Dans la cité universitaire de Louvain-la-Neuve (Belgique), la chapelle de Blocry, placée sous la responsabilité du P. Charles Delhez sj, a vécu une belle expérience de solidarité envers les migrants durant la période du « confinement » : La Charnière, salle paroissiale de Blocry, était vide… et le cœur d’Anne-Catherine, mère de famille, était plein de ces migrants auxquels elle consacre le meilleur de son temps. Ensemble, ils ont osé accueillir. Onze jeunes Soudanais, sur les routes depuis plusieurs années, ont pu enfin se poser quelque part pour trois mois. Lettre de remerciement adressée à la paroisse.

Le 15 mars dernier, comme tous les autres pays d’Europe, la Belgique entrait en confinement. Dehors, alors que toute la Belgique se calfeutrait, abandonnés dans nos villes désertées, les plus fragiles et les plus vulnérables, les sans-toit, les sans-papier, les sans-droits étaient oubliés de l’État. Au milieu de cette pagaille, il y a eu des citoyens. Il y a eu vous, qui les avez accueillis malgré tout. Malgré le contexte anxiogène de la pandémie, malgré aussi le contexte politique, tout aussi anxiogène, du refus de l’autre.

Mais ces autres, qui étaient-ils ? Laissez-moi vous emmener à leur rencontre.

K. a 18 ans. Il vient du Soudan. Il est aussi grand que souriant. Je sais peu de choses de lui, de sa vie avant, des raisons qui l’ont forcé à prendre le chemin de l’exil, à quitter – si jeune encore – sa famille et ses amis. Je ne sais rien du chemin qu’il a dû parcourir pour arriver jusqu’ici, ni du temps que cela lui a pris. Il ne m’a pas raconté les terribles obstacles qu’il a rencontrés sur ce chemin, la peur, la fuite, la nuit. Et Il s’est tu, comme tous les autres, sur les fureurs humaines qu’il a dû affronter.

«Can we stay there ?»

Je me souviens du premier jour où il est arrivé à Louvain-la-Neuve. Quand nous leur avons ouvert la porte de la salle La Charnière et que ses amis ont commencé à s’installer, il est resté quelques instants la main sur la porte, qu’il avait tenue ouverte pour laisser passer le groupe, immobile. Je le voyais de dos, comme suspendu dans le temps, respirant lentement. Il s’est retourné vers moi et dans une sorte de battement de paupières, il m’a demandé : «Can we stay there ?». J’ai hoché la tête et j’ai souri. J’ai dit : « Oui.». Quelques instants encore à regarder ses amis se chamailler pour les lits et puis dans un immense sourire il m’a dit : «Long time that we didn’t have a home. All of us. Thanks» et, à grandes enjambées, il a rejoint la mêlée pour le meilleur lit. K. et ses amis, je l’ai appris plus tard, sont tous sur les routes, malgré leur jeune âge, depuis plusieurs années et n’ont été accueillis nulle part avant de se poser ici.

K. a rapidement pris les rênes dans le logement. Il est celui qui parle le mieux l’anglais et il est aussi, il y en a toujours un, celui qui sait instinctivement parler le langage des bénévoles. Chaque fois que je viens apporter de quoi manger, il me remercie de ce merveilleux sourire et il formule les demandes du groupe avec tant de douceur que je ne peux m’empêcher d’y accéder.

Mais dans la cuisine, c’est M. qui officie. Il s’affaire aux fourneaux et vient m’aider à sortir les provisions de la voiture. Il a 17 ans mais cuisine déjà « comme un chef », me disent les autres. Il a appris sur la route, me dit-il, car chez lui c’est toujours sa maman qui cuisinait. À l’odeur, il essaie de reproduire les plats de son enfance, ceux qui réconfortent et qui font du bien à l’âme. Il n’aura de cesse, pendant tout leur séjour, de me convaincre de rester partager leur repas. Une manière si culturelle de rendre l’hospitalité que je devrai malheureusement refuser.

«I love you so much, you are like my mother»

Je ne vous dirai pas l’âge de Shibbly, littéralement « le gamin ». C’est le plus jeune de la bande. Il est tout fluet mais parle déjà super bien l’anglais, appris sur les routes aussi et dans les prisons libyennes. Lui, il est plutôt un adepte du nettoyage. Alors que nous avions partagé nos comptes messenger, il m’a envoyé ce message : «I love you so much, you are like my mother». La force de la déclaration m’a surprise : nous n’avions pas échangé plus de dix phrases car mes visites étaient, corona oblige, très rapides et concentrées sur l’essentiel.

Pourtant, Shibbly, du haut de ses quelques années, avait raison. Il me parlait de sa mère pour me parler du foyer. Un foyer. Pendant ces trois mois improbables, c’est ce que La Charnière aura été pour ces jeunes perdus sur les routes arides de nos démocraties.

Le fil de la vie s’est tissé à La Charnière

Ces histoires, ces échanges, ces sourires, ces partages de peur et d’inquiétude qui ont tissé le fil de la vie à La Charnière pendant ces quelques semaines, ils vous appartiennent et j’aurais aimé pouvoir les partager avec vous, vous les faire vivre et ressentir, comme je les vécus et ressentis. Ils racontent l’histoire de ce chemin que l’on fait quand on accepte d’aller vers l’autre – cet étranger – et qu’on en revient transformé. Un chemin d’humanité que chacun d’entre nous porte en lui et qu’il peut à tout moment décider d’emprunter.  En ouvrant votre porte et votre cœur à ces jeunes gens, vous avez ouvert pour eux ce chemin. En faisant fi de leurs peurs et en acceptant votre hospitalité, ils l’ont ouvert pour vous.

Anne-Catherine
Paroisse de Blocry – Louvain-la-Neuve

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Droits photos : Céline Van Zandycke

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