A la veille du second tour des élections présidentielles françaises, plusieurs responsables de mouvements ignatiens livrent leur éclairage. Ils appellent les chrétiens à un « dialogue intérieur » inspiré par « la doctrine sociale de l’Église » pour discerner le bon choix tout en critiquant les solutions « radicales, extrêmes, mortifères ».

Le dimanche 24 avril, les chrétiens sont appelés, comme tout électeur, à choisir en conscience la personnalité la plus apte à conduire le pays et à assurer sa transformation profonde face aux enjeux du XXIe siècle, dans « un monde violent (…) et blessé », selon les termes du pape François dans son homélie des Rameaux.

Lorsque la vie se fait âpre pour des millions de personnes, lorsque la nation se trouve fragilisée par des agressions violentes d’origines multiples, que les démocraties sont remises en cause, il importe de fonder et d’éclairer toute décision importante par le discernement.

Retenir le meilleur des candidats en lice ou exercer un droit de veto sur l’autre candidat jugé dangereux, voilà le choix devant lequel les électeurs sont placés aujourd’hui. Face au repli sur soi, à la fermeture des esprits, au rappel à l’ordre établi y compris dans ses manifestations les plus fermes, la tentation peut être grande de choisir les voix qui crient le plus fort, capables semble-t-il de résoudre le désordre du monde au moyen de solutions radicales, extrêmes, mortifères.

L’analyse du passé éclaire le présent de ses lourds enseignements, et fournit un socle solidement éprouvé pour oser des solutions nouvelles et impertinentes, pour ouvrir en confiance sur le champ des possibles et pour répondre aux véritables défis : la transition écologique, les déséquilibres sociaux qui entraînent de facto la réaction en chaîne du désespoir (désagrégation, injustices sociales, inégalités, pauvreté), la remise en cause de la doxa néolibérale, le sort des migrants, etc.

Les points de vigilance

36 mouvements chrétiens, dont le MCC, réunis sous l’égide du CCFD-Terre solidaire, ont publié une tribune dans La Croix le 10 mars dernier. Elle liste les points saillants sur lesquels s’appuie la réflexion chrétienne, de façon à déterminer, en conscience, le choix à venir, individuellement, collectivement : l’attention aux plus vulnérables, le changement climatique, le vivre-ensemble. Et rappelle avec vigueur que « dans notre société marquée par la diversité des cultures, des traditions, des croyances et des religions, la peur de l’autre ne doit pas dicter nos choix aux dépens des droits humains. Cette peur ne peut être surmontée ni par des recherches identitaires ni par le repli sur nos frontières mais par la rencontre fraternelle et le dialogue. (…) L’altérité prime sur l’uniformité pour construire l’unité et la fraternité. »

À la veille des précédentes élections en 2017, la revue Projet (Ceras) avait déjà mis en garde les chrétiens en démontrant « en quoi l’extrême droite peut [les] séduire, sur le fondement d’une interprétation de principes hérités du christianisme (sur la famille, le respect de la vie naissante, la valorisation du patriotisme…) ; (…) mais en réalité, que l’extrême droite charrie des valeurs opposées à l’Évangile et à la pensée sociale chrétienne ».

Un dialogue intérieur

Ne nous trompons pas d’espérance. « Il nous revient en mémoire l’invitation de Jean-Paul II adressée aux Français lors de sa première visite en 1980 : ‘’N’ayez pas peur”, en écho aux paroles du Christ à ses disciples. Comme un encouragement à ne pas nous laisser emporter par notre peur, à ne pas nous laisser vaincre par notre colère », poursuit la tribune de 2017. La peur et le ressentiment ne font que saper la confiance nécessaire et l’énergie collective indispensable pour lever les barrières visibles et invisibles qui empêchent l’émancipation de la communauté humaine.

Dans un dialogue qui se doit d’abord d’être intérieur, la doctrine sociale de l’Église éclaire à bon escient les combats d’aujourd’hui et de demain : réduire à néant les obscurantismes de tous bords et oser de nouvelles approches humanistes fondées sur la compassion, l’altérité, la solidarité, l’hospitalité, la fraternité, …, afin de préserver les biens communs et de les cultiver au nom de tous et pour tous.

Laissons le dernier mot au pape François qui, lors du dimanche des Rameaux, a invité les chrétiens à méditer ces quelques phrases : « Se sauver soi-même, s’occuper de soi, penser à soi ; pas aux autres, mais seulement à sa santé, à son succès, à ses intérêts ; à l’avoir, au pouvoir, au paraître. Sauve-toi toi-même : c’est le refrain de l’humanité qui a crucifié le Seigneur. Réfléchissons-y. [… Ainsi], « apprenons à pardonner pour sortir du cercle vicieux du mal et du regret ».

Nous, signataires de cette tribune, voterons le 24 avril, mais pas contre ce que propose le pape François.

Brigitte Jeanjean, responsable nationale de CVX France avec l’équipe nationale

Véronique Albanel et Guillaume Rossignol, présidente et directeur de JRS France

Martin et Cécile Lesage, responsables nationaux du MCC avec le bureau national

Sébastien Damery et Sophie Lassagne, président et directrice du MEJ

Une tribune initialement publiée dans La Croix.

De la revue Projet, à la Maison Magis, aux Éditions jésuites en passant par le Centre Sèvres, les institutions jésuites apportent leur contribution pour aider chacun à cheminer jusqu’à l’isoloir.