Empereur de Chine, Kangxi, contemporain de Louis XIV, fut un souverain tolérant. Il laissa la Chine ouverte aux influences bouddhistes et chrétiennes en admettant les Jésuites à la tête des Affaires Etrangères, et en utilisant leurs connaissances mathématiques et astronomiques.

Portrait de l’empereur par le Père Bouvet

« L’empereur, qui règne aujourd’hui à la Chine, et dans une grande partie de la Tartarie, s’appelle Cang-Hi [Kangxi], c’est-à-dire le Pacifique. »

En publiant, en 1697, un portrait littéraire de l’empereur de Chine présenté à Louis XIV, le missionnaire jésuite Joachim Bouvet
(1656-1 730)
popularisa la personne de Kangxi dans toute l’Europe. L’ouvrage fut réédité à Paris trois années de suite, traduit en latin par Leibniz, en anglais, en néerlandais, en italien. Kangxi avait alors quarante-quatre ans et régnait depuis trente-six ans.

Le frontispice permettait de comparer les traits un peu forcis du héros à la silhouette adolescente présentée trente ans plus tôt dans La Chine illustrée du père Athanase Kircher (1602-1680).

Robe jaune lumineux de l’empereur

Bouvet revenait de Chine avec l’avantage du témoin. Correspondant de l’Académie des siences, il était parti en 1685, en compagnie de cinq confrères, avec la première ambassade envoyée par Louis XIV au Siam [Thaïlande]. Ce groupe, noyau fondateur de la mission jésuite française en Chine, avait ensuite voyagé, de Siam en Chine, par ses propres moyens. Il avait été reçu par Kangxi le 21 mars 1688.

Bouvet n’était pas le premier à être rentré en France. Le père Louis Le Comte (1655-1728) avait raconté, l’année précédente, 1696, l’accueil qui leur avait été réservé à la Cour. Mais Bouvet avait approché Kangxi de près: il lui avait donné, en mandchou, avec le père JeanFrançois Gerbillon (1654-1 707), des leçons de mathématiques entre 1689 et 1691, à l’aide d’un manuel de mathématiques utilisé dans les collèges jésuites de la Compagnie.

Dans sa préface, Bouvet assure Louis XIV qu’il établit le « portrait d’un monarque qui [a] le bonheur de vous ressembler par plusieurs endroits ». Ressemblance physique, puisque leurs visages portent les traces d’une variole enfantine qui fit redouter le pire à leurs entourages, ressemblance de tempérament par leur maîtrise de soi et leur goût pour les arts, et ressemblance de destin. Tous deux orphelins, ils avaient connu les périls d’une régence difficile et assumé, très jeunes, les responsabilités du pouvoir. Plus tard, les contemporains seront frappés par la longévité de leurs règnes.

L’idée d’un parallèle entre Kangxi et Louis XIV ne revient pas à Bouvet. L’année du départ de Bouvet en Chine (1685), Louis XIV avait déjà lu dans la dédicace du récit relatant le voyage effectué en Tarrtarie orientale [Mandchourie] par le père Verbiest (1623-1688) :

« Vous verrez, Sire, dans ce récit que la Cour de Péquin ne cède en magnificence à aucune autre Cour de l’Europe; & si vous aviez estè dans un autre siècle, le Prince qui règne aujourd’huy à la Chine [Kangxi] ne verroit rien dans le monde de plus grand que luy. « 

Le père Verbiest (1623-1688)

Verbiest raconte également que lors du premier voyage en Tartarie auquel il participa en 1682, dans un cortège composé de soixante-dix mille personnes, un veau marin [phoque] fut offert à l’empereur, aux environs de Shenyang. Ce dernier demanda si les livres européens parlaient de cet animal. Verbiest répondit que la bibliothèque des jésuites à Pékin possédait un livre qui le représentait. Aussitôt, Kangxi dépêcha un courrier pour rapporter l’ouvrage de la capitale, qu’il consulta sitôt qu’il fut arrivé. Si l’on en croit le catalogue de la bibliothèque des jésuites de Pékin, il pourrait s’agir du traité du naturaliste Aldrovandi (1522-1605) publié à Bologne en 1613.

Kangxi, homme de science

L’intérêt pour les sciences de l’empereur Kangxi était bien connu en Europe à son époque, à travers les nombreuses publications des jésuites sur la Chine. Arrivés à la fin du XVIème siècle, les jésuites avaient depuis lors utilisé les sciences (notamment les mathématiques, l’astronomie, la cartographie) pour éveiller l’attention des élites lettrées chinoises, puis, avec la réforme du calendrier (1629-1635) pour approcher le pouvoir impérial.

