Cécile Gillet est accompagnatrice spirituelle depuis de longues années au centre spirituel ignatien à La Pairelle près de Namur. Elle s’interroge : « Peut-on ‘parler’ de l’écoute, de la liberté dans l’accompagnement ? N’est-ce pas plutôt une expérience à vivre, à recevoir, dans une relecture priante permanente ? » et poursuit : « Me reviennent en mémoire les innombrables victimes d’abus – sexuels, spirituels, de pouvoir… – qui crient toutes aujourd’hui : « Si j’avais été entendu-e ! ». Ce cri, en quoi peut-il nous interpeller, que nous soyons accompagnés ou accompagnateurs ignatiens ?
Lorsqu’à 26 ans, j’ai découvert l’accompagnement ignatien, c’est cette écoute respectueuse qui m’a aidée à creuser et à désencombrer le désir qui couvait en moi. C’est elle aussi qui a éveillé, comme en écho, le désir d’offrir cette même écoute à d’autres. Alors professeur de français, mais formée de longue date à l’écoute et à l’étude des récits bibliques, j’ai accepté l’appel du centre spirituel La Pairelle à m’engager comme accompagnatrice et animatrice de retraites. Depuis, chaque jour, l’aventure se renouvelle. Celle de l’accompagnement de ce souffle qui, depuis la Création, murmure en chacun de nous : « Adam, où es-tu ? »… ou « Marie… » ou « François… ». Le murmure d’un appel. L’éveil d’une réponse libre. Mais devenir responsable de son histoire, cela demande du courage !
Recouvert par d’autres désirs, par nos a priori sur Dieu, ou encore construit sur de fausses attentes, c’est pourtant ce pauvre désir qui nous conduit en notre centre. C’est là que, tout doucement, nous pouvons accepter de nous laisser surprendre par cette « brise légère », où Dieu se laisse trouver. Comment accompagner cet éveil ? Saint Ignace de Loyola postule que la rencontre de Dieu doit se produire sans intermédiaire. Karl Rahner met dans la bouche d’Ignace ces mots d’une folle audace (1 ) : « J’ai réellement rencontré Dieu, Dieu vivant, Dieu vrai. Inutile de confronter cette assurance avec ce qu’un cours de théologie peut dire sur la nature de telles expériences (…) J’ai fait l’expérience de Dieu (…), au-delà de toute image et de toute représentation « . Notre foi n’est plus une réponse à une autorité extérieure, mais à notre propre conscience. Cette affirmation vaudra à Ignace des soupçons d’illuminisme, mais il persistera et en fera le cœur même de l’accompagnement des Exercices spirituels : « [Que la personne qui donne les Exercices] laisse le Créateur agir immédiatement avec sa créature et la créature avec son Créateur et Seigneur (Exercice spirituel n° 15) ». Pour autant, comme accompagnateur, dois-je rester un simple témoin ? Ce désir, il faut le nourrir. C’est l’Écriture, la Parole même de Dieu, qui inscrira, au fond de celui qui le cherche, cet « effet de vérité », capable de l’initier à la liberté et à l’amour. En méditant les événements de notre vie à sa lumière, nous mesurons la profondeur de nos mouvements intérieurs, pour entrevoir, à travers les déplacements incessants, ce qui demeure. Ce qui demeure n’est pas pour autant exempt de crises ! En nous, il y a des forces de vie et des forces de mort, qui méritent qu’on lutte pour ou contre elles. L’accompagnateur écoute, aide à accepter le combat – il est si tentant de proposer d’emblée la voie qui nous paraît la meilleure ! – mais en suggérant un itinéraire spirituel où sera donné à l’accompagné de comprendre que l’on n’en a jamais fini de chercher et de découvrir Dieu. L’espace est toujours ouvert, où l’écouté et l’écoutant vivent dans leur inaliénable altérité. N’est-ce pas l’image même de la Trinité ? Dans le contexte de l’accompagnement spirituel, il s’ensuit des attitudes que Christian Grondin décrit ainsi : « [Ces attitudes] dessinent la voie d’une mystique de l’écoute-humilité, une véritable éthique du dépouillement du moi (…). Il s’ensuit pour l’accompagnateur une triple posture, de nonsavoir, de non-valoir, de non-pouvoir » (2). Nous n’acceptons pas toujours d’être pauvres, mais lorsque nous l’acceptons, nous percevons ce qu’exprime Rainer Maria Rilke : « La pauvreté est comme une grande lumière au fond du cœur. » Offrir, humblement, son écoute, ouvrir un chemin de liberté. Chaque visite deviendra alors Visitation…
Cécile Gillet ,
accompagnatrice au centre spirituel ignatien à La Pairelle près de Namur
1. Karl Rahner, Discours d’Ignace de Loyola aux jésuites d’aujourd’hui, Le Centurion, 1983.
2. Christian Grondin, La spiritualité du peuple de Dieu, pour une pratique renouvelée des Exercices spirituels, Ed. Lessius, 2017.
Témoignages
« La liberté est le plus beau cadeau que Dieu m’ait donné. L’amour inconditionnel qu’il a pour moi, merveilleuse création divine parmi les autres, m’a libérée de toute attente, de toute contrainte de plaire, de toute obligation que je m’imposais, laissant place à la femme que je suis. En communion avec Dieu, toujours présent en moi, il me conduit sur mon chemin unique, me permettant de vivre chaque instant avec délectation, illuminé de paix, de joie, d’amour. » Myriam
« Comme accompagnateur de groupes, d’équipes, de communautés, je suis persuadé que l’Esprit saint a la capacité de parler à travers chaque membre du groupe. Dès lors, une de mes tâches essentielles est d’aider à ce que la parole soit libérée chez tous, même les plus timides ou ceux qui paraissent n’avoir rien à dire. Respect du temps de parole imparti, audace d’interpeller avec doigté et délicatesse… Tout cela permet de voir grandir la vérité, le respect et la liberté dans le groupe. » P. Michel Bacq sj, accompagnateur ESDAC
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.