A l’occasion de la naissance de la nouvelle Province d’Europe Occidentale Francophone (EOF) à Namur l’été 2017, Mme Amélie de Montchalin, députée de la sixième circonscription de l’Essonne, sous l’étiquette de La République en marche ! (LREM), nous fait découvrir les frontières sociales, économiques de notre époque qui sont à traverser. Elle partage dans cette intervention son expérience des défis à relever dans des projets de nouvelles structures.

Chers tous, Chers amis,

Je voudrais pour commencer vous parler d’une femme, haute comme trois pommes : Andréa. Andréa est née en 1914, en Belgique flamande. Dernière d’une famille de 10 enfants, elle est arrivée en France au sortir de la 1ère Guerre Mondiale, dans une Europe dévastée et en quittant une Belgique surpeuplée… Ses parents et ses frères ainés se sont lancés dans la reprise de fermes en Picardie, car il y avait de quoi faire pour reconstruire ces terres de combat et nourrir les bouches affamées par ces années de privation. Ils ont repris une première exploitation céréalière là où décollent maintenant les avions de Roissy, puis une seconde, puis une troisième en Champagne…

A 22 ans, elle s’est mariée avec un fils d’agriculteurs français, Lucien. Ils ont repris une ferme eux-mêmes et y ont élevés avec excellence des moutons Ile de France médaillés chaque année depuis au Salon de l’Agriculture. Avant la 2ème Guerre Mondiale, Andréa a eu 3 enfants, qu’elle a élevé seule pendant la Guerre, tenant la ferme et continuant d’exploiter les champs comme elle pouvait. Et puis les choses sont rentrées dans l’ordre. La vie a été douce, entre les plaines picardes et les sommes alpins qu’elle a découvert à 50 ans, qu’elle aimait tant et qui lui donnaient de nouvelles perspectives verticales après celle bien horizontales de la Belgique et Picardie… Et en janvier 2012, Andréa est décédée, atteinte par la maladie d’Alzheimer. Au fil des années, elle a tout oublié, mais ses derniers mots compréhensibles ont été un Notre Père en flamand. Andréa est mon arrière-grand-mère, et je trouve qu’être avec vous ici, à Namur, c’est une manière de rendre grâce pour le parcours qu’a été sa vie…

Alors, après cette entrée en matière, il est peut-être utile de vous dire rapidement « d’où je parle »

  • Je viens donc d’une famille d’agriculteurs où les femmes ont toujours travaillé sans l’exprimer ainsi. Elles ont tenu les comptes, reçu avec générosité, fait tourner les équipes, accueilli et nourri les ouvriers, suivi la vie de leurs familles…
  • Je viens de deux familles du Nord, belges et frontalières. Le Nord où l’on sait que le climat impose d’être conviviaux et où les familles sont nombreuses
  • Je viens d’une famille contradictoire, des agriculteurs nomades, qui ont déménagé au gré des expropriations et des opportunités… Avec mes parents, et mes 5 frères et sœurs, puis avec ma propre famille, j’ai compté avoir habité dans 13 maisons depuis que je suis née
  • Je me suis très jeune intéressée à l’économie et je me suis demandée pourquoi l’on vivait aussi différemment dans ces 13 endroits où j’ai vécu, en France, à Calais, au Brésil, aux Etats-Unis…
  • Je me suis aussi très jeune intéressée au débat public et politique, au récit collectif qui raconte qui l’on est et où l’on va. Que dit-on aux gens qui vivent dans ces 13 endroits sur leur réalité, leur avenir ?
  • J’ai enfin, eu la chance de rejoindre la grande famille jésuite et ignatienne depuis le début de ma vie étudiante : en classe préparatoire, lors de mes études de commerce, pendant les JMJ et Magis à Cologne… J’ai aussi pu apprécier l’ouverture au monde de cette grande famille, vivant quelques semaines dans une communauté Xavière au Tchad et gardant des liens forts avec des jésuites qui ont été implantés en Région Parisienne, à Marseille, Boston et Rome

Aujourd’hui, je suis ainsi :

