Le P. Marc Cortembos est jésuite. Il a passé une bonne partie de sa vie au Congo. Dans ce récit, il partage combien trouver sa place entre la Belgique et le Congo lui a demandé de la patience et d’être à l’écoute de l’Esprit. Parmi les signes qui l’ont aidé à discerner, il y a l’attachement de ses anciens paroissiens, l’intercession des anciens du village… Sa vie est alors « une façon de témoigner de l’amour de Dieu, qui est resté fidèle jusqu’au bout. »

Pont provisoire sur la rivière Mfidi ; pèlerins en route vers Mbata Kulunsi, pèlerinage diocésain annuel (130 km)

Pont provisoire sur la rivière Mfidi ; pèlerins en route vers Mbata Kulunsi, pèlerinage diocésain annuel (130 km)

Le sentiment d’être l’exception

Arrivé au Congo avec mes parents, en 1952, j’y ai fait mes études secondaires. J’y suis revenu en 1965, pour la régence et la théologie, que j’ai pu faire au séminaire Jean XXIII de Kinshasa, car je désirais m’inculturer, être plus proche de ceux qui seraient les prêtres de demain, devenir « africain ».

Dans la Province jésuite d’Afrique centrale, les vocations jésuites se multipliaient, la relève était assurée. C’était aussi l’époque où le livre de Luneau et Jean-Marc Ela – Le temps des héritiers – faisait flotter dans l’air comme le sentiment qu’il était temps de laisser la place aux « héritiers ». Progressivement, les communautés jésuites ont viré du blanc au noir. Il n’était pas toujours facile de se retrouver dans une communauté où on est l’exception, différente par l’âge, l’origine, l’histoire. Comme prêtre, j’ai commencé l’itinérance dans les villages. C’était l’époque de la découverte des communautés de base en Amérique latine. Pendant quinze ans, j’ai parcouru les villages dans plusieurs paroisses du Kwango (RDC). Puis à Kisantu, à cent vingt kilomètres de la capitale, dans une paroisse urbaine, pendant quatorze ans.

Sur la route de Mbata : ma sœur et ma belle-sœur fraternisent avec les mamans du pèlerinage

Sur la route de Mbata : ma sœur et ma belle-sœur fraternisent avec les mamans du pèlerinage

Je me rendais compte aussi que, malgré mon désir d’être « africain », je restais quand même étranger et qu’un prêtre du pays ferait mieux que moi à la paroisse.

Discerner où est sa place

Gommaire, un ancien élève de Kimwenza (1966), est de tous les pèlerinages, avec un sourire indéfectible

Gommaire, un ancien élève de Kimwenza (1966), est de tous les pèlerinages, avec un sourire indéfectible

Enfin, le désir de retrouver mes racines européennes, de m’insérer dans un travail apostolique en Europe, avait grandi en moi. Et je me disais qu’il ne fallait pas attendre d’être trop âgé, pour pouvoir m’adapter à une nouvelle vie. Si bien qu’à Noël 2003, je suis rentré en Belgique. Dans mon esprit, c’était une décision définitive.

J’ai passé quatorze ans en Belgique, dans différents ministères. J’ai eu des rencontres et des amitiés précieuses ; mais je n’ai jamais perdu de vue les amis du Congo. Et en 2017, lors d’un nouveau séjour de deux semaines à Kisantu, j’ai été profondément interpellé par l’attachement de mes anciens paroissiens.

Alors, j’ai demandé aux anciens, enterrés à Kisantu de m’aider à discerner. De retour en Belgique, l’idée d’un retour au « pays » s’est peu à peu décantée en moi, non tellement pour faire beaucoup de choses (je ne suis plus tout jeune), ni pour « être africain », mais pour, d’une certaine façon, être un pont entre les amis belges et ceux du Congo. Rester moi-même, différent, étranger, mais solidaire d’un peuple qui, aujourd’hui encore, vit dans un contexte social, culturel, politique, difficile (beaucoup de jeunes n’ont qu’un rêve : celui de quitter le pays). Pour moi, retourner au pays, partager la vie quotidienne, est une façon de témoigner de l’amour de Dieu, qui est resté fidèle jusqu’au bout : « in finem dilexit eos » (Jn 13,1)

Travail manuel (artemisia - remède contre la malaria) pour garder la forme

Travail manuel (artemisia – remède contre la malaria) pour garder la forme

Et si Dieu le veut, honorer ce proverbe « mbemba go diengene diengene, kundulu m’fuma » : l’épervier peut tourner et tourner, mais finalement il ira se reposer sur son kapokier. Même s’il va au bout du monde pour son travail, un homme reviendra mourir dans son village.

Comme nous n’avons pas encore de missel ni de Bible, je publie les lectures pour chaque dimanche, en français et en kintandu, avec un commentaire dans les deux langues. Pour les trois années suivantes, ce sera la révision des traductions, si possible en équipe, en vue de la publication d’un missel et d’une Bible. Il y a, aussi, une « école du dimanche » où nous relisons, en petits groupes, les lectures du jour. Tout petit devant l’immensité de la tâche, je veux laisser travailler le Seigneur lui-même, conscient que sa Parole est efficace : « Ma parole ne retourne pas vers moi sans résultat » (Is 55).

Marc Cortembos sj (Kisantu)

P. Marc Cortembos jésuite

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