Le bienheureux Jacques Berthieu, jésuite, est devenu le 21 octobre 2012 le premier saint de Madagascar et de l’Océan Indien.

Une vocation missionnaire

Jacques Berthieu est né le 27 novembre 1838 à la ferme du domaine de Montlogis, à Polminhac, dans le Cantal en Auvergne. Ses parents y étaient fermiers. Il est l’ainé survivant d’une famille de 7 enfants, la première née étant décédée à l’âge de 2 semaines. Les ancêtres de Jacques se retrouvent à Giou de Mamou aux XVIème et XVIIème siècles, après un court passage par Yolet, ils se sont installés à Polminhac vers 1730.

Il fait ses études au séminaire de Saint-Flour (Cantal). Il est ordonné prêtre diocésain le 21 mai 1864 à Saint-Flour puis nommé vicaire de Roannes-Saint-Mary. Il resta au service de ce diocèse de 1864 à 1873.

Puis il entra au noviciat de la Compagnie de Jésus, en 1873. Il suit les études de théologie à Vals où il sera marqué par le Père Ramière et la dévotion au Sacré Cœur de Jésus. Très vite, le père Berthieu affirme une vocation de missionnaire. Ses supérieurs veulent l’envoient  à Madagascar deux ans plus tard.

21 années d’apostolat dans l’Océan Indien et trois exils

Ile de Nosy Boraha

Ile de Nosy Boraha

En 1875 il quitte le port de Marseille pour  l’île de La Réunion d’où il passe bientôt sur Sainte Marie (aujourd’hui: Nosy Boraha), une île (française) au large de la côte nord-ouest du Madagascar, pour y étudier la langue malgache. Avec deux autres jésuites et les Sœurs de Saint Joseph de Cluny il forme une équipe missionnaire dynamique. Il y fait du travail pastoral durant cinq ans, jusqu’en mars 1880.

Ses vingt-et-une années d’apostolat furent entrecoupées de trois exils, à cause des lois françaises antireligieuses et des guerres coloniales. Mais le 29 mars 1880 les jésuites sont expulsés de tous les territoires français. Les lois républicaines de Jules Ferry contre les Congrégations religieuses le contraignent à quitter sa mission et à rejoindre la grande île de Madagascar, alors royaume indépendant. Il se rend à Tananarive et Tamatave et dans la lointaine mission d’Ambohimandroso au sud de Antanarivo (Tananarive), de 1881 à 1883.

Jacques BerthieuTout dévoué à ses brebis, il ne leur cachait pas les exigences de la sainteté, notamment l’unité et l’indissolubilité du mariage.

En 1883 les guerres tribales des Hovas contre les troupes coloniales (première guerre franco-malgache) le forcent à nouveau à quitter son village, il se rend à Tamatave comme aumônier militaire.

De 1886 à 1891 Jacques Berthieu dirige la mission d’Ambositra où il ouvre nombre de postes missionnaires et développe l’éducation scolaire… Il consacre beaucoup de temps à la formation des catéchistes, lutte contre les foyers irréguliers, insistant sur l’unité et l’indissolubilité du mariage. Il développe aussi l’agriculture et soigne les lépreux.

En 1891, Jacques Berthieu est en charge de deux postes au nord d’Antananarivo. Il se fixe enfin à la mission d’ Andrainarivo au Nord de Tananarive, « à huit heures de cheval, bon train, sans s’amuser ». Il ajoute: « J’ai commencé la vie de vrai missionnaire, seul, sans compagnon, dans un vaste district. J’ai dix-huit postes ou paroisses à desservir, parfois très éloignés les uns des autres. »

Voir ci-dessous l’ Extrait plus détaillé de cette lettre du bienheureux Jacques Berthieu à un prêtre de ses amis où il indique qu’il ne peut accepter l’invitation d’un voyage en France. Il est aussi conscient du danger qui le menace.

Il s’occupe de la christianisation de plus de dix villages et stations missionnaires. La situation y est difficile ; les rivalités entre protestants et catholiques y sont vives.