  • Une économiste qui a travaillé dans de grandes entreprises financières, pour les aider à se transformer et à se rendre utile au monde, à comprendre comment ce monde change et comment rester pertinent face à tant de bouleversements
  • Une épouse, mariée avec Guillaume, depuis 8 ans qui sont passés si vite
  • Une maman comblée de 3 jeunes enfants, Bertille, Joseph et Gautier, qui ont 6, 4 et 4 ans. Certains disent que je suis une femme pressée, la vie nous l’a bien rendu en nous lançant le défi d’accueillir deux bébés jumeaux en même temps !
  • Depuis un mois, je suis une députée En Marche à l’Assemblée Nationale, élue en Essonne, à 15 kms de Paris, sur le Plateau de Saclay, là où ma grand-mère, la fille d’Andréa, a développé et exploité une ferme, où elle vit toujours, avec des vaches et de grands champs… la boucle est bouclée…

Je suis ici devant vous car j’ai reçu il y a quelques mois un message un peu énigmatique, objet « Namur », du Père Pascal Sevez – mon Préfet des Etudes en classe préparatoire et le Père qui nous a accompagné, préparé puis célébré notre mariage quelques années plus tard. Le message m’invitait à « témoigner et à partager quelques expériences et réflexions de notre temps sur ce que la création d’une nouvelle Province Jésuite pouvait porter comme message pour notre société et notre époque ». En quoi, je le cite, cette nouvelle aventure collective pouvait-elle nourrir une dynamique et une expérience de la rencontre du Christ pour nos contemporains ?

Vaste sujet… Depuis j’y ai donc souvent réfléchi, et pris des notes sur des petits carnets, fugacement, écrivant des choses que mon quotidien de maman, de salariée et de candidate en campagne – et donc beaucoup réfléchi dans ma voiture ! et plus récemment de députée – notamment pendant les longues séances de nuit, m’amenaient à penser sur ce moment de création, de transformation, de débuts prometteurs auxquels nous participons… et vivons pleinement aujourd’hui avec la création de cette Province.

Personnellement, je pense que cette nouvelle Province, ce moment de nouveau départ, peut être le signe et l’occasion de redonner une place au Christ en portant et incarnant trois grands messages – autour de trois thèmes : la surprise, la complexité et le temps présent…

1/ Le premier message à porter et incarner est que la surprise et l’imprévu sont essentiels à notre Humanité

Le message fort et absolu de l’Evangile est que Dieu crée moins de certitudes que de mystères. A partir du chaos qu’il sépare, qu’il ordonne, qu’il transforme, il « crée » un monde qui produit à son tour des événements non prévisibles : le Déluge, un Homme et une Femme qui n’écoutent pas ses conseils, une Création qui lui échappe et déjà mystérieuse aux yeux de Lui qui l’a façonnée, la possibilité du Péché…

Nous avons nous aussi aujourd’hui et chacun notre part de création, nous avons notre responsabilité, nos initiatives, nous discernons sur nos actions passées et à venir… car nous avons souvent le choix. Le choix du Bien ou du Péché. De la facilité ou de la sanctification. De l’effort ou du laisser-aller.

A l’inverse de ces initiatives et choix personnels, la plus grande Révolution de notre temps est sûrement celle des Données, du Big Data et des mathématiques qui sont mises à leur service. Grâce aux données, aux traces que nous laissons partout dans notre vie – là où nous nous trouvons, ce que nous consommons, ce que nous apprécions, les sourires que nous faisons ou pas dans le métro, nous entrons dans un monde où certains pensent que nous devenons prévisibles, lisibles et certains diraient mêmes transparents. Parce que nous aurions des points communs, alors nous serions prédisposés à nous comporter de manière attendue et commune.

Mais même dans cette époque qui est la nôtre, si nous regardons les startups les plus dynamiques qui nous entourent, tous leurs créateurs vous diront que l’idée qui les rend prometteurs (et riches) n’est pas celle initiale et qu’ils ont « pivoté » dans leur projet. Au fond, ce que l’Evangile apporte à notre monde, et ce que les Jésuites portent dans leur vocation, c’est cette capacité à rester disponible et libre pour « pivoter », pour comprendre que notre vocation est peut-être à côté, qu’il y a une bifurcation à prendre, que peut-être qu’il n’y a pas de carte nous disant où le chemin nous guide, mais qu’avoir la liberté de prendre ce nouveau chemin est ce qui nous rend humain et au Service de notre monde.

