Un jésuite au service de la République laïque…Dans ce métier atypique, dans un lieu merveilleux et improbable, je me sens bien jésuite.

La France emploie deux prêtres dans son réseau diplomatique. L’un est « Conseiller ecclésiastique » à l’Ambassade de France près le Saint Siège et l’autre est « Conseiller pour les affaires religieuses » au Consulat général de France à Jérusalem. On comprend que l’Ambassade près le St Siège ait besoin d’un conseil pour s’orienter dans les arcanes de la diplomatie vaticane ; mais pourquoi la France a-t-elle besoin d’un homme d’Église à Jérusalem ?

C’est une histoire qui remonte à 1536 ! François 1er et Soliman le Magnifique décident, en souverains éclairés, de conclure des traités de non-agression (des « capitulations »). La France garantira la libre circulation des navires en Méditerranée et ouvrira ses ports aux bateaux ottomans, et le Sultan n’inquiétera pas les pèlerins chrétiens d’une Terre Sainte alors sous son administration (et qui le restera jusqu’en 1917).

Soliman invite donc François 1er à ouvrir un Consulat à Jérusalem, afin de veiller à cette protection. Le premier Consul de France s’installe en 1626. Depuis, sans interruption, notre Consulat exerce cette mission : protéger les pèlerins latins ainsi que des communautés et institutions religieuses d’origine française. Elle a été confirmée au 19e siècle lorsque les Ottomans firent don à la France de la Basilique Sainte Anne des Croisés et du Monastère d’Abu Gosh, deux splendeurs architecturales. Ces deux domaines français, qui abritent des communautés religieuses, sont sous la responsabilité du Conseiller pour les affaires religieuses. Il se fait donc aussi conservateur du patrimoine ! Les Capitulations du 16e siècle étant inscrites dans le Droit international, elles ont été reconnues par l’État d’Israël en 1948.

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Messe consulaire du 14 juillet en la basilique sainte Anne

La France était au départ également « protectrice des Lieux saints », mais cette prérogative lui a été aimablement retirée par les Britanniques lorsque le Mandat sur la Palestine leur fut confié en 1922 par la Société des Nations… En fait, sinon en droit, la France conserve ce rôle de protection, qui est un vrai labeur diplomatique : les Lieux saints de Jérusalem sont au cœur d’une géopolitique explosive et les relations entre Chrétiens et entre religions y sont plus que complexes !

La République française « protège » ici une cinquantaine de communautés religieuses et leurs institutions : écoles, hôpitaux… En y ajoutant les partenariats multiples que nous entretenons avec le Patriarcat latin, le Patriarcat grec catholique ou maronite, ce sont près d’une centaine d’institutions chrétiennes, pour la plupart d’origine française, qui sont en relation permanente avec le Consulat général. Et c’est mon travail, par délégation du Consul Général.

…Pour une mission ecclésiale

Travail très concret, car il faut accompagner ces communautés et institutions dans leurs soucis quotidiens : gestion de l’immobilier, enseignement du français, visas, passeports, problèmes de voisinage… questions qui croisent à tout instant les contraintes géopolitiques. La plupart de ces communautés sont en effet installées en territoire palestinien sous occupation israélienne (Jérusalem ?   Est, Cisjordanie et Gaza). Il faut défendre la liberté de circulation, faciliter le franchissement des check-points, protéger les enfants des écoles, garantir les privilèges attachés aux communautés du fait des accords historiques (exemption de taxes et d’impôts).

