas en condition de regarder en nous et d’examiner calmement le tempérament de notre propre esprit et nos passions ».

La philosophie est dialogue

Parce que les grands courants de la philosophie venaient d’Allemagne et d’Angleterre, la revue a été, à ses débuts, marquée par les penseurs issus de ces pays. Cela participait aussi, après la Première Guerre mondiale, d’un souci de jeter des ponts entre les milieux intellectuels francophone et germanophone, en montrant que le dialogue entre philosophes de nations ennemies mais habités par les mêmes questions était possible. Ce dialogue incarnait la dimension universelle de la philosophie. La revue le cultive aujourd’hui en particulier entre philosophie et sciences humaines (sociologie, psychanalyse, histoire, langage, etc.).