Nous sommes des êtres forts justement parce que nous sommes imprévisibles, des êtres d’émotions. Parce qu’on ne peut pas facilement savoir où nous serons ensuite, ce que nous ferons après… Nous grandissons justement quand l’élan de vie et d’amour nous submerge, nous amène à rendre grâce et nous amène à vivre pleinement notre condition d’Hommes et Femmes libres. Nous sommes Enfants de Dieu quand nous laissons l’Esprit Saint agir en nos cœurs et nous guider là où nous ne nous pensions pas capable d’aller.

Pour moi, le moment où Dieu nous montre qu’il aime l’Humanité, c’est quand il permet à Adam et Eve de le contredire. Nous sommes nous aussi vraiment humains, à l’image du Christ, quand nous agissons sans contrôler ou savoir prévoir les conséquences de nos actions. Ce n’est pas être inconséquent que de faire le Bien pour le Bien sans toujours calculer là où cela nous emmènera, quand nos Oui sont plus marqués d’Espérance que de Certitudes, quand nous aimons nos enfants ou ceux à qui nous transmettons un savoir pour les rendre libres plutôt que de les enfermer. Jésus est vraiment Homme quand il accueille Judas parmi ses disciples. Quand il accorde sa confiance à Pierre. Quand il s’assoit avec les pèlerins d’Emmaüs. Quand il prend un risque, mais qu’il fait le Bien.

Accepter un monde qui n’est pas prévisible, qui n’est pas celui froid et absolu des Données et du Big Data, c’est accepter la nouveauté et la surprise. C’est accepter que Dieu œuvre en « fond d’écran », en « temps masqué ». Accepter l’imprévu, c’est rester éveillés à être appelés – à servir, à suivre une vocation, à sortir du sentier où l’on est pour bifurquer. Ce sont ici les fondements d’ailleurs de l’obéissance jésuite…

A mon échelle, je suis aujourd’hui députée parce que j’ai répondu à un appel en janvier – pas de l’Ange Gabriel, mais d’un certain Emmanuel. Celui qui allait devenir Président de la République cherchait des « candidats à la candidature » pour une élection qui semblait à l’époque ingagnable et improbable. J’ai mis mes pas dans ce sentier, encouragée et soutenue par mon mari, mi-apeurée (est-ce vraiment raisonnable ?), mi-curieuse (chiche ?), et sentant qu’il y avait beaucoup à apprendre à accepter de se mettre en risque, à sortir d’un chemin professionnel et familial prenant certes mais plutôt confortable et bien tracé… Ce qui m’attend dans ma nouvelle vie de députée est encore mystérieux, transformant… j’y vois une route pour grandir et déployer ce que je suis et ce qui compte pour moi autrement. Comme quand les pères Jésuites sont envoyés en « mission », loin et différemment de leurs attentes. C’est imprévisible, exigeant mais essentiel à votre mission de service de l’Eglise et du Monde.

Chacune des Provinces qui aujourd’hui se rejoignent pour marcher ensemble avaient leurs chemins, en France, Belgique francophone, au Luxembourg, à Maurice et en Grèce. Chacune suivait sa route et aujourd’hui une bifurcation, qui reste peut-être encore pour certains inattendue, vous amène à faire route ensemble. Sans savoir exactement comment le chemin va se dérouler, qui vous allez y rencontrer et où cela précisément cela emmènera chacun et chacune. Cela ressemble à ce que nous vivons, nous qui avons été appelés à la vocation du mariage : changer de chemin, pour marcher sur une nouvelle voie, sans vraiment savoir où il nous guidera et en acceptant d’être encore surpris chaque jour…

Votre expérience collective de Jésuites qui créez, vous aussi, un nouveau chemin dit beaucoup de choses à notre monde. Qu’il y a une vraie place à la transformation, à la nouveauté. Et que s’en remettre à Dieu et à l’Esprit Saint est un chemin de Foi et de Sainteté.

