Le P. Bartomeu Melià sj, grand spécialiste des populations de Guaranis d’Amérique latine, nous fait part de ses recherches et de l’importance encore aujourd’hui de la langue guarani.

Ils ont été découverts vers 1505 sur la côte atlantique. On a constaté par la suite qu’ils s’étendaient tout au long du fleuve Paraguay en amont. Parmi eux, les nouveaux arrivés dans leur pays ont fondé la ville d’Asuncion en 1537. Amis des espagnols au début, ils se sont vus très vite soumis à une sorte d’esclavage déguisé, puisque tout leur était interdit. Ils ont donc été obligés de travailler la terre au profit des colons et d’accompagner les conquérants dans leurs guerres contre d’autres indiens. A la fin du premier siècle de la colonisation, un quart seulement de la population qui avait été repérée s’en est sortie vivante. Guerres, maladies et mauvais traitements, ainsi que mépris, ont été les quatre chevaux de leur apocalypse.

Dès le début on les a baptisés, ce qui, en fait, se réduisait souvent au changement du nom et à les soumettre aux nouveaux seigneurs, au même temps qu’ils étaient empêchés de pratiquer leur religion et de maintenir leur économie de réciprocité, où l’échange des biens se faisait par le don.

Les « Réductions du Paraguay »

C’est dans cette situation que les jésuites les trouvent quand, en 1609, ils entament et créent parmi les indiens encore libres dans la forêt, pas encore atteints par les espagnols, un nouveau mode de mission, désigné à l’époque par le mot «réduction».

L’objectif était de regrouper les indiens guaranis dispersés selon leur coutume, dans de petits hameaux  assez seuls et éloignés les uns des autres, dans des villages plus grands afin qu’ils puissent vivre plus policés et humanisés; à vrai dire, il s’agissait d’un projet colonial; on pensait que pour mieux les évangéliser, les indiens devaient être rassemblés dans un seul endroit; mais d‘un autre coté, la créativité des jésuites a su respecter deux aspects essentiels du mode d’être guarani: la langue guarani n’a pas été substituée par l’espagnol et l’économie de réciprocité a été retenue; pas d’argent dans les Réductions; vie communautaire, biens communautaires.

Ce système a bien réussi pendant toute la période où les jésuites ont été avec les guaranis. Vis-à-vis de la société espagnole, c’était un scandale. Ils se sont heurtés à toutes sortes d’animosité et de médisance. On leur a fait la guerre.

Le triomphe de l’humanité

Mais à l’époque, des auteurs européens, comme Ludovicus Muratori ont vu dans l’expérience des jésuites avec les guaranis une « chrétienté heureuse » et Voltaire l’a salué comme « un triomphe de l’humanité ». D’une façon un peu exagérée, elle a été décrite comme un    « état musical » où il n’y avait pas moins de quarante musiciens par village qui jouaient la musique baroque de leur époque avec virtuosité ; le frère jésuite, Doménico Zipoli, est le plus notable compositeur de ces pièces qui sont jouées jusqu’à nos jours dans les villages des indiens Moxos et Chiquitos de la Bolivie.
Les Parisiens se rappellent le fameux concert de 2006 à l’église Saint Ignace qui a connu un grand succès.

Les écrits en guarani

Les Guaranis ont appris à écrire et ils ont fait de ce moyen une arme de communication, de défense de leur identité et de lutte.

Dans les archives de Buenos Aires et d’Asuncion, mais aussi dans celles de Simancas, de l’Archivo Històrico Nacional de Madrid, du British Museum et en mains privées il y a un nombre considérable de documents historiques, lettres, livres de piété, imprimés dans les villages guaranis avant même l’existence d’imprimeries à Buenos Aires.

Ces documents sont en train d’être transcrits et traduits par des spécialistes du projet LANGAS à l’Université de la Sorbonne 3. C’est une remarquable littérature qui met en évidence la créativité des guaranis. Il faut se dire qu’en période coloniale la littérature au Paraguay était en fait en langue guarani.

L’expulsion de jésuites en 1768 a été un coup terrible pour le peuple guarani et l’histoire paraguayenne. La nouvelle entrée de colons et la restauration de la propriété privé ont bouleversé le système, la culture et la religion mis en place par les jésuites en pays guarani.

L’utopie aurait-elle eu lieu au Paraguay ? 

En fait presque rien n’est resté, sinon de magnifiques ruines et de saisissantes églises en pierre, des cloîtres, des maisons, que les touristes regardent et admirent sans y comprendre grand-chose. Les langues indigènes sont méprisées ; une économie de réciprocité telle qu’elle était vécue par les guaranis est impensable aujourd’hui pour notre mode de vie moderne.

Les guaranis sont parmi nous

Mais les Guaranis sont encore aujourd’hui partout, en Argentine et en Bolivie, au Brésil et au Paraguay. Ils continuent à parler leur langue, ils n’ont pas abandonné l’économie de réciprocité, ils augmentent en nombre – ils sont actuellement quelques 200 000 ; malheureusement ils ont été chassés de leur forêt, pour laisser la place aux cultivateurs de soja transgénique. Du coup beaucoup de guaranis sans terre restent ainsi au bord des routes, mais ils ne désespèrent pas ; ils luttent pour récupérer leurs territoires.

Dans une autre économie et avec leur spiritualité de longs rituels de danses et chants, ils sont encore pour nous la mémoire du futur.

Bartomeu Melià, s.j.
Paris, octobre 2012

> Photos : © Bartomeu Melià sj :  Mundo Guarani, Asunciòn, Paraguay, 2011.

> Pour en savoir plus :
Le jésuite Bartomeu Mélià récompensé en Espagne pour son action auprès des Guaranis
La fin des missions jésuites des Guaranis
Fritz Hochwälder et la fin des Missions Jésuites du Paraguay