Le vendredi 26 janvier, une messe présidée par le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a eu lieu en l’église Saint-Ignace à Paris, à l’occasion du lancement de l’année jubilaire des Facultés Loyola Paris (ex-Centre Sèvres) pour leur cinquantième anniversaire. Le P. Thierry Dobbelstein sj, Provincial de l’EOF, y a prononcé l’homélie.

homélie cinquante ans Facultés Loyola Paris

Le Provincial prononce l’homélie lors de la messe présidée par le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, en l’église Saint-Ignace.

J’aime les paraboles, car j’aime les histoires. Je sais que le P. Étienne Grieu sj, recteur du Centre Sèvres les aime aussi. Je suis persuadé que c’est aussi votre cas. Comme enseignant, je sais avoir souvent largué mes élèves et les avoir parfois endormis. Mais quand je racontais une histoire – réelle, une expérience de vie, ou imaginaire – ils relevaient la tête et écoutaient attentivement.

J’aime les histoires, je confirme avoir mesuré leur efficacité pédagogique. J’aime surtout savoir que Jésus racontait des histoires. Jésus a su captiver l’attention et toucher la mémoire de ses interlocuteurs. C’est un enseignement pour nous, spécialement dans une institution comme le Centre Sèvres, qui est au service de l’annonce de la foi parfois directement souvent indirectement. Nos contemporains ont le droit d’attendre des ministres du culte, des catéchètes, des serviteurs de la Parole de l’intelligence et de la profondeur. Mais cette intelligence et cette profondeur ne doivent pas servir d’alibi pour rendre le Christ inaccessible et la foi de l’Église incompréhensible. Quand Jésus s’énerve dans les Évangiles, il le fait souvent contre les pharisiens, mais aussi contre les scribes. Il dénonce les postures hypocrites ; il dénonce aussi les obstacles qu’on peut mettre sur le chemin du royaume.

Aussi les paraboles de l’Évangile me permettent d’émettre un double vœu pour vous tous ici : pour tous les enseignants du « futur ex-Centre Sèvres » et pour vous tous, étudiantes et étudiants. Apprenez à raconter des histoires, qui touchent le cœur et marquent la mémoire ! Et surtout lorsque vous écrivez une dissertation ou préparez un séminaire, lorsque vous rédigez un article, prenez le temps de vous arrêter et de relire ce que vous avez écrit : ce que j’ai découvert, compris et approfondi, suis-je capable de l’exprimer dans un langage simple et accessible ? L’ai-je exprimé dans un langage simple et accessible ?

La deuxième parabole d’aujourd’hui me touche tout particulièrement. Je me souviens, quand j’avais seize ans, l’image m’a plu. Un arbre qui étend ses branches et dans lequel les oiseaux peuvent venir faire leur nid. Je pense que cette parabole a même contribué à découvrir ma vocation. Presque quarante ans plus tard, je me vois plutôt comme un des oiseaux, plutôt frêle, posé sur une branche. L’arbre de la parabole ne parle pas de moi, mais du règne de Dieu. Avec l’âge on gagne en lucidité et en humilité, mais dès qu’on s’en rend compte, elle s’envole.

Il y a quatorze ans, en 2010, la parabole a repris une épaisseur très particulière dans le film « Des hommes et des dieux ». Ce film vous le connaissez : il raconte le discernement des moines de Tibhirine. En pleine guerre civile algérienne, leur faut-il rester en Algérie et risquer de mourir en provoquant violence, ou bien faut-il retourner en France. Discernement long. Discernement personnel et communautaire à la fois. Période de discernement qui les fait passer par tous les mouvements des esprits. Le tournant du film ainsi que le tournant du discernement : une rencontre très cordiale, de quelques moines, invités dans une famille du village. On parle librement, entre hommes – moines chrétiens et villageois musulmans. On échange des souvenirs. Jusqu’à ce qu’un villageois demande en s’adressant aux moines : « Vous au moins, vous n’allez pas nous quitter, n’est-ce pas ? » Un moine répond tout penaud : « Nous sommes tels des oiseaux sur une branche, nous demandant si nous ne devons pas nous envoler ». Une femme, une villageoise prend la parole, au milieu de ces hommes, et dit avec vigueur : « Non, c’est nous les oiseaux, vous êtes la branche de l’arbre ! » C’est donc une femme musulmane qui révèle aux moines quelle est leur vocation, au moment même où ils en doutaient. Non pas seulement ce qu’ils ont à vivre plus tard, mais ce qu’ils vivent déjà et ont vécu depuis des années. De petits oiseaux, il leur est confirmé qu’ils sont la branche, qu’ils sont l’arbre, qu’ils apportent protection et espérance à toute une population.

Il nous arrive de nous prendre pour l’arbre, alors que nous sommes tels des moineaux, prêts à nous envoler au moindre danger. Il nous arrive de prendre conscience que nous ressemblons à des petits oiseaux – ou à une graine de moutarde qui est emportée par vent – et c’est là que nous portons vraiment du fruit, sans le savoir, sans le deviner, parfois même sans plus l’espérer.

La première parabole nous parle de l’homme qui a semé et qui remarque : nuit et jour, que je fasse ou ne fasse pas, cela grandit. Cela me parle, parce que j’ai été enseignant, et qu’il m’est arrivé de me décourager. Je suppose que cela vous arrive aussi ici, à vous les enseignants du Centre Sèvres. Nous voudrions forcer nos étudiants, comme l’agriculteur novice voudrait tirer sur les herbes ou les épis pour que cela pousse plus vite et plus haut. Parfois dans l’Église, pleins de zèle et d’impatience, nous voudrions forcer, accélérer, augmenter la productivité. Et Jésus nous invite à l’humilité : cela ne dépend pas de toi, mais cela grandit.

C’est magnifique que nous ayons de telles paraboles le jour où le Centre Sèvres est rebaptisé. Pour un nouveau-né, on prie, et on fait des vœux. Je conclus donc en résumant mes vœux :

  • Qu’ici on s’entraîne à parler le langage des hommes et des femmes, pour leur annoncer l’Évangile. Que la langue que nous utilisons ne soit pas un obstacle au règne de Dieu, mais un moyen qui touche les cœurs et les mémoires.
  • Qu’ici on reconnaisse et qu’on vive la voie choisie par le Seigneur qui se fait homme. C’est humble, c’est patient, c’est cela qui est divin.

Si nous vivons ces deux points, notre contribution à l’Église ne sera pas vaine.

P. Thierry Dobbelstein sj,
Provincial d’Europe occidentale francophone,
le 26 janvier en l’église Saint-Ignace à Paris

En savoir + sur les 50 ans du Centre Sèvres : 

> « Facultés Loyola Paris : un nouveau nom pour une identité forte »