Parmi les quatre Préférences apostoliques universelles définies par les jésuites pour les dix prochaines années, la deuxième semble provocatrice : récusant toute recherche d’élitisme, elle demande, non pas de travailler pour ou en faveur des pauvres, mais de « marcher aux côtés des pauvres et des exclus de notre monde, des personnes blessées dans leur dignité, en promouvant une mission de réconciliation et de justice ».

C’est une source de la spiritualité jésuite qui est ici dégagée par le Père Général, Arturo Sosa. Quand Ignace envoya ses compagnons conseiller les évêques au Concile de Trente, il leur demanda
d’aller loger à l’hospice, auprès des malades qu’ils serviraient après les séances de travail théologique. La pauvreté est bien présente dans les Exercices spirituels, qui invitent le retraitant à creuser un désir pour « la pauvreté avec le Christ pauvre plutôt que la richesse, les opprobres avec le Christ couvert d’opprobres plutôt que les honneurs » (ES 167).

Marcher avec les pauvres, c’est alors retrouver le visage du Christ pour marcher avec lui sur le chemin de la réconciliation et de la justice. Dans l’histoire des jésuites, il n’a pas toujours été facile de mettre en pratique ce désir. Quand on vise le plus grand bien apostolique possible, le temps passé avec les exclus n’est pas toujours considéré comme le plus efficace. Mais quel que soit notre travail, nous avons besoin de vérifier l’authenticité de notre démarche dans la rencontre avec la personne. Non plus travailler pour Dieu, mais travailler avec Dieu, en Dieu… Marcher avec les pauvres, c’est une épreuve de conversion : découvrir que celui que je viens aider, soulager, réconforter, dont je viens améliorer l’existence, est une source cachée à laquelle je peux m’abreuver, dont je peux beaucoup apprendre.

Spiritualité d’un autre temps ? Un des derniers saints jésuites canonisés est Alberto Hurtado, apôtre au Chili. Il s’écrit un jour lors d’une retraite : « Le Christ erre dans nos rues dans la personne de tant de pauvres. » Ces mots furent les pierres de fondation du premier Hogar de Cristo, le Foyer pour le Christ, mouvement d’habitations populaires qui compte 474 centres au Chili.

Les apostolats directs des jésuites avec les pauvres sont bien réels mais très souvent discrets : visites aux prisonniers, maraudes dans les rues, soutien scolaire… Il y a bien entendu le JRS (Jesuit Refugee Service) et son service de partage de logement Welcome. À la communion de La Viale, on associe volontiers la présence des personnes vulnérables, pauvres, socialement, psychiquement, à la vie communautaire, à la prière. La recette : le choix d’une simplicité de vie qui permet à chacun de se sentir à l’aise et d’ajouter facilement une assiette à table, mais aussi – c’est sans doute le plus difficile – le temps partagé gratuitement autour d’un café.

P. Alban Massie sj,
Communauté Saint-François Régis à La Viale (Bruxelles)

Pour aller plus loin

> Site de la Compagnie de Jésus dans le monde

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (automne 2019), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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