Voici cinq ans paraissait Laudato si’, l’encyclique du pape François sur la sauvegarde de la Maison commune. Chargée d’étude au Centre d’analyse sociale des jésuites à Bruxelles et habitée par la question écologique, Claire Brandeleer analyse et témoigne : l’écologie intégrale, telle que l’envisage Laudato si’, touche à la question du sens de l’existence. Une invitation à élargir le regard pour se nourrir intérieurement et se mettre en mouvement…

Claire Brandeleer Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? Quand nous nous interrogeons sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son sens, de ses valeurs. Cela nous conduit inexorablement à d’autres interrogations : pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette Terre a-t-elle besoin de nous ? La crise écologique est un drame pour nous-mêmes, parce qu’elle met en crise le sens de notre propre passage sur cette Terre. » Ces extraits de Laudato si’ (LS 160) nous interpellent ; depuis cinq ans, ils m’inspirent particulièrement.

Le pape nous invite à élargir le regard : il fait de l’écologie une question sur le sens de la vie. L’écologie devient une manière d’être au monde, de se rapporter aux autres, à soi, à la nature, à Dieu. Ces lignes interpellent chacun et chacune individuellement mais interrogent aussi les groupes : « Pour quoi cette Terre a-t-elle besoin de moi, individu, association, parti politique ou entreprise ? »

Ajouter un critère Laudato si’ à nos décisions

Laudato si’ met en avant une écologie possible pour tous Ce sont nos décisions qui donnent chair, de façon concrète, au sens que nous voulons donner à notre vie. Laudato si’ nous invite à faire de l’écologie un critère incontournable de nos décisions. Nous sommes appelés à devenir des êtres animés par cette double préoccupation : « écouter tant la clameur de la Terre que la clameur des pauvres » (LS 49).

Notre vie est faite de décisions, individuelles et collectives. Il y a les décisions que l’on prend après discernement, celles qui s’imposent à nous comme des évidences et celles qui se prennent après un combat intérieur. Mais il y a aussi tout ce qui repose sur de la non-décision : il faut remettre de la décision, et donc du discernement, en amont des choses que l’on fait par habi-tude, sans trop y penser, ou parce que l’on pense qu’on ne peut pas faire autrement, voire même parce que « tout le monde fait comme ça ».

Nos styles de vie : un terrain de décisions

La terre a besoin de nous

La mise en lumière d’enjeux spirituels liés au style de vie consumériste montre que réintroduire le discernement dans nos choix de consommation peut être enthousiasmant.

Un premier enjeu est de retrouver notre liberté. Le consumérisme est addictif : on se retrouve dans une logique du « toujours plus et plus vite », et nous voilà insatisfaits. La question devient : où est mon désir ?

Un deuxième enjeu est de prendre conscience des besoins que nous essayons de combler en consommant. Reconnaissance sociale, sécurité, désir de vivre en paix la conscience de sa finitude… il ne s’agit pas de balayer ces besoins d’un revers de la main. En revanche, nous pouvons nous exercer à les satisfaire autrement que par ce que la société de consommation propose.

Un troisième enjeu consiste à mettre du lien derrière l’acte de consommation, en y ajoutant une dimension de contemplation : prendre conscience, quand nous buvons notre café, que derrière celui-ci, il y a des cultivateurs et des ouvriers. Travaillent-ils dans des conditions qui ne sont pas humaines ou bien vivent-ils dignement de leur métier ? Nous pouvons choisir de nous mettre en lien avec tout un réseau de personnes, que nous ne rencontrerons probablement jamais, mais dont nous pouvons nous rendre solidaires.

Le consumérisme, c’est aussi la consommation d’expériences (tant d’endroits à visiter, tant de livres à lire), de réseaux sociaux, voire d’engagements.

Un quatrième enjeu sera de revoir notre rapport au temps, dont nous sentons bien qu’il n’est plus ajusté ni à une vie bonne qui fait sens, ni à l’enjeu écologique.

Fonder nos décisions sur le Christ

Le pape François propose de fonder nos décisions sur le Christ. Pour lui, la conversion écologique, c’est « laisser jaillir les conséquences de notre relation avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui nous entoure » (LS 217). Nous sommes invités à revenir sans cesse au Christ, à cultiver une amitié avec Lui. Et à laisser jaillir les conséquences de cette amitié, notamment sur nos décisions.

Dans le contexte de la crise lié à la pandémie du Covid-19, Laudato si’ apparaît comme prophétique. La crise et, plus largement, les crises que nous vivons se muent en opportunité : la crise, c’est le « moment du jugement, du discernement, de la décision ». Oui, des décisions doivent être prises, individuellement et collectivement. Le chemin de l’après-Covid-19 n’est pas écrit d’avance. Ne ratons donc pas l’occasion de faire de Laudato si’ une boussole pour nous aider à le tracer !

Claire Brandeleer, chargée d’étude et d’animation au Centre Avec(Bruxelles)

En savoir +

> L’intégralité de cette analyse est parue dans la revue En Question, la revue trimestrielle du Centre Avec. À lire sur centreavec.be/publication/laudato-si-cinq-ans-apres

> Sur le Centre Avec, centre d’analyse sociale des jésuites à Bruxelles

Pour aller plus loin

Cet article est extrait d’Échos jésuites (automne 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour cela, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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