Sur l’autre rive de la Méditerranée, le P. Damien de Préville sj livre un témoignage personnel sur la vie des jésuites en Algérie : une discrète présence d’Église, profondément ancrée et nourrie de belles relations humaines.

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Des jésuites d’Alger fêtent Noël au Centre spirituel Ben Smen avec des amis.

« Mais que faites-vous là-bas ? », nous demande-t-on de loin, comme s’il n’y avait rien à faire pour des jésuites là où il n’y a pas de chrétiens, dans une société qui, aux yeux du reste du monde, semble figée malgré le sursaut populaire de 2019. « Mais que faites-vous ici ? », nous demande-t-on de près. En effet, tout le monde, ici, rêve de partir en Occident, une pensée très douloureuse à mes yeux. Un soupçon, moins sympathique mais peu fréquent, serait notre intention d’encourager la conversion au christianisme…

Alors, quelles sont, au juste, les bonnes raisons d’être là ? D’abord, être un signe que ce pays et ce peuple en valent la peine, tout simplement, car ils sont bien et beaux. On peut les aimer et y être heureux, on peut nourrir leur espérance et nous laisser nourrir par la leur ; on y puise une belle force tranquille, souvent fondée sur la confiance en Dieu. Ensuite, parce que la vie et le service selon l’Évangile sont gratuits. Notre propre conversion et celle de l’Église universelle sont en jeu : le sens d’une vie apostolique et missionnaire ne se chiffre pas en nombre de baptêmes. Enfin, parce qu’il peut faire partie de la mission des jésuites de contribuer à maintenir une vie et un témoignage d’Église dans un contexte où sa présence est très fragile.

Récemment, rendant visite à mon ami Slimane, cadre au Service de la Jeunesse et récemment engagé à la direction d’une nouvelle Maison des Jeunes, je fais connaissance avec la psychologue de sa nouvelle équipe, et nous passons deux heures à discuter. Je n’ai pas besoin de me présenter : d’emblée, elle me demande si je connais le P. Paul Desfarges sj (jésuite et actuel archevêque d’Alger), qui a été son professeur à l’université. Cette femme témoigne de son engagement dans le soin personnel de ceux qui la consultent, mais aussi de la manière dont elle sait se faire respecter par sa hiérarchie, souvent peu scrupuleuse. Ensuite, avec Slimane, nous passons en revue quinze ans de souvenirs, et notamment les jeunes d’un quartier populaire que nous avons initiés au théâtre et à l’animation, et aujourd’hui bien engagés dans leur vie professionnelle.

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Un soir de ramadan dans le jardin du Centre Culturel Universitaire (CCU) d’Alger

Ainsi, nous marchons sur les traces de nos anciens et, s’il n’est plus possible pour un étranger de travailler professionnellement en Algérie, nos institutions et notre réseau d’amis stimulent notre créativité pour rester actifs et insérés dans la société. Le P. Christophe Ravanel prépare et anime des retraites spirituelles avec des musulmans ; le P. Ricardo Jimenez fait intervenir des artistes et des auteurs au Centre Culturel Universitaire d’Alger (lire l’encadré), tandis que nous cherchons à transmettre le flambeau du CIARA (Centre de stages professionnels).

Pour Mgr Teissier, ancien archevêque d’Alger récemment décédé, c’est la persévérance du P. Jean Désigaux à maintenir ouvert le Centre Culturel Universitaire (CCU), et même à le développer durant les années 90 (période du terrorisme), qui a encouragé toutes les autres institutions d’Église à poursuivre leurs activités. Nos institutions encouragent les étudiants et les plus jeunes à un travail sérieux et à une ouverture culturelle, des dimensions trop peu stimulées à l’école et à l’université. Nos collaborateurs, presque tous musulmans, entrent très volontiers dans certaines attitudes inspirées de la pédagogie ignatienne, comme l’attention personnalisée à chacun, le désir de creuser en profondeur, la mise en pratique pour ne pas en rester à la théorie

Notre participation à une pastorale plus explicite n’est pas notre tâche principale, mais ceux qui en ont la charge savent très bien nous solliciter en fonction de notre charisme : accompagnement spirituel, visites en prison, animation de récollections, formations et même communauté d’accueil pour des jeunes en année de propédeutique (préparation à la formation de prêtre).

En fait, le plus difficile à vivre, c’est un certain isolement par rapport au reste de la Compagnie de Jésus. Voici six ans, nous avons intégré la Province du Proche-Orient, afin de créer un ensemble plus cohérent par rapport à une zone culturelle et un type de mission. Cependant, nous restons une exception, loin des uns et des autres, surtout quand l’obtention des visas devient compliquée et que les frontières se ferment pour cause de pandémie. C’est à ce moment-là que, par la qualité des relations avec nos amis et collègues musulmans, par la grande solidarité dans l’Église locale, la grâce se fait sentir plus en profondeur.

Algérie Damien Préville P. Damien de Préville sj,
Supérieur de la communauté de Constantine et Délégué du Provincial du Proche-Orient pour l’Algérie

La présence jésuite en Algérie

On trouve 2 communautés jésuites et 5 institutions.

  • À Constantine : 3 jésuites
    • La Bibliothèque Dilou (300 abonnés)
    • Le Centre de soutien scolaire Nibras (120 élèves)
  • À Alger : 7 jésuites en 3 lieux de vie (+ l’archevêque)
    • Le Centre Culturel Universitaire (CCU, en 3 lieux proches, 3300 abonnés)
    • Le Centre de stages professionnels (ex-CIARA, 800 stagiaires)
    • La Maison de Ben Smen, Centre spirituel au sens large.

Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien ou envoyez vos coordonnées (adresse électronique/postale) à communicationbxl[at]jesuites.com.

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