2/ Le deuxième message à porter et incarner est celui de l’importance d’embrasser de d’aimer la complexité

Dans notre Foi, nous acceptons et vivons des appels très contradictoires :

Nous croyons au Christ, vrai Homme et vrai Dieu.

Nous croyons en un Dieu unique, et Trinitaire.

Nous voulons célébrer l’unité de l’Eglise et valoriser toute sa diversité.

Nous vivons dans une Eglise qui est bien de ce monde, et qui est aussi déjà dans le monde divin.

Nous devons collectivement accepter de marcher sur la ligne de crête entre des mondes contraires : rester soi sans exclure l’autre, accueillir l’autre tout en gardant son identité. C’est le « en même temps » de toute la pensée ignatienne (et celui qui a traversé la campagne d’Emmanuel Macron dans un autre domaine !).

Celui qui appelle les Jésuites à être contemplatifs et actifs.

Celui qui les appelle à agir au cœur de l’Eglise et à ses frontières.

Sur tous les sujets, notre monde est plus complexe : il y a moins de grande pauvreté, mais beaucoup plus d’inégalités. Il y a plus de richesse agrégée, mais aussi plus de chômage de longue durée. Il y a moins de prêtres, mais plus d’attente spirituelle que jamais. Il y a une connexion permanente permise par les réseaux sociaux, mais plus de solitude que jamais.

Cette complexité fait le lit des populismes, du simplisme, des extrémismes. Elle déroute et crée l’illusion que les solutions seraient simples, collectivement et individuellement.

Cette complexité demande que des voix s’élèvent pour montrer que l’on peut chercher une manière unifiée de vivre et répondre à ce qui nous séparerait, tiraillerait ou opposerait.

Mon engagement politique de députée élue d’ailleurs a été totalement porté par ce « en même temps ». Celui d’un discours politique qui essaie d’être dans le réel, pas dans le rêve ou le cauchemar, mais qui dit qu’il y a des choses qu’il faut conserver et d’autres qu’il faut réformer. Que sur chaque sujet, il y a du très bon et du beaucoup moins acceptable. Que rien n’est simple et que tout demande du travail sérieux. Qui a des convictions fortes sur ses objectifs, et qui sait que sa détermination ne mènera pas au succès si elle se rend sourde aux critiques. Que l’opposition n’est pas seulement un « problème à gérer » mais un aiguillon pour faire mieux.

Face à cette complexité, nous avons tous le devoir collectif de former, d’éduquer, d’apprendre à faire aimer la réflexion, la prise de recul, le temps long plutôt que le réflexe. Rien dans notre monde nous y dispose. Twitter, Facebook et autres médias présentés comme des « fils » de nouvelles et informations empêchent par construction de confronter des points de vue. Tout est court, attire l’œil et est déjà remplacé par autre chose du même ordre. Pour appréhender la complexité, et aimer la manier, il faut arriver à pouvoir réunir les points de vue connexes, saisir la nature des frottements et mettre des mots sur ces tensions. C’est un exercice intellectuellement passionnant quand on y est formé, et tout l’art jésuite de poser des questions pour répondre à une première question est une excellente formation en ce sens.

Face à cette complexité, les éducateurs ont aussi le devoir de redonner le primat du libre arbitre à leurs élèves. Le risque de gouroutisation face à la complexité est omniprésent. Il a été montré que la grande majorité des « Like » sur les réseaux sociaux sont faits sur la seule base de la personne qui lance l’information, sans se soucier du contenu. L’autorité vient de moins en moins du contenu, et de plus en plus du messager. Il est donc essentiel que nous ayons des choses à dire, des questions à poser plutôt qu’une autorité à imposer pour Servir notre monde… Ce cheminement occupe toute une vie, et profitera pleinement d’échanges où la parole confiante, échangée en vérité, apporte beaucoup de lumière et d’énergie pour marcher sur nos « lignes de crêtes ».

Cette ligne de crête, cette complexité, il faut être prêt à l’embrasser quand on crée quelque chose de nouveau, car cette « nouveauté » ne sera pas pure, absolue, parfaite. Elle sera multiple, changeante, parfois décevante.

