Covid, cancer ou maladie grave : quand le mal survient et éprouve durement et longuement, sans certitude face à l’issue, à quoi ou à qui s’accrocher ? Deux jésuites témoignent de la manière dont ils ont traversé cette épreuve et quelles ont été leurs lueurs d’espérance.

Jonas, ou l’accueil de l' »aujourd’hui » habité de Dieu : témoignage du P. Kostia de Leusse sj

Kostia de Leusse (2) Jonas devait aller à Ninive. Prenant le chemin inverse, il se retrouve dans une baleine… Finalement arrivé dans la ville si grande qu’il fallait trois jours de marche pour la traverser, il parvient, en une seule journée, à la convertir tout entière par sa prédication. Et toute la ville se convertit par décret du Roi. Après cette unique journée de labeur, le prophète n’a plus qu’à faire une pause. Il se repose à l’ombre d’un ricin, un arbuste poussé là par bonté divine. Énervé de cette trop rapide conversion de Ninive, Jonas râle contre Dieu. Le ricin meurt, privant l’homme de son ombre. Il redouble de colère. Dieu lui apprend alors à regarder et à comprendre son incapacité à entrer dans l’aujourd’hui de Dieu. Jonas est invité à comprendre l’œuvre de miséricorde en cours sous son regard : telle est sa chance.

Ninive, c’est ma mission ; la baleine, un cancer et toutes les tracasseries de santé qui m’assaillent de longue date. Ninive, c’est ma chance : celle d’accompagner des étudiants de l’Icam, de Purpan et de la paroisse des étudiants. Et mon ricin ? C’est peut-être cette « pause covidesque » qui s’est imposée à moi…. Mais ce ricin ne produit plus l’ombre escomptée : après la quarantaine règlementaire, je reste positif et sept jours supplémentaires me sont encore imposés…

Le ricin qui prend soin

Ma conclusion après 22 jours de confinement ? Prendre soin de moi à l’aide de l’huile de ricin. Mettre de l’huile sur ma patience, apprendre à regarder, apprécier… Mesurer la « chance » d’être touché par le Covid après avoir été vacciné et, surtout, d’avoir reçu un traitement personnalisé, alors que, dans tant de pays par lesquels je suis passé (Cambodge, Sri Lanka et même la France), des personnes plus pauvres ou même dans mon état de santé, n’ont pas pu profiter de ces traitements. M’émerveiller aussi du dynamisme et de la générosité des soignants à mon égard. Goûter cette chance d’être entouré par ma communauté, en lien avec ma famille et tant d’amis de toutes périodes et lieux de vie. En ce temps de retrait, j’apprécie mieux ma chance et m’émerveille de collaborer, dans mes missions, avec des personnes de qualité, laïcs et clercs…

L’impatience me guette souvent mais je dois me confiner, pour vous protéger, tout autant que me protéger.

Mais je sais que, lorsque le « vrai » moment viendra – et je n’en connais ni le jour, ni l’heure, et n’en ai pas peur aujourd’hui –, je me marrerai de l’incongruité apparente des choses et m’émerveillerai plutôt de leur sens invisible et surnaturel.

P. Kostia de Leusse sj,
Aumônier d’étudiants, communauté de Toulouse

Le Covid dans la Bible ? Témoignage du P. Vincent Klein sj

Vincent Klein « Le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués ; il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : « Impur ! Impur !« . Tant que durera son mal, il sera impur et, étant impur, il demeurera à part : sa demeure sera hors du camp. » (Lv 13, 45-46).

La pandémie ne semble pas se terminer. Au contraire, le virus continue à se répandre. On peut légitimement se demander qui y échappera. « Deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. » (Mt 24, 40-41).

Nous avons été quatre, dans notre communauté à Marseille, à attraper le virus en début d’année. Pourquoi nous et pas les autres ? Aucune raison apparente ne semble pouvoir l’expliquer. C’est ainsi, c’est tout. Rien de grave cependant : nous sommes tous en ordre de vaccination et le variant Omicron semble se révéler bien moins dangereux que ses prédécesseurs. Nous sommes loin des épisodes dramatiques que beaucoup ont connus lors des premières vagues, y compris dans plusieurs communautés de notre Province.

Cela ne nous a pas empêchés de vivre une quarantaine plus ou moins courte, selon les résultats des tests. Tout déplacement dans la maison, hors de sa chambre, même avec un masque et les mains désinfectées au gel hydro-alcoolique, provoquait des réactions de distanciation et de défiance de la part des autres membres de la communauté… ce qui est bien naturel. Mais comment ne pas se sentir comme un « lépreux », obligé de crier « Impur ! Impur ! » ou d’agiter une crécelle sur son passage ? Nous mangions ensemble dans une salle séparée et, même entre nous, nous gardions les distances, bien qu’atteints du même « mal ». L’humour alternait allègrement avec des moments d’impatience, chacun réagissant différemment. Pour moi, cet épisode, somme toute assez anecdotique, a été l’occasion de me sentir un peu plus proche des personnes isolées, écartées, « pestiférées », soit du fait de leur maladie ou du grand âge, soit du fait de l’isolement dû à leurs actes, comme en prison par exemple[1].

Dans l’Évangile, on voit Jésus transgresser les mesures sanitaires et se rendre impur aux yeux de la Loi pour guérir un homme couvert de lèpre. Il étendit la main et le toucha en disant : « Je le veux, sois purifié. » (Lc 5, 13). Il vient nous rejoindre dans nos enfermements et chemine ­avec nous vers la vie, dans la patience et la persévérance. Dans un autre épisode, il envoie dix lépreux ­– qui respectent les distances sanitaires et l’interpellent de loin – se montrer au prêtre en signe de guérison. Ils y vont, montrant ainsi une foi étonnante dans l’action du Christ, et sont guéris en chemin. Et pourtant, un seul revient sur ses pas, remonte à la source de la vie et tombe face à terre devant Jésus (Lc 17, 11-19). Puisse ce temps de pandémie, au-delà des solitudes, des frustrations, des divisions et des dégâts multiples qu’il entraîne, être une occasion pour chacun de poser un acte de foi en Dieu et dans sa promesse de vie et de faire un geste d’humilité et de reconnaissance envers Celui qui est source de la vraie joie.

P. Vincent Klein sj,
Communauté Notre-Dame des Missions à Marseille

[1] Le P. Vincent Klein a une longue expérience d’aumônier de prison en Belgique, au Luxembourg et à Marseille.

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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