Le « mois Arrupe » : un mois à découvert, comme en marée d’équinoxe

Chaque jésuite est appelé, à l’issue de sa régence, à un mois de réflexion et de prière au cours duquel il s’interroge sur la vocation sacerdotale d’une Compagnie de Jésus qui porte aussi en son sein des frères jésuites. Le P. Christophe Kerhardy sj nous décrit ce « mois Arrupe », temps important dans la formation d’un jésuite.

Mois Arrupe jésuites (1)

Au mois d’août 2022, 12 jeunes jésuites ont participé au mois Arrupe, accompagnés par les PP. Clément Nguyen et Christophe Kerhardy.

Tout près du pont de bois qui passe la Truyère, au bord de l’étang des Ursulines, à Serverette, le mois Arrupe prend ses quartiers. Douze jésuites en formation se retrouvent dans cette région de l’Aubrac, pour vivre le mois Arrupe, accompagnés par le P. Clément Nguyen sj et moi-même. Les vieilles pierres du moulin, le corps de l’ancienne bergerie, la solide maison du maître, le tout taillé dans le granit de l’Aubrac, aident chaque jésuite présent à bâtir un avenir sur le roc. Durant un mois, nous abordons sérieusement la question du sacerdoce. Chaque jour, des lectures aident à amorcer la recherche et le partage, et comprendre ce que veut dire « Être prêtre à la manière jésuite ».

Tout ce qui touche à la vie affective est aussi au programme : célibat, chasteté, continence, orientation sexuelle… Autant de sujets que la parole et le partage permettent de creuser loin de toutes les peurs et les craintes possibles. Celui qui est appelé à tout donner pour le Royaume peut vivre sa condition de façon très sereine.

Au cours de la session, un compagnon jésuite plus avancé dans la formation, puis un couple et un prêtre diocésain, aident chacun à affiner son désir de servir le Christ et le monde. Il y a bien des manières, toutes aussi belles, de répondre à l’appel baptismal. Être jésuite et prêtre est l’une d’entre elles. Accueillant avec fidélité la vision conciliaire du ministère ordonné, il s’agit de sentir jusqu’où peut bien porter l’élan intérieur.

Une marée d’équinoxe

Mois Arrupe jésuites (2) En 1979, lorsque fut fondé le mois Arrupe, la Compagnie de Jésus faisait face à de nombreux départs de jeunes prêtres. Aussi, le Père Arrupe, Supérieur général de la Compagnie de Jésus, demanda que les scolastiques réfléchissent et prient sur leur ordination à venir : « À partir du début de la théologie, il faut donc inviter les scolastiques à refaire individuellement et en commun le pèlerinage de leur vie dans la Compagnie de Jésus. Ils s’arrêteront spécialement sur leur vocation au sacerdoce et sur leur intimité personnelle avec Notre-Seigneur. »(1)

À quoi pourrions-nous comparer le mois Arrupe ? Il pourrait ressembler à une marée d’équinoxe lorsque les fonds marins, ordinairement immergés, se présentent à découvert. De même, le mois Arrupe est une expérience à fort coefficient spirituel ; en l’espace d’un mois, le flux de l’Esprit Saint met au jour les désirs du cœur largement éprouvé durant le temps de la régence (2). Même si, pour certains, le désir d’être prêtre peut être fort, profond et suffisamment éprouvé, tout n’est pas encore limpide ; certaines situations – restées enfouies – émergent ; des blessures peuvent se rouvrir. Devant notre misère, souvent des larmes viennent.

C’est bien là, et probablement surtout là, qu’il convient de laisser le Seigneur venir et appeler ; le mois Arrupe prépare à l’ordination mais c’est Jésus qui lance un appel et qui donne la force d’y répondre. Nous l’y suivons sans grande assurance sinon celle de la foi et avec le soutien des compagnons. Oui, il est bon de sentir et goûter que le Seigneur est toujours avec nous et qu’Il le sera jusqu’au bout. L’engagement pour la Vie : c’est son œuvre.

P. Christophe Kerhardy sj P. Christophe Kerhardy sj,
supérieur de la communauté Saint-Pierre Favre (Blomet) à Paris

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Notes

1. P. Arrupe, Préparation au sacerdoce, Acta Praepositi Generalis, Rome, 27 décembre 1979.

2. Pendant leur régence, les scolastiques interrompent leurs études pendant deux années pour travailler à plein temps, par exemple dans les établissements scolaires jésuites, avec une œuvre sociale de la Compagnie de Jésus… Cette période est un moment clé pour découvrir davantage la Compagnie de Jésus à travers ses missions concrètes.

Témoignage de Pierre Alexandre Collomb, scolastique jésuite

pierre-alexandre collomb jesuite « Dans une vie de jésuite souvent marquée par l’accélération, j’ai vécu ce mois Arrupe comme un cadeau, l’opportunité de me replonger dans ces neuf premières années dans la Compagnie de Jésus, de voir ce qui faisait l’unité dans cette manière de suivre le Christ. En revanche, ce retrait ne rimait pas avec solitude. Un groupe de douze jésuites d’horizons divers avec deux compagnons jésuites formés pour les accompagner, ça bouge ! Et c’est sans doute ce qu’il fallait pour que chacun évolue dans sa réflexion sur le presbytérat. C’est la dimension que j’ai le plus appréciée : me laisser déplacer sur un sujet autour duquel les crispations idéologiques sont nombreuses. Confronter sa propre sensibilité à des textes du magistère et de la Compagnie de Jésus, aux témoignages des invités et aux échanges francs des autres jésuites, était la meilleure manière d’entrer davantage dans un sentir commun. Ces médiations n’étaient pas de trop pour tenter de mettre des mots sur quelque chose qui est souvent de l’ordre d’un ressenti immédiat. La retraite selon les Exercices spirituels, vécue à la Trappe de Soligny, fut un moment central du mois Arrupe. Un temps pour replacer toute cette démarche dans le silence face au Seigneur et, par là, conclure ce temps si riche. Aujourd’hui, quand je repense au mois Arrupe, je suis très reconnaissant pour ce temps de croissance dans ma vocation jésuite et j’attends de voir ce qui en sortira ! »

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci de consulter ce lien.

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