Au fond, votre nouvelle Province sera l’incarnation de cette complexité en mouvement : c’est une nouvelle Province et qui a déjà une longue histoire. Vous êtes tous jésuites et avec des parcours et des formations bien distinctes…

3/ Le troisième message à porter et incarner est celui de l’importance du temps présent

Notre monde est obsédé par le succès – nous le savons. Il est depuis quelques années à peu près également fasciné par l’échec… Tous les best-sellers des coqueluches de la Sillicon Valley commencent par le récit enjoué des échecs et idées avortées qui ont permis le succès tant attendu. Un Américain qui n’a pas dormi dans sa voiture après avoir été viré ou mis sur la paille après une première expérience n’est pas, au fond, digne de respect… J’exagère un peu mais s’est développée une forme de civilisation où le supposé échec est une étape essentielle à la réussite professionnelle, familiale et sociale. Il faudrait bientôt avoir divorcé pour pouvoir être un bon époux, avoir fait faillite pour être un bon entrepreneur et un drogué désintoxiqué pour être un bon citoyen… Notons d’ailleurs que l’échec ne se vit pas, il s’analyse a posteriori, donc il y a derrière tout cela plus de construction que de réalité…

Je mettrai ainsi cette fascination en parallèle d’un autre, celle de la mémoire absolue et permanente. Parce que nous gardons et stockons chaque parcelle de nos « moments de vie », de nos « histoires », notre hypermnésie collective laisse peu de place à l’oubli. Nous demandons à nos administrations, aux entreprises de garder des « dossiers » sur nos interactions passées pour ne plus être des anonymes quand nous échangeons avec elles… Tout est noté, compilé… ce qui a « marché » et ce qui a « échoué ». Là où nous avons « brillé » et là où nous avons été « décevants ». Nous ne sommes plus dans le domaine des « souvenirs », là où l’imaginaire, l’inconscient et les brumes du passé se mélangent. Nous sommes dans la compilation factuelle, méthodique et presque maniaque de l’enregistrement de nos faits et gestes. Nous ne laissons plus de place à la disparition lente et progressive de nos consciences des moments d’égarements et d’erreurs…

Au fond, ne s’autoriser des succès qu’ils ont été précédés par des (supposés) échecs ou ne s’autoriser à rien oublier conduit à la même chose : la formation d’un Monde où l’Homme est façonné par son passé plus que par ses actions et sa présence au temps présent.

Les Exercices Spirituels sont construits pour nous placer à l’opposé exact de cette tentation : « faire » les exercices, c’est vivre au présent des moments vécus par le Christ lui-même. C’est les imaginer, les ancrer en nous et les faire passer du récit à l’expérience.

La relecture ignatienne n’a pas pour objectif de ressasser des images, des événements et tout ce qui nous empêcherait d’avancer. La relecture a justement pour objectif de remettre devant Dieu l’intégralité de nos personnes, et savoir reconnaitre l’œuvre de l’Esprit Saint dans nos vies, au présent… pour être davantage présent au monde et à nous-mêmes.

Etre présent au temps présent est aussi le cœur de l’écoute fraternelle, de la Prière et du Pardon. Pardonner ne se raconte pas, cela se vit. Si nous nous souvenons de certains moments forts de prière, nous sommes avant tout appelés à en rendre grâce et à prier encore plus bellement – au présent. Nous savons combien les temps d’Adoration face à la présence réelle du Christ sont forts. Forts parce que fugaces, parce qu’inracontables, parce qu’uniques…

Etre parent de jeunes enfants apprend cette présence au présent. Du haut de 4 ou 6 ans, on vit ses émotions au fil des événements, de l’amour reçu et des vexations endurées. Il n’y a pas de Pardon a posteriori, il y a des câlins, des larmes et des baisers sur le vif. Il y a des rires qui peuvent suivre des bouderies, car chaque instant porte son lot de bonheur et d’apprentissage. A cet âge-là, il n’y a pas d’échec et peu de souvenirs.

Jésus nous appelle souvent dans l’Evangile à garder nos cœurs purs, à imiter les enfants. Il ne nous demande pas d’oublier, ni de nous morfondre. Il nous demander d’aimer – toujours, inconditionnellement – et à agir, servir. A la Samaritaine, il demande de l’eau, pas une explication ou un récit. A la tentation des souvenirs et du récit personnel, Jésus nous offre une troisième voie : celle du service au présent.

