Centenaire de la naissance du penseur jésuite Michel de Certeau
À l’occasion du colloque organisé à Paris aux Facultés Loyola en partenariat avec l’EHESS du 17 au 18 septembre 2025 pour le centenaire de la naissance de Michel de Certeau sj, revenons sur l’héritage de sa pensée avec le théologien Christoph Theobald sj.
Christoph Theobald, jésuite, est professeur de théologie aux Facultés Loyola Paris.
Vous soulignez (1) que les chercheurs en sciences humaines se sont davantage intéressés à la pensée de Michel de Certeau que les théologiens. Quel est selon vous son héritage en théologie aujourd’hui ?
Christoph Theobald : Très loin d’une conception abstraite, doctrinale de la théologie, il place au centre l’intérêt pour le quotidien des êtres humains que nous sommes. On retrouve là un adage ignacien qui date du XVIe siècle : chercher Dieu en toutes choses. Non pas dans un au-delà, mais dans l’ici et maintenant, dans l’art des hommes de gérer la vie quotidienne et dans les interstices de notre vie quotidienne.
Michel de Certeau a prolongé une des impulsions du concile Vatican II : dépasser les frontières des appartenances. Il ne s’agit pas de les nier mais d’empêcher qu’elles se transforment en frontières et en murs, comme on le constate aujourd’hui, les rendre ouvertes. C’est ce que l’on pourrait désigner aujourd’hui en théologie par la notion d’hospitalité. Pour moi qui l’ai bien connu, Michel de Certeau est avant tout un homme hospitalier : on trouvait toujours place chez lui, il ne cessait de voyager et de s’inspirer des cultures autres.
Dans notre monde très marqué par les opinions, le cœur de sa réflexion, exposée dans son ouvrage La faiblesse de croire, mérite d’être médité : pouvons-nous vivre sans croire ? Le croire ne se réduit pas à une opinion, c’est une manière de se situer dans l’existence d’une manière singulière, par cette capacité d’accepter précisément la faiblesse de l’être humain, qui ne se ferme pas mais s’ouvre dans l’hospitalité.
Dans le champ historique, il oppose également à la vision d’un passé arrêté et ressassé au travers de la commémoration, une vision de l’histoire « jamais sûre ». Quelles sont, selon vous, les traces et l’usage de sa pensée en histoire aujourd’hui ?
C.T. : Il nous invite à prendre au sérieux la force de la mémoire, qui n’est pas la commémoration. Le débat avec ceux qui sont déjà morts nous permet de nous expliquer avec nous-mêmes, de mesurer davantage notre responsabilité par rapport au présent et à l’avenir.
Le début de son ouvrage La Fable mystique, paru en 1982, a beaucoup intrigué : « Ce livre se présente au nom d’une incompétence. Il est exilé de ce qu’il traite. » Nous sommes tous des exilés de notre passé, qui nous demeure toujours étranger, mais nous permet de mieux cerner notre situation présente. C’est ce que dit son terme de « rupture instauratrice ». L’exil par rapport au passé est une rupture instauratrice d’un avenir possible.
(1) Dans le numéro 104 de Recherches en Sciences religieuses, janvier-mars 2016.
(2) Facultés Loyola Paris, 35bis rue de Sèvres – 75 006 Paris – 01.44.39.56.14 et Facultés Loyola Paris