Aujourd’hui, l’apôtre Jacques nous interroge : « D’où viennent les guerres et les conflits entre vous ? » Du cœur des êtres humains, que nous donne-t-il à comprendre ? Le Livre de la Sagesse, quant à lui, nous révèle la logique de la haine, et la jalousie qui peut se vivre dans les cœurs. C’est dans le cœur humain que tout cela se produit. Malheureusement, des conflits ont accompagné toute l’histoire de l’humanité, mais nous savons qu’aujourd’hui notre monde traverse de graves et profonds problèmes sans précédent, qui menacent les conditions même de la vie sur notre planète. Alors, d’où peut venir la réponse à ces situations tragiques, sinon du cœur humain ? Mais à quel cœur pouvons-nous faire confiance lorsque nous découvrons et reconnaissons vraiment que nos cœurs sont malades, et certains gravement malades ?
Regardons le Cœur de Jésus. C’est son Cœur qui nous ouvre la voie. Cœur, centre et synthèse de tout l’Amour divin déposé dans l’Humanité du Fils. Cœur qui s’est manifesté en ce lieu, dans cette chapelle, à Sainte Marguerite-Marie Alacoque, un don de la grâce qui reste toujours actuel et accessible à tous, en commençant par les plus petits, les plus vulnérables. Lorsque le cœur humain est si malade, il ne suffit pas d’essayer de mettre un stimulateur cardiaque ou d’effectuer un pontage, il faut le changer complètement. Nous avons besoin d’une intervention radicale : la greffe d’un nouveau cœur. Recevoir le Cœur que notre Sauveur nous offre, est la solution authentique, une alternative à ce que le monde peut offrir.
Sainte Marguerite-Marie et le jésuite Claude La Colombière ont vécu personnellement cette profonde transformation. Marguerite-Marie à travers ses apparitions extraordinaires, Claude La Colombière dans la partie ordinaire de sa vie de jésuite, notamment avec ses méditations sur l’Évangile et en accompagnant les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola[1]. On leur a confié la tâche de transmettre et de communiquer[2], selon leur propre vocation, cette clé du mystère qui ouvre la voie de la vie au monde.
Tout a commencé très modestement, de façon presque imperceptible aux yeux du monde. Le geste de consécration, qu’ils ont probablement fait ensemble ici, en ce lieu, fin juin 1675, moment clé du Seigneur Jésus, lors de sa dernière apparition, résumait son message, son appel à « rendre l’amour pour l’amour ». C’est un appel à s’offrir, gratuitement, gratuitement, mais totalement. Une attitude qui résume toute la vie et l’identité profonde du Seigneur lui-même, et qui est appelée à devenir notre identité. Dans cette apparition, sainte Marguerite-Marie est explicitement envoyée vers saint Claude La Colombière pour le mettre en pratique : « Tournez-vous vers mon serviteur ». Saint Claude La Colombière répondra immédiatement avec cette offre :
« Je vous offre mon cœur, avec tous les mouvements dont il est capable, je me donne tout entier à vous ; et, dès cette heure,[…] je désire m’oublier moi-même et tout ce qui peut avoir du rapport avec moi, pour lever l’obstacle qui pourrait m’empêcher l’entrée de [votre] divin Cœur […] Cœur sacré de Jésus, apprenez-moi le parfait oubli de moi-même, puisque c’est la seule voie, par où l’on peut entrer en vous. »
Et cela dans la simplicité et la confiance d’un enfant : « Quiconque accueille un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. », comme nous le rappelle précisément Jésus dans l’Évangile de ce jour.
Dès lors, un chemin, ne manquant pas de difficultés et d’obstacles[3], s’ouvre à travers le monde. La solennité du Sacré Cœur, instituée par l’Église en 1856, constituera une étape importante sur un chemin qui s’étend à travers toute l’histoire de l’humanité.
Cette offrande d’eux-mêmes en réponse à l’appel du Cœur du Seigneur est précisément au cœur de ce qui anime et constitue la Compagnie de Jésus. Depuis ses origines, la Compagnie de Jésus a cherché à répondre aux défis de l’Église et du monde. L’offrande au Cœur de Jésus renforce l’engagement de la Compagnie à servir sous le drapeau de la Croix, en collaborant de toutes ses forces à la mission du Seigneur confiée à l’Église.
