Vivre la multiculturalité avec la communauté jésuite de Maurice

Située à 10 000 kilomètres du centre de notre Province, la communauté jésuite de Maurice est loin d’être périphérique par les enjeux culturels du pays et de son Église. Peuplée au gré des mouvements de bateaux venus d’Europe, d’Afrique, de Chine et d’Inde, sa population est un savoureux mélange de visages du monde entier, qui se reflète aussi dans la composition de la communauté jésuite.

Communauté Maurice 2018

La communauté jésuite de l’Île Maurice © G. Col

Petit pays de 1 800 km2 comptant 1,3 million d’habitants, l’île Maurice étonne par la diversité culturelle de sa population. Colonie française en 1715, passée à la Grande-Bretagne en 1810, ce lopin de terre a vu s’établir les colons français et britanniques, mais surtout des milliers d’esclaves d’Afrique et de Madagascar, puis des « travailleurs » indiens produisant des richesses au bénéfice des métropoles européennes. À l’indépendance de l’île, en 1968, la physionomie socio-culturelle de la population est bien dessinée, gravée dans les lettres de nos constitutions : nous sommes « Hindus », « Tamils », « Muslims »,  » Chineses » et une « Population générale » regroupant les descendants des Français, des esclaves, des « Tamils » convertis au christianisme et tous les métissés qu’ont produits les décennies de cohabitation.

Une présence jésuite

Appelés à Maurice pour « prendre soin des âmes des Indiens », les jésuites Roy, brahmane indien converti, et Pucinelli, d’origine italienne, fondent en 1861 la Mission indienne, offrant à l’île une présence jésuite ininterrompue jusqu’à nos jours. Après l’arrivée d’autres missionnaires jésuites du sud de l’Inde et de Madagascar, les jésuites se déplacent de la capitale Port-Louis vers Rose-Hill, petit bourg (aujourd’hui grande ville) au centre de l’île. La communauté jésuite y est toujours établie, bien située pour rayonner sur le territoire tout en étant un lieu d’accueil de nombreux pèlerins, pas nécessairement catholiques, venant prier devant la grotte de Notre-Dame de Lourdes et se confier à saint Ignace, aux deux extrémités de la grande allée menant à la résidence.

Une communauté à l’image du pays

Maurice

De nombreuses personnes confient leur prière au « bon papa Ignace », qui trône au cœur d’un magnifique banyan (arbre sacré).

À l’image de la population catholique de l’île, la communauté jésuite rassemble, outre les missionnaires venus de France et un de l’Inde, des Mauriciens de toutes origines. Descendants de nos aînés de France, d’Inde, de Chine, d’Afrique et de Madagascar, nous portons des traces vivantes de notre culture forgée en même temps que le peuplement du pays, avec tout ce que nous avons hérité de beau… et le reste aussi. Bien qu’habité par un sentiment d’appartenance à une culture mauricienne, chacun, à sa manière, porte les empreintes d’une tradition franco-mauricienne, tamoule, chinoise ou créole léguée par ses ancêtres. Cela se reflète bien évidemment dans nos goûts culinaires, ce qui complique parfois la tâche de la cuisinière…, et se trahit aussi dans le regard que nous posons sur la société mauricienne et les enjeux du vivre-ensemble sur l’île. La diversité est une richesse inestimable dont nous avons la chance de profiter dès notre plus jeune âge, mais le quotidien comporte moult défis venant de la position des groupes ethniques, qui n’a cessé d’évoluer durant notre courte histoire de trois siècles.

Les deux temps de confinement total que le pays a connus à cause de la Covid-19 ont été une bonne manière d’expérimenter le vivre-ensemble, à six, dans la résidence. Comme par enchantement, chacun a trouvé sa place dans la logistique communautaire pour assurer des liturgies priantes et belles, mais aussi pour offrir une maison propre, du linge bien lavé et repassé et, bien sûr, des menus acceptables par tous ! Plus qu’une expérience, c’était un expériment, au sens jésuite du mot, où s’est révélé le meilleur de ce que nous avons et de ce que nous savons faire. Cela illustrait ce qui est à la fois unique en chacun et commun à tous : l’expérience des Exercices spirituels et de la Compagnie de Jésus. Expérience qui donne sens à ce que nous sommes et à ce que nous ne cessons de devenir, quel que soit le nombre d’années dans la Compagnie de Jésus.

Émerveillement

communauté île maurice 2 Jeune ado, servant de messe, je me demandais comment ces jésuites – dont je pouvais assez facilement deviner les différences culturelles, d’origine ou de tempérament – pouvaient vivre ensemble dans cette maison aux allures de boîte carrée, posée sur des fondations de pierre. Aujourd’hui, en contemplant la résidence, je suis émerveillé de voir des personnes si différentes frapper à la porte, cherchant un jésuite pour se confier, parce qu’elles savent qu’elles trouveront ici une oreille attentive et une écoute sans jugement ni condamnation, quels que soient leur origine, leur culture, leur souci, voire leur religion.

Je suis émerveillé parce que nous-mêmes, grâce à la Compagnie de Jésus, avons pris le risque de nous connaître dans la rencontre avec les cultures, que notre formation et nos ministères nous ont amenés à croiser. L’expérience de la Compagnie nous met à l’épreuve de la rencontre avec nous-même et avec les autres. Cette mise à distance nous permet, en définitive, d’être heureux dans l’accueil et l’entente entre cultures, qui se cisèlent chaque jour à la suite du Christ.

P. Sylvain Victoire sj
Formateur en spiritualité
Communauté de Rose-Hill à Maurice

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (automne 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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