Pour nous tous ici, c’est un message fort. C’est un appel à agir, à être dans notre monde, au présent. Peu importe l’histoire et le passé des trois provinces qui se lient aujourd’hui, cette nouvelle Province est appelée avant tout à regarder maintenant plus que demain ou hier. A servir chacun avec un grand cœur là où nous serons.

Tout comme il y a des Messes qui prennent leur temps, soyons non pas tant de notre temps mais dans le temps présent…

C’est pour moi un chemin très exigeant, étant souvent plus dans le futur, dans le demain, dans les possibles, dans la construction, la projection, la conceptualisation que dans le goût du moment présent. J’ai encore beaucoup à apprendre pour écouter les autres pour ce qu’ils me disent sans penser à ce que je vais leur répondre, ou déjà imaginer ce que nous pourrions faire ensemble, ensuite… C’est mon chemin de foi à construire, chaque jour par petit pas…

Conclusion

Nous nous sommes parlés ce matin d’imprévu à accueillir, de complexité à embrasser, et de temps présent à vivre pleinement. Nous nous sommes parlés d’un monde qui change et d’une vie humaine qui ne change pas tant que cela.

Dans ce monde, pour rester Hommes et Femmes, mais surtout Frères et Sœurs et Enfants de Dieu, notre chemin est celui de l’action bienveillante et engagée, de la charité vraie et de l’Espérance.

Osons et autorisons-nous à prendre ce chemin. Pour nous y aider, comptons sur le compagnonnage entre prêtres et laïcs, pour que nous nous autorisions mutuellement, comme le faisait déjà Ignace, à avoir confiance en ce Dieu qui agit en chacun de nous.

Cette confiance puise sa source dans le projet que Dieu a pour nous. Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance : à son image car nous portons tous l’expression du sceau de Dieu, son amour pour nous est premier et indéfectible : dès notre Création, Dieu est déjà à l’œuvre. La ressemblance car nous c’est à nous d’accepte de répondre à Dieu, c’est à nous d’accepter sa présence, c’est à nous de chercher la Sainteté, elle nous est offerte, pas donnée.

La ressemblance, c’est aussi laisser Dieu et l’Esprit Saint nous guider, en restant attentifs à leurs manifestations, à leurs surprises fécondes dans nos vies.

La surprise féconde, c’est tout ce que recouvre le joli concept de sérendipité, avec lequel je vais conclure. La sérendipité est le fait de « réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d’un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet ». C’est trouver quelque chose qu’on ne cherchait pas, grâce à une part de hasard. C’est Christophe Collomb qui découvre l’Amérique en voulant aller plus rapidement vers les Indes. C’est Arthur Flemming et les moisissures autour des staphylocoques qui deviendront pénicilline. C’est « l’art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente ».

Peut-être, si nous croyons à cette belle idée de sérendipité, que les fruits que porteront cette Nouvelle Province ne seront pas ceux que nous / vous attendrez, pas ceux que vous organiserez mais qu’ils seront là où l’on ne regardera pas tout de suite. Peut-être ces fruits seront avant tout le produit de l’Esprit Saint, certains diront du hasard… plutôt que de nos propres actions.

Mais comme le dit Pasteur, « Le hasard dans les découvertes scientifiques ne sourit qu’à ceux qui y sont préparés ».

A nous donc d’offrir à l’Esprit nos cœurs préparés.

« Christ n’a pas de mains. Il n’a que nos mains pour faire son travail aujourd’hui. Christ n’a pas de pieds, il n’a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin. Christ n’a pas de lèvres, il n’a que nos lèvres pour parler de Dieu aux hommes. Christ n’a pas d’aides. Il n’a que notre aide pour mettre les hommes à ses côtés. Nous sommes la seule Bible que les hommes lisent encore. Nous sommes le dernier message de Dieu écrit en actes et en paroles ».

Soyons ce message, soyons ces mains, soyons prêts.

Amélie de Montchalin

A Namur, le 30 juillet 2017