La consécration de la Compagnie de Jésus au Cœur de Jésus en 1872 s’est déroulée dans un contexte de grande préoccupation mondiale. C’est ce que le P. Pedro Arrupe sj a souligné en renouvelant la consécration de la Compagnie en 1972 :
« Si nous examinons la situation du monde, nous pressentons de nouveaux malheurs et avons toute raison d’en craindre d’autres. » Il ajouta alors :
« Demandons [au Sacré Cœur] le bien-être, le salut, la paix et l’espérance pour ces jours difficiles avec une foi inébranlable. » Nous en sommes au même stade actuellement : la situation du monde et de l’Église restent extrêmement délicate. […] Convaincus que la solution de ces difficultés et la possibilité d’adapter notre mode de vie à ce nouvel environnement reposent en celui qui est solutio omnium difficultatum, nous désirons aussi aujourd’hui renouveler notre consécration au Cœur du Christ. ».
Pour renouveler cette consécration, le P. Pedro Arrupe sj a utilisé les paroles de saint Ignace de Loyola lui-même, dans la prière finale des Exercices spirituels : « Prends Seigneur et reçois… ». Une prière d’offrande que Pedro Arrupe a liée à une relecture très détaillée d’une expérience fondatrice d’Ignace[4] : lorsque celui-ci arrive à Rome en 1537 avec ses premiers Compagnons, et fait une pause dans la petite chapelle de la Storta. Ignace a vu le Père demander au Fils de L’accepter à son service et de se laisser guider par l’Esprit pour collaborer à son œuvre rédemptrice. Pedro Arrupe a associé cette expérience à la consécration au Cœur de Jésus.
Le charisme fondamental de la Compagnie de Jésus est donc dès ses débuts lié à l’expérience de l’Amour de Jésus, qui devient une collaboration efficace à sa mission rédemptrice. La dernière vision de sainte Marguerite-Marie, le 2 juillet 1688, que vous connaissez bien ici à Paray le Monial grâce à la belle mosaïque de la chapelle de La Colombière, ne fait que le confirmer.
À l’occasion de la clôture de l’année jubilaire ignatienne, nous avons renouvelé cette consécration avec les paroles de Pedro Arrupe, dans notre sanctuaire de Loyola, le 31 juillet 2022. Dans cette consécration, la Compagnie de Jésus continue de s’offrir totalement à Dieu pour collaborer à son œuvre dans le temps qui est le nôtre. De cette consécration jaillit la source et la vitalité de notre engagement apostolique[5] : collaborer avec d’autres à la réconciliation de toutes choses en Christ. Les Préférences Apostoliques Universelles que nous avons définies ces dernières années guident la manière concrète dont nous avons été envoyés par le pape François pour vivre et accomplir cette mission à ce moment de l’histoire de l’humanité.
Telle a été l’expérience d’Ignace en la chapelle de la Storta, dans le démarrage de la Compagnie de Jésus. Telle est la nôtre pour nous, avec vous, en ce jour, à la suite de sainte Marguerite-Marie et de saint Claude La Colombière : nous renouvelons avec joie pour le Corps universel de la Compagnie de Jésus, pour sa vitalité, sa fécondité à travers tous les Compagnons de Jésus, dans cette chapelle de la Visitation de Paray-le-Monial, dans le cadre de ce jubilé des grandes Apparitions.
P. Arturo Sosa sj,
Supérieur général de la Compagnie de Jésus,
le dimanche 22 septembre 2024 à Paray-le-Monial
Notes
[1]Référence à ses notes sur la Grande Retraite du troisième An en particulier sa contemplation du Christ en Croix dans la Troisième Semaine, no. 56, décembre 1674.
[2]Référence à la vision de Marguerite-Marie, dite des Trois Cœurs, en mars 1675, lorsque Claudio La Colombière célébrait l’Eucharistie dans la chapelle de la Visitation. Autobiographie de Margarita María no. 82
[3]Référence à ce que Marguerite-Marie dit à Claude spécifiquement au nom du Seigneur, à la fin de son récit de la troisième grande apparition de juin 1675 et qui apparaît dans les notes des Exercices de Claude à Londres en 1677 (n° 136).
[4]Référence à l’homélie pour le renouvellement de la consécration, 9 juin 1972.
[5]Références à la lettre du Père Général à toute la Compagnie (cur gen 72/8) du 27 avril 1972 ; et au message final du discours de Pedro Arrupe « Enraciné et fondé dans la charité » du 6 février 1981.
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