Le P. Bruno Saintôt sj est responsable du Département Éthique biomédicale au Centre Sèvres. Il est aussi expert auprès de la Conférence des évêques de France sur les questions de bioéthique. Voici quelques extraits de son interview pour La Vie, dans laquelle il revient sur les choix faits par les députés en Commission spéciale du projet de loi bioéthique début juillet.

embryon bioéthique « Nous pouvons comprendre l’urgence que ressentent les couples formés d’un homme et d’une femme face à leur projet de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), qui est différé en raison de la crise sanitaire. Nous pouvons comprendre aussi la souffrance des femmes seules ou en couples – et des hommes ! – qui désirent un enfant. Mais l’éthique doit veiller à la rigueur de l’argumentation et ne pas manipuler nos affects par des expressions inappropriées. Il n’y a pas, pour ces personnes, d’« urgence sanitaire » comme pour les patients atteints de formes graves de Covid-19 ou pour les personnes en attente vitale et urgente de greffe : leur vie n’est pas fondamentalement menacée même si elle leur apparaît diminuée. Si nous nous référons seulement à la santé comme«état complet de bien-être»(OMS) intégrant potentiellement tous nos désirs de « vivre plus », nous sommes incapables de définir une urgence sanitaire». Heureusement, pendant la pandémie, la médecine et la politique ont redonné sens à l’urgence. L’épreuve du réel révèle les manipulations du langage. »

« Le progrès, est-ce forcément offrir plus de possibles contre toutes les objections qualifiées de réactionnaires ou de religieuses ? Le progrès est-ce toujours plus de contrôles sélectifs sur les enfants à naître tout prétendant défendre les plus vulnérables et valoriser les différences ? Comment défendre alors un autre progrès face aux urgences écologiques ? Comment ignorer d’un côté les significations et les limites du corps, et vouloir les rétablir de l’autre ? Comment vouloir, d’une part, rendre contractuels les liens familiaux et vouloir, d’autre part, fortifier le lien social et la solidarité ? Comment vouloir tout à la fois lutter contre les tyrannies de la finance et encourager la course aux innovations les plus lucratives et le marché procréatique ? Ces contradictions, accentuées par la pandémie, ne semblent pas déranger la plupart des parlementaires. »

« L’expression même « d’invariants éthiques » est devenue suspecte pour beaucoup car elle s’oppose à une éthique aussi mobile qu’un curseur déplaçant au fur et à mesure les limites du permis et du défendu. Les interdits fondamentaux sont peu à peu supprimés. Juste après le vote de cette loi, les partisans de l’euthanasie vont réclamer l’abolition de cet interdit. L’invocation des droits de l’Homme doit continuer à signifier qu’il y a des choses que l’on ne peut jamais faire, même avec un accord qualifié de démocratique. Les significations éthiques et juridiques du principe de dignité ont beau être contestées, il demeure facile de comprendre l’interdit fondamental d’instrumentaliser un être humain au profit d’un autre. Les plus faibles en sont bien conscients ; les plus forts doivent continuer à l’apprendre en butant sur la fermeté de l’éthique et du droit. Il en va de même pour la marchandisation des éléments du corps (organes, sang, gamètes). Tout cela ne suffit pas. Un art de bien vivre ensemble, sous l’horizon de la mort, ne peut être cultivé en défendant seulement des invariants éthiques. »

> Source : article de La Vie du 8 juillet 2020 (édition abonnés)

> Débat sur la bioéthique : voir tous les éclairages du P. Bruno Saintôt sj 

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