Le 25 septembre, l’UNamur, université jésuite de Namur, a fait sa rentrée académique. Le P. Thierry Dobbelstein sj, provincial des jésuites d’Europe Occidentale Francophone, était présent à la cérémonie officielle qui a mis à l’honneur le thème de cette année : « l’université, force démocratique ! » Une soirée pleine d’émotions : discours, rencontres, échanges… qui a ouvert cette nouvelle année universitaire en affirmant le rôle de l’UNamur comme lieu de savoir, de discussion et de transformation.
Intervention du P. Thierry Dobbelstein sj, provincial des jésuites d’Europe Occidentale Francophone
« Cela fait deux années que j’ai commencé mon mandat de supérieur provincial des jésuites. Le jour même du début de ce mandat, les jésuites publiaient un texte sur l’état de la Compagnie de Jésus dans le monde. Au vu de la coïncidence, vous comprenez que je l’ai lu et relu.
Je cite trois lignes de ce texte publié le 31 juillet 2023 : « Dans la sphère sociopolitique, nous assistons à une tentative de reformuler les fondements de la légitimité politique, en diluant sa composante démocratique. Moisés Naím regroupe ces forces antidémocratiques sous la catégorie des trois « p » : populisme, polarisation et post-vérité. »
Un peu plus d’une année plus tard, Mr Donald Trump est élu président des Etats-Unis d’Amérique, est même réélu. Ce n’est donc plus un simple accident. Le texte avait – malheureusement – une dimension prophétique. Populisme, polarisation, post-vérité, c’est efficace pour se faire élire : Cela semble marcher pour être élu. Et c’est ce qui est interpelant. Des hommes et femmes qui foulent au pied la vérité, qui divisent, qui anesthésient l’intelligence et découragent la réflexion qui nuance, se font élire.
Nous, les jésuites et j’espère les membres de l’UNamur, sommes effrayés par ce qui en découle :
– perte de la solidarité : le P. Antoine Paumard sj, qui est directeur du Service jésuite des Réfugiés en Syrie a dû fermer, suite à la diminution de l’aide humanitaire, les activités qui venaient en aide à des milliers de réfugiés : fin des activités scolaires, du soutien psychologique, des aides matérielles pour des milliers de déplacés.
– séparation des pouvoirs mise à mal, quand l’exécutif se substitue au pouvoir judiciaire ou le menace.
– mise à mal de la liberté d’expression et liberté de presse. Il y a désormais les bons et les mauvais journalistes.
Si les trois P semblent fonctionner pour gagner le pouvoir ; il convient à tous les universitaires (par leurs publications, et dans leur enseignement) de montrer que les trois P sont intenables, insoutenables, et qu’ils ne devraient jamais faire gagner des élections. L’Université est un lieu par excellence où se découvre la vérité, surtout dans sa forme polyédrique, dans ses nuances, loin des slogans, et surtout loin des ukases ou messages en lettres majuscules sur les réseaux sociaux.
Aux trois P, opposons : la Solidarité face au Populisme, le Dialogue face à la polarisation, et l’Éducation face à la post-vérité.
L’université est un lieu où se pratique et s’apprend la culture du débat : « j’écoute l’autre, je cherche d’abord à le comprendre, quand je suis en dialogue et j’en débats avec lui ; je ne décrète pas a priori qu’il a moins de valeur que moi et que ses propos ont moins de valeur que les miens ». Les jésuites aiment cet exercice de la « disputatio ». Enfin, l’université est par nature un lieu qui refuse les totalitarismes.
M’autorisez-vous à terminer avec une certaine légèreté et un peu d’autodérision. Originaire de l’Est de la Belgique, je vis et travaille à Paris. Vivant à l’étranger, dans un pays où plusieurs ténors politiques jouent la mélodie des trois P, j’aime de temps en temps faire un petit cocorico, exprimer une certaine fierté d’être belge francophone. La Belgique francophone fait figure d’exception en Europe pour ce qui est des résultats de l’extrême droite aux élections. Je fais le vœu que cette situation demeure dans nos contrées ; je fais le vœu que l’exemple soit suivi ailleurs – vous savez que les religieux insistent sur l’espérance, que certains veulent réduire à de la naïveté. J’ai la conviction que l’université joue un rôle de première ligne en la matière, que l’université travaille à ce que ces vœux deviennent réalité.
Je vous remercie de votre travail et vous souhaite bonne continuation. »
Trois questions à Perrin Lefebvre sj, enseignant chercheur dans le département d’économie et animateur à l’aumônerie de l’UNamur
1) Quelle est votre mission à l’UNamur ?
« Participer à la vie d’une institution, qui forme des jeunes dans la compréhension du monde, dans les enjeux de société (en particulier les questions de transition écologique), et plus largement à une étape essentielle de leur construction. Cela par l’enseignement et l’inscription dans d’autres projets transversaux portés par d’autres professeur(e)s de l’UNamur.
2) Dans quelle perspective entamez-vous cette nouvelle année universitaire ?
La dimension de la recherche : participer à la réflexion sur l’économie, ses conséquences, et essayer d’y contribuer à ma toute petite mesure. A cet égard, le département d’économie de Namur est un très bel endroit, où se travaillent de belles questions – développement économique, mesure des différentes formes de pauvreté et politiques pour la/les réduire, écologie, etc. Un désir de mon côté est de pouvoir aussi honorer, à travers l’histoire de la pensée économique et ses ramifications plus actuelles, les questionnements plus généraux sur l’économie et la forme qu’elle peut et doit prendre.
3) Qu’attendez-vous personnellement et spirituellement de cette mission ?
Dans ces deux points, il y a clairement quelque chose de « voir Dieu en toute chose ». La partie de l’aumônerie est plus explicite, et donne aussi un bon équilibre par rapport aux deux premiers éléments. Une présence auprès des étudiants souhaitant grandir dans la foi chrétienne, par l’accompagnement de deux « kots » (collocations à projet), la participation à la messe étudiante une fois par semaine, et d’autres projets qui prendront j’espère forme cette année – en particulier du côté des étudiants souhaitant grandir dans l’intelligence de la foi, à côté de ce qui est déjà proposé dans la formation et la préparation aux sacrements. L’enseignement d’un cours de « Sciences religieuses », qui prend une autre approche, est aussi une manière de pouvoir (j’espère !) contribuer à une meilleure compréhension de la dimension religieuse, des questions de sens et de rapport à la transcendance, et de ce que peut être une articulation saine entre la religion et la politique.