Mais la seconde guerre franco-hova (guerre coloniale franco-malgache 1894-1895), l’oblige à un nouvel exil, plus court cette fois, sur l’île de la Réunion et il est de retour en décembre 1895, sur la grande île de Madagascar, à Ambatomainty après treize mois d’absence..

Une paix est signée, mais elle ne règne pas dans tous les esprits.

Vers le martyr

En 1896 il est confronté a une insurrection politico-religieuse du mouvement Menalamba, ceux qui portent des lamba ou toges rouges (opposition au christianisme et au pouvoir français). Partie de l’ouest de l’Imerina, elle gagne le nord. Les chrétiens sont souvent menacés car pendant cette rébellion, la tribu des Menalamba voulait rétablir le culte des idoles.

Les derniers événements qui viennent de frapper le pays, répètent les meneurs, ont pour cause l’abandon du culte des Ancêtres. Sans distinguer entre le politique et le religieux, les insurgés s’en prennent à tout ce qui est étranger. Ils ont réussi à s’infiltrer dans la région d’Andrainarivo. La population doit être évacuée par ordre de l’autorité militaire.

Jacques Berthieu cherche à placer les chrétiens sous la protection des troupes françaises. Privé de la protection d’un colonel français à qui le Père avait reproché sa conduite envers les femmes indigènes, le Père Berthieu dirige ainsi un convoi de chrétiens vers Antananarivo. Le P. Berthieu a un cheval, il pourrait prendre les devants; il lie son sort à celui des habitants, prête sa monture à un employé de la mission qu’une plaie au pied empêche de marcher.

Menalamba Les toges rougesIl est isolé des soldats et attaqué par les Menalamba, le 7 juin 1896. C’est ainsi qu’il tombe entre leurs mains dans l’après-midi du 8 juin 1896.

Il est arrêté. Il reçoit un coup de hache sur le front et des chrétiens divorcés se vengent des reproches du père Jacques Berthieu en l’insultant et en le frappant. Sur le chemin qui le conduit au chef de l’insurrection, il tombe épuisé, ne cessant de prier pour ses bourreaux qu’il appelle « mes enfants ».

Le 8 juin 1896 il lui est cependant proposé la vie sauve s’il renonce à la foi chrétienne : « Renonce à ta vilaine religion, n’égare plus le peuple », lui avait lancé le chef des Manalamba, avant de poursuivre : « nous te prendrons pour faire de toi notre chef et notre conseiller, nous ne te tuerons pas ». « Je ne puis absolument pas consentir à cela. Je préfère mourir ! », avait-il alors répondu, en s’agenouillant.

Quelques minutes, après il reçoit une décharge de fusil. Un coup à bout portant l’achève. Son corps est traîné jusqu’au fleuve Mananara et jeté dans les eaux.

Le missionnaire refuse donc cet acte d’apostasie. Jacques Berthieu accepte d’être fusillé à Ambiatibe (à 60 kilomètres de Tananarive). A sa mort, plusieurs de ses agresseurs adhèrent au message de l’Evangile et reçoivent le baptême. Jacques Berthieu fait la fierté des catholiques malgaches.

Les étapes vers la canonisation

Le 10 octobre 1916, Mgr de Saune, vicaire apostolique de Tananarive, a chargé une commission d’enquête sur les circonstances exactes de sa mort. En 1933 à la demande de la Sacrée Congrégation des Rites, s’ouvre le procès de l’Ordinaire qui aboutit, le 8 avril 1964, à la déclaration officielle par Paul VI du martyre du P. Berthieu. Il a été proclamé Bienheureux. Martyr de la foi et de la chasteté, il fut béatifié à Rome par Paul VI le 17 octobre 1965, pendant le concile Vatican II. Sa fête est le 8 juin. Le Pape Benoît XVI a, le 19 décembre 2011 dernier, autorisé la Congrégation pour les causes des Saints à promulguer les décrets reconnaissant les miracles de sept futurs Saints, parmi lesquels le Français Jacques-Berthieu (1838-1896), missionnaire mort martyr à Madagascar. Il sera canonisé par le pape Benoit XVI le 21 octobre 2012, à l’occasion de la journée mondiale des missions.