Le calendrier promulgué en 1644 par Shunzhi , premier empereur de la dynastie Qing et père de Kangxi, était issu de cette réforme. Certains jésuites devinrent alors fonctionnaires au Bureau impérial d’astronomie.

Le calendrier avait toujours eu en Chine une fonction symbolique importante : à travers lui, l’empereur, garant de l’harmonie entre le Ciel et la Terre, mettait les activités humaines en harmonie avec les rythmes célestes. En 1664, pendant la minorité de Kangxi, des attaques furent portées contre les jésuites astronomes par des lettrés et astronomes hostiles, qui leur reprochaient d’ignorer les implications rituelles du calendrier. Au cours du procès qui s’ensuivit, plusieurs astronomes chinois convertis qui avaient travaillé avec les jésuites furent exécutés.

En 1669, entreprenant de reprendre aux régents le pouvoir qu’ils avaient exercé en son nom, Kangxi se saisit de l’affaire et rendit leurs fonctions aux jésuites, dont les prédictions astronomiques s’avérèrent plus précises que celles de leurs rivaux. À cette occasion, l’empereur put constater et déplorer l’ignorance de ses hauts fonctionnaires en matière d’astronomie. Dès lors, et jusqu’à la fin de son règne, il consacra du temps à l’étude des  » sciences occidentales  » que lui enseignèrent plusieurs jésuites. Certains d’entre eux espérèrent un temps l’amener ainsi à la religion catholique.

Cette carte du monde, imprimée sur six rouleaux. Avoir une carte précise de l’empire était important pour l’exercice de l’autorité. Cette « récupération » de la science par le pouvoir alla loin : elle obligea même le père Verbiest, en dépit de ses scrupules, à trouver le moyen d’améliorer les canons de l’armée de Kangxi !

A propos de l’exposition Kangxi Empereur de Chine (1662-1722) : La Cité Interdite à Versailles”

Le Roi-Soleil écrit au Fils du Ciel…Cette lettre de Louis XIV, datée du 7 août 1688, est la seule lettre connue du Roi adressée à Kangxi . Elle évoque l’envoi d’une seconde mission jésuite qui, finalement, ne partit pas.

La première, qui comptait cinq pères français appelés « les mathématiciens du roi », avait quitté Brest en 1685 ne devait arriver à Pékin, qu’après trois ans de voyage. Elle avait été suscitée par le père Couplet et son protégé chinois venu à Versailles en 1684. Le jésuite était venu chercher l’appui du Roi au moment où le Pape semblait se désintéresser des entreprises jésuites en Chine.

Le château de Versailles a présenté jusqu’au 9 mai 2004 une exposition intitulée “Kangxi Empereur de Chine (1662-1722) : La Cité Interdite à Versailles”. Installée dans les salles d’Afrique et de Crimée du premier étage de l’aile Nord du château, cette exposition – réalisée avec le soutien de LVMH Moët Hennessy, Louis Vuitton– retraçait, à travers des objets des collections publiques, les grands aspects du règne du second empereur mandchou, souverain conquérant et lettré, contemporain de Louis XIV.

Près de 200 objets spécialement venus de Chine pour l’exposition ont été présentés au public pour la première fois. C’était notamment le cas des peintures sur rubans de soie. L’une d’entre elles dépasse 38 mètres de long. Elle représente le premier voyage d’inspection de l’empereur en Chine du Sud, point culminant de la politique de réconciliation entre Chinois et Mandchous menée par Kangxi parallèlement à ses conquêtes.

Accédant au trône en 1662, Kangxi ouvre son règne par une phase militaire visant à consolider le pouvoir mandchou sur l’ensemble du territoire chinois. Guerrier et conquérant, Kangxi possède une réputation d’empereur lettré et tolérant. N’est-ce pas lui qui permet aux Jésuites d’accéder à la tête de la diplomatie ?

C’est pendant cette période que naissent les premiers échanges culturels officiels entre la France et la Chine. De nombreux ouvrages chinois viennent enrichir les collections royales et en 1684, Louis XIV ordonne une mission scientifique en Chine, première étape de la fondation de la sinologie française.

Ce thème était également illustré par la présence d’instruments scientifiques de l’Ancien Observatoire de Pékin animé par les jésuites ou de nombreux objets issus des collections personnelles de l’empereur : un paravent en feuilles de laque illustrant la prise de l’île de Nan Ngao ou une exceptionnelle armure de parade en soie et velours brodés de plaques de métal, dont l’exposition n’a jamais été autorisée auparavant. Enfin, une série de portraits impériaux peints sur des rouleaux de soie, représentant l’empereur dans différents costumes traditionnels, clôturait l’exposition.