Face aux épreuves auxquelles nous confronte la crise, comment penser et réaliser le monde de demain ? Le P. Bruno Saintôt sj, responsable du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres, propose des pistes de réflexion et des ressources.

déconfinement bruno saintôt Confinement-déconfinement-reconfinement… Que pouvons-nous apprendre de ces épreuves répétées ? Trois acceptions du terme épreuve peuvent servir de guide : la confrontation aux difficultés, la révélation des valeurs importantes, la vérification des ressources qui nous permettent de vivre selon le bien.

Selon nos milieux physiques (ville ou campagne, appartement ou maison), nos milieux humains (familles, communautés, groupes professionnels ou amicaux), nos ressources financières, notre psychologie, nos valeurs et notre expérience de foi, nous vivons les confinements, la contamination et la propagation de la mort de manières différentes. Le langage en témoigne. Le latin confinium désigne à la fois la limite d’un espace, qui peut être protectrice ou emprisonnante, et la proximité dans cet espace, qui peut être bienfaisante ou menaçante. Le poète martiniquais Patrick Chamoiseau suggère plusieurs expressions créoles : le dessèchement (Wansi asou kow menm : rancir sur soi-même), l’immobilité (Sispann sek : rester immobile) et l’exiguïté (Bat anba fey : vivre sous une feuille). Face à la menace sanitaire, révélatrice d’une crise bien plus profonde, beaucoup ont d’abord dessiné avec confiance les grandes lignes écologiques, sociétales et économiques du monde d’après. Puis l’espoir initial d’un nouveau monde a fait place au désir largement partagé de revivre le monde d’avant. Qu’avons-nous donc appris d’essentiel pour tenter de vivre autrement ?

Quelles redécouvertes ?

Dans une société tentée de se constituer en archipels, la maladie contagieuse « enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires », disait déjà le lauréat du prix Nobel Charles Nicolle, en 1933. Il ajoutait même : « Nous sommes aussi […], quels que soient nos sentiments vis-à-vis d’eux, solidaires des animaux, surtout des bêtes domestiques. » Une possible origine animale du virus questionne notre solidarité avec la nature. La vaccination, choix pragmatique pour les uns et questionnement problématique pour les autres, s’avère une exigence de solidarité sociale et de fraternité universelle. L’eucharistie où le Christ, notre frère, se donne dans la chair, ne peut être dissociée de possibles contaminations par la proximité de nos chairs. Choisir la fraternité nous fait sortir de l’opposition frontale entre liberté et contrainte.

La crise a aussi été l’occasion de réaffirmer la valeur absolue de toute vie humaine. Le choix politique initial et temporaire du « quoi qu’il en coûte » peut alors être compris comme la redécouverte nécessaire « qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » (E. Macron, Adresse aux Français, 12 mars 2020). Dès lors, la valeur de chaque être humain et la nécessaire solidarité placent le soin au centre de la construction politique. Qu’en sera-t-il pour la prochaine élection présidentielle française, au-delà des simples annonces ?

La pandémie a rendu visible le soin en même temps que la mort. Au prisme d’une vie terrestre s’éteignant dans la violence de l’urgence et de la distance sanitaire, toutes les facettes lumineuses qui lui confèrent ses qualités spécifiquement humaines sont redécouvertes : les liens familiaux et amicaux, la reconnaissance et le respect, la mémoire du bien, les gestes de tendresse qui entourent de bonté l’inéluctable de la mort, et parfois la remise de soi et d’autrui à Celui qui a passé les ravins des ténèbres. Prendre soin, c’est n’occulter aucune de ces facettes.

Quelles ressources ?

Comme chrétiens, quelles ressources pourrons-nous trouver en nous, entre nous et en Dieu pour penser et réaliser avec d’autres le monde d’après ?

D’abord, nous aider à nous mettre au large. « Avancer au large », c’est redécouvrir l’espace intérieur alors que chacun est tenté de « rancir sur soi ». L’apôtre Paul invite à « fortifier l’homme intérieur » (Ep 3, 16) pour découvrir la largesse et la profondeur insondables de l’amour du Christ et la dilatation qu’elles suscitent. Aux Corinthiens sollicités pour aider d’autres personnes, Paul confesse : « Pour vous […], notre cœur s’est élargi » ; puis il dénonce : « vous n’êtes pas à l’étroit chez nous, c’est en vous-mêmes que vous êtes à l’étroit » ; enfin, il exhorte : « élargissez votre cœur, vous aussi » (2 Co 6, 11-13). Toute la vie chrétienne s’apparente à un exercice d’élargissement des mains, du cœur, de l’intelligence et de la volonté.

Ensuite, parler des obstacles de nos peurs et de l’appel à la liberté du Ressuscité. Les crises nous font peur parce qu’elles sont placées sous l’horizon de la mort ou de privations qui s’apparentent à la mort. L’inventivité chrétienne s’origine dans un amour qui a traversé la mort. Fascinante inversion par la foi : nous n’allons pas vers la mort, nous en revenons : « comme des vivants revenus d’entre les morts, […] mettez-vous au service de Dieu » (Rm 6, 13). Fascinante liberté du service à la suite du Ressuscité qui « a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2, 15).

Enfin, célébrer en gratitude. En reconnaissant les soins reçus et en prenant soin des autres et du monde commun, nous contribuons à l’élargissement du monde, rejoignant ainsi la communauté sans frontière de celles et ceux qui s’engagent à vivre toujours mieux de gratitude, de gratuité et d’hospitalité.

Bruno Saintôt P. Bruno Saintôt sj
Responsable du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres, communauté Saint-Ignace à Paris

Pour approfondir : deux articles du P. Bruno Saintôt sj

revue études soin saintôt

« Ressources spirituelles du soin », revue Etudes, septembre 2020
L’examen de quelques ressources spirituelles du soin éclaire les capacités et les actes qui, par temps d’épreuve, permettent de prendre soin de soi, des autres et du monde : cultiver son intériorité, stimuler la quête de sens, hiérarchiser les valeurs, être attentif à la dignité de chacun jusque dans ses diminutions et par-delà son décès, s’entretenir mutuellement pour habiter le monde commun et y vivre bien.
> Références de l’article

revue laennec éthique politique soin

« Éthique et politique du soin », revue Laennec, 2020/3
La pandémie n’est pas encore terminée ; ses effets sur la santé, la vie sociale, l’économie et la politique ne sont ni inventoriés ni mesurés parce qu’ils dépendent notamment de futures décisions politiques. Il serait prétentieux de faire des bilans et des recommandations assurés. Mais il est possible d’analyser en quoi cette pandémie devrait être l’occasion d’un tournant dans les manières collectives et professionnelles d’aborder l’éthique et la politique du soin.
> Références de l’article

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (automne 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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