Plus anecdotique : assister, aux côtés du Consul général, aux 23 « messes consulaires » qui s’égrènent dans ces communautés et institutions tout au long de l’année ! Sans parler de l’entrée solennelle au Saint Sépulcre que tout nouveau Consul Général de France doit effectuer pour attester sa prise de fonction. Loin d’être uniquement protocolaires, ces célébrations manifestent le soutien de la France aux institutions chrétiennes en vertu des accords passés. Le rituel de ces célébrations surprend plus d’un pèlerin de passage : en grand uniforme de préfet, le Consul Général est invité à vénérer l’évangéliaire, il est encensé personnellement à la fin de l’Offertoire, il embrasse la patène et le calice avant la communion et l’assemblée entonne le « Domine salvam fac rem publicam » à la fin de la célébration… Au-delà du protocole, ces célébrations sont toujours un moment de solidarité partagé entre le Consulat et les communautés qui vivent des situations difficiles. Surtout au moment où les chrétiens d’Orient sont pris en tenaille entre des intérêts politiques et religieux violents, comme en Syrie, en Égypte ou au Liban. Les chrétiens de Palestine, qui ont des liens forts avec ces pays et dont les communautés hébergent de plus en plus de réfugiés, apprécient cette présence de la France à leurs côtés. J’en ressens souvent à la fois fierté et responsabilité. Une vraie mission d’Église donc, grâce à la République !

Un combat politique pour la justice

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Le Conseiller pour les affaires religieuses est aussi un diplomate aux fonctions bien définies et limitées. Comme «Conseiller », il conseille… mais ne décide pas. Son rôle est d’informer le plus finement possible le Consulat et le Quai d’Orsay sur la Jérusalem, vue depuis le Consulat de France situation des chrétiens, et de transmettre le maximum d’informations dont disposent ces communautés, présentes au cœur de la Palestine. Une présence qui s’étiole (2 % de la population sur l’ensemble Israël-Palestine) mais qui reste une contribution importante à l’identité palestinienne et un soutien pour la revendication d’un État libre et souverain. Ce que défend aussi la France. Ce que soutient le Saint Siège. Comme prêtre et religieux, le « Conseiller » n’est pas l’aumônier du Consulat Général. On lui demande d’abord d’exercer sa compétence dans une équipe professionnelle de grande qualité et de contribuer, en ce lieu particulier où les religions sont un rouage essentiel de la diplomatie, à l’avancée de la paix et de la justice, au respect des Droits de l’Homme et de la liberté religieuse. Autant de points de repère assez familiers pour un jésuite : compétence d’un métier, convictions pour la justice et la paix au nom de l’Évangile, prise en compte des moyens politiques et des leviers diplomatiques pour faire progresser le Bien le plus universel.

Au carrefour des religions

S’il est un lieu où religions et cultures se côtoient, s’affrontent et parfois débattent, c’est bien Jérusalem. Judaïsme aux visages divers, islam aux sensibilités multiples, christianisme kaléidoscopique (pas moins de 14 communautés chrétiennes à Jérusalem)… On pourrait penser que le dialogue interreligieux trouve là son appui le plus sûr. Rien n’est moins vrai.

D’abord parce que la situation géopolitique complique les rapports. Les religions sont prises dans la passion du conflit israélo- palestinien et maintenant dans les « hivers arabes » avec leurs soubresauts. Les communautés – juives, musulmanes ou chrétiennes – sont divisées en leur sein, souvent violemment. Ensuite parce que le partage des territoires a toujours été et reste ici difficile. Ainsi, le respect du Statu quo (établi au 19e siècle et protégé par la France) qui organise dans la Basilique du Saint Sépulcre l’exercice des cultes entre Orthodoxes, Arméniens et Latins, est chaque jour l’objet de querelles parfois sanglantes… Avant même de parler d’inter-religieux, c’est à la promotion de l’œcuménisme qu’il faut ici s’atteler ! Autre mission du Conseiller pour les affaires religieuses…

Ma mission est complexe, assurément, et éprouvante, car on ne vit pas ce métier, cet apostolat, sans prendre des coups et sans devoir en donner quelques-uns pour faire entendre ses convictions et défendre une politique. Mais c’est une mission passionnante : travailler à faire avancer la dignité de l’homme, la Bonne Nouvelle de l’Évangile sur la terre où elle s’est fait entendre en premier, c’est une tâche sans égal. Ma foi et mon engagement jésuite s’en trouvent grandis.

P. Luc Pareydt sj à Jérusalem