Noël à Calais – récit du P. Philippe Demeestère sj

Noël à Calais – récit du P. Philippe Demeestère sj

Le P. Philippe Demeestère sj a participé à la messe de Noël à Calais, près d’un camp de migrants Erythréens. Dans le récit qu’il fait de la célébration, il s’interroge également sur l’accueil réservée aux personnes exilées par la société française, l’Eglise et par nous-mêmes. « Quelles montagnes doivent être abaissées, quels ravins comblés, quels chemins redressés pour que soient traversés les atermoiements, les sagesses, les prudences, les joliesses idéologiques et spirituelles qui nous tiennent à distance des personnes exilées tandis que, pourtant, nous mangeons et buvons avec elles (Lc.13, 26) ? »

24/12/21 – 20 heures – Calais

autel - messe de noel - calais - 2021 Olivier Leborgne, évêque d’Arras, Pierre Poidevin, curé de Calais, Maurice Houeha, compagnon de Jésus, Béninois, concélèbrent la messe de Noël. Dehors, à proximité immédiate d’un lieu de vie des personnes exilées. Un lieu de vie ? Entendre : un terrain boueux, situé à l’écart de la ville, derrière une déchetterie. Au pied de l’autel, une croix en fer forgé, déposée sur de la paille : une croix aux bras levés, comme ceux de l’enfant de la crèche ; une croix au tronc creusé, traversé par une forme de vague, tout comme le corps du nouveau-né, ceint de bandelettes, apparaît déjà réclamé et aspiré par les grandes eaux de la mort. Deux chants viennent ponctuer la célébration : « Voici la nuit, l’immense nuit des origines » ; « Pour que l’homme soit un fils ».

autel - messe de noel - calais - 2021 Cette liturgie vient clore le temps de l’Avent, durant lequel nous avons été quelques-uns à venir régulièrement solliciter l’hospitalité des Érythréens assignés à ce nulle part, et à dormir ainsi au milieu de leur campement. La démarche s’apparentait à une prise de veille. Comme au chevet d’une personne en fin de vie, ici, sur ce lieu marqué du sceau de l’impuissance, la veille, mélange de présence et d’absence, cache l’accès à un ailleurs que l’enfermement.

Et voici donc que « la mort, comme le jour, illumine » (Ps.139, 12). Que dire de cette lumière propre à la nuit ? Elle est circoncision de la clarté du jour ; elle est brisure des Tables de la Loi ; elle est table défaite du soir du Jeudi Saint ; elle est parabole soustraite à la morgue du langage ; elle est opacité de la boue déposée sur les yeux de l’aveugle-né.

autel - messe de noel - calais - 2021 Noël à Calais où, devant ce qui est fait, ici, à l’homme, me revient en mémoire la Déclaration de Repentance de l’Église de France, datée du 24/09/1997, par laquelle celle-ci interroge son attitude devant l’antisémitisme d’État, qui, dès après la déroute de 1940 : « privait les Juifs français de leurs droits, et les Juifs étrangers de leur liberté ». « Dans leur majorité, les autorités spirituelles, empêtrées dans un loyalisme et une docilité allant bien au-delà de l’obéissance traditionnelle au pouvoir établi, sont restées cantonnées dans une attitude de conformisme, de prudence et d’abstention. […] Le résultat, c’est que la tentative d’extermination du peuple juif, au lieu d’apparaître comme une question centrale sur le plan humain et sur le plan spirituel, est restée à l’état d’enjeu secondaire ». « S’il est vrai qu’on peut citer en abondance des gestes de solidarité, on doit se demander si des gestes de charité et d’entraide suffisent à honorer les exigences de la justice et le respect des droits de la personne humaine. »

Quels pouvoirs, quelles lumières nous dissimulent aujourd’hui l’étoile qui nous presse de nous faire proches de ceux qui gisent à l’ombre de la mort (Lc.1, 79) ? Quelles montagnes doivent être abaissées, quels ravins comblés, quels chemins redressés pour que soient traversés les atermoiements, les sagesses, les prudences, les joliesses idéologiques et spirituelles qui nous tiennent à distance des personnes exilées tandis que, pourtant, nous mangeons et buvons avec elles (Lc.13, 26) ?

messe de noel 2021 - calais - avec les migrants Noël. Nous entendons prendre à pleine brassée l’enfance qui nous rend à l’ombre portée de nos jours. Le fils de Marie, le fils du charpentier est bien le frère aîné de ces enfants à qui est promise l’entrée dans le Royaume des Cieux (Mc.10, 13-16) lorsqu’ils rompent sans ménagement le cercle des importances, bousculent les commerces entendus de reconnaissance, les prêt-à-porter empesés des notabilités.

Et je prie. Je prie pour que le Sain d’Esprit nous rende le sens du combat pour la vie, la disponibilité pour l’affrontement. Aujourd’hui, par quels chemins passe la fidélité à Celui qui, lumière née de la lumière, lumière née au milieu du peuple de la nuit, est monté à Jérusalem ?

Texte écrit le 28/12/2021, en la fête des saints innocents,

par le P. Philippe Demeestère sj, Aumônier du Secours Catholique du Pas-de-Calais

pere philippe demeestere jesuite

2022-11-24T16:59:59+01:004 janvier 2022|

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