Quelques citations :

« Dieu sait si j’aimais et si j’aime encore et patriae fines et dulcis Alverniae arva (le sol de la patrie et la terre chérie de l’Auvergne). Et cependant Dieu me fait la grâce d’aimer bien plus encore ces champs incultes de Madagascar, où je ne puis que pêcher (et bien péniblement) à la ligne quelques âmes pour Notre Seigneur. »

« La mission progresse, bien que les fruits ne soient encore qu’en espérance en bien des endroits et peu visibles en d’autres. Mais que nous importe, pourvu que nous soyons de bons semeurs : Dieu fera pousser en son temps. »

Extrait d’une lettre du bienheureux Jacques Berthieu à un prêtre de ses amis. Il ne peut accepter l’invitation d’un voyage en France

« Je ne puis vous le cacher, il y a eu quelques changements que la grâce de Notre Seigneur, en m’appelant à la vocation religieuse, a dû opérer en moi. Il a fallu consommer en réalité et pour toujours et non in voto et ad tempus (en désir et pour un temps seulement) certains sacrifices que Notre Seigneur demande à ceux qu’il a daigné appeler à sa suite de plus près et speciali modo (d’une manière particulière). C’est mon cas. il n’est pas d’usage chez nous, quand on est en mission à l’étranger, qu’on rentre jamais en France pour simple visite, alors même qu’on vous payerait les gros frais de voyage, comme l’aurait désiré ma mère pendant la guerre franco-malgache, alors que nous étions expulsés.

Donc, cher ami, un bon au revoir au ciel, si Dieu m’en fait la grâce ; c’est tout ce que je puis vous promettre à vous comme à ma chère, nombreuse et bien-aimée famille qui en a fait son sacrifice comme moi, dès le premier jour.

Dieu sait si j’aimais et si j’aime encore et patriae fines et dulcis Alverniae arva (le sol de la patrie et la terre chérie de l’Auvergne). Et cependant Dieu me fait la grâce d’aimer bien plus encore ces champs incultes de Madagascar, où je ne puis que pêcher (et bien péniblement) à la ligne quelques âmes pour Notre Seigneur. Je conserve de Roanne un excellent souvenir. Mais je sais d’autre part, et pour sûr, que c’est ici que Dieu m’a appelé : y rester jusqu’à ma dernière heure n’est plus pour moi un sacrifice ; revenir en France en serait un que je ne pourrais faire que pour Dieu, comme je fis le premier. Je vous parle franchement et sans figure. C’est là un des secrets très communs, mais peu connus, de la vie missionnaire.

… Je suis maintenant depuis dix-huit mois à une grosse journée Nord de Tananarive, sans compagnon (confrère) pour la première fois de ma vie, ayant dix-huit postes à desservir sur une très vaste étendue… Me voilà donc depuis lors missionnaire pour tout de bon et je m’y suis fait. Mes forces baissent, mais je puis bien encore monter à cheval… Une fois le mois, à la réunion des Pères, je vais à la capitale, pour toutes les affaires… Je n’y manque guère. Voilà en partie ma vie. Pour résumer, c’est ici que le Royaume des cieux souffre violence de la part de nombreux, méchants et puissants ennemis.

Quant à vous donner quelque conseil d’ami, je ne l’ose guère. Je me bornerai à celui de saint Paul, qui me regarde moi autant et plus que vous : Attende tibi et gregi in quo te posuit Deus… regere ecclesiam (veille sur toi-même et sur le troupeau où Dieu t’a placé… pour être pasteur de l’Eglise) ( cf. Act 20, 28). »

(Ed. A. Boudou, Le P. Jacques Berthieu , Beauchesne, 1935, pp. 342, 344-345).