Juriste de formation, le P. Philippe Landenne sj, 63 ans, côtoie l’univers carcéral depuis plus de 40 ans, d’abord comme visiteur, ensuite comme aumônier de prison à temps plein durant plus de 30 ans. Témoin en première ligne de la détresse humaine qui se vit derrière les barreaux, il plaide pour une justice réparatrice, celle qui redonne vie et recrée des liens.

La force de la non-violence

« Le jour où je ne m’indignerai plus (..), où je m’habituerai, il sera temps que j’arrête d’aller en prison ».

Dans ce podcast « La force de la non-violence », disponible sur YouTube et sur le site force-nonviolence.fr , le P. Phillippe Landenne sj livre un vibrant témoignage d’aumônier auprès de personnes incarcérées et aborde diverses questions sur la prison et sur la justice pénale qui le traversent.

Convaincu qu’« une démarche de justice n’est possible que si elle reconnecte la personne [coupable d’une infraction] avec ce qu’elle de meilleur en elle », il plaide pour une ouverture vers la justice réparatrice et donne un éclairage sur l’apostolat social que les jésuites cherchent à vivre pour collaborer à la réconciliation de toutes choses en Christ.

« Si on veut promouvoir une sécurité dans la logique de la non-violence, on doit toujours rester attentif à ça : est-ce qu’on parle d’une sécurité qui crée des murs infranchissables où les violences vont germer ou est-ce qu’on parle de la « safety », du soin de l’autre ? » Philippe Landenne sj

« La violence, pour moi, c’est le bruit que fait une souffrance qui n’est pas entendue »

P. Philippe Landenne sj

Prison Philippe Landenne

Philippe Landenne sj avec des détenus dans une prison du Kivu (RD Congo).

Le P. Philippe Landenne sj en quelques dates

Novembre 1975 : étudiant en droit à l’Université de Louvain, Philippe Landenne entre pour la première fois dans une prison. Bruits de grilles assourdissants, lumières éblouissantes, odeurs prégnantes : une expérience forte et inoubliable. À 20 ans, Philippe obtient de devenir visiteur à la prison centrale de Louvain et y rencontre les détenus « de longue peine ». Un an plus tard, il entre dans la Compagnie de Jésus. Il poursuit l’accompagnement de ses amis détenus et devient aumônier de prison après son ordination.

En 1991, il obtient de vivre une incarcération volontaire anonyme de trois mois sous la forme d’une « retraite exposée » dans une prison suisse. « L’expérience était artificielle, certes, mais je me sentais appelé à vivre pour un temps la détention de l’intérieur, avec tous mes sens ». Cette exposition discrète et silencieuse au quotidien vertigineux des personnes incarcérées le remue profondément. Elle l’aide probablement à poursuivre son engagement derrière les murs davantage comme un « contemplatif dans l’action ». Philippe partage un journal de bord relatant cette expérience dans son ouvrage Résister en prison, patiences, passions, passages… Plus récemment, il évoque celle-ci dans une longue interview filmée :
Il partage également de belles réalisations, comme la création des « Catacombes », un espace communautaire aménagé avec les prisonniers dans les caves de la prison de Lantin (Liège), devenu lieu de partage et source de vie. Quittant les murs de la prison, ce réseau communautaire est toujours vivant aujourd’hui. Quelques anciens détenus, leurs familles et leurs amis, se retrouvent régulièrement à l’Espace Loyola, en lien avec la communauté jésuite de Liège.

L’addition cachée de la peine

Philippe Landenne accompagne des condamnés à de lourdes peines. Il aime partager les paraboles de libération, de guérison, parfois de réconciliation, écrites humblement et « malgré tout » par de nombreux détenus ; ces derniers l’étonnent souvent par leur résilience et des élans d’humanité et de solidarité qui éclairent ce pays de l’ombre ! Cependant, dans un deuxième livre, Peines en prison, l’addition cachée, Philippe décrit aussi comment la prison reste un lieu dégradant. Elle ressemble à une arme de destruction massive dans son fonctionnement actuel : au-delà de la simple privation de liberté, de multiples peines affectent non seulement le détenu, mais également les proches des détenus et toutes celles et tous ceux qui travaillent en prison dans des conditions de précarité inacceptables. On ne peut qu’évoquer ici les maux carcéraux : promiscuité, indigence, dépersonnalisation, dépendances, trafics, isolement, ruptures familiales, insécurité, radicalisme, violences multiples et parfois suicides… Comment le détenu peut-il se reconstruire dans ce contexte ? Et une fois la peine purgée, comment peut-il retrouver une place dans la société ? Mais peut-on risquer d’évoquer ces peines qui s’additionnent face à la détresse immense des victimes d’actes criminels ou délictueux ? Pour celles-ci, les indemnités à rembourser et les années de prison infligées à l’auteur ne permettent quasi jamais la réparation du traumatisme profond subi. Elles restent souvent seules avec la conviction vertigineuse que personne ne peut comprendre l’impact du drame injuste qu’elles ont vécu. Un énorme besoin d’écoute, d’attention et de soutien communautaire et tant de questions lancinantes. Derrière celles-ci, une angoissante quête de sens : « Comment retrouver un peu de paix ? Comment retrouver confiance ? Comment apaiser ma révolte et mon incompréhension ? Et Dieu, où est-il ? Comment croire encore ? »

Pour une justice réparatrice

Touché par toutes ces détresses, le jésuite plaide pour une « justice réparatrice », qui redonne vie. Aujourd’hui, l’ancien aumônier de prison, gardant un accès régulier à l’intérieur des murs, est soucieux de restaurer des liens pacifiés entre les offenseurs, les victimes et les communautés locales. Ayant découvert au
Canada les intuitions de la restorative justice, il cherche à promouvoir cette justice alternative qui se démarque de la justice pénale, punitive. L’enjeu n’est pas d’abord d’infliger une peine à l’auteur mais de soulager la peine de la victime et celle de la communauté, puis de restaurer un vivre ensemble sans exclusion. Et l’offenseur qui prend ses responsabilités en vérité dans un processus de réparation peut contribuer de manière irremplaçable à la restauration des liens humains dans la communauté… à condition que celle-ci le soutienne et ne l’exclue pas ! L’apaisement des relations peut survenir à partir du moment où chaque personne affectée peut être entendue dans sa souffrance profonde. C’est un long travail d’enfantement pour retrouver les sources de la confiance et cela ne signifie nullement l’oblitération du passé douloureux.

Chrétiens et réconciliation

Philippe Landenne interroge la communauté chrétienne, souvent mal à l’aise et silencieuse, parfois même résignée à soutenir une vision répressive de la justice. Il est vrai qu’imprégnée de discours politiques sécuritaires et de lectures médiatiques généralisatrices, notre société exprime confusément son sentiment d’insécurité face au phénomène de la délinquance. À contre-courant de ce mouvement, Philippe Landenne rappelle : « Dans la ligne des dernières Congrégations générales, nous sommes pourtant invités, en tant que jésuites, à promouvoir une justice selon l’Évangile et à œuvrer pour la réconciliation. La justice biblique ne suggère-t-elle pas que la pierre rejetée soit la pierre d’angle du Royaume ? ».

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Cet article est issu de la revue Échos jésuites (printemps 2018), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour cela, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.