Du 9 au 12 décembre, la session annuelle de formation permanente du Centre spirituel Manrèse (Clamart) était consacrée à l’accompagnement des personnes dans des situations complexes ou qui ont été blessées par des abus, notamment dans l’Eglise. Retour du P. Paul Legavre sj, directeur du Centre Manrèse et de deux participantes.

Cette session, ouverte aux jésuites, religieuses, laïcs de la Famille ignatienne qui rendent un service d’accompagnement de retraite spirituelle ou dans la vie quotidienne, a réuni soixante participants.  En situation d’accompagnement, toutes et tous, rencontrent de plus en plus de personnes qui sont dans des situations humaines (familiales, conjugales, ecclésiales, relationnelles) complexes au regard des recommandations ecclésiales et des exigences baptismales, ou encore qui ont été blessées par des abus, notamment dans notre Église.

De telles situations atteignent les accompagnateurs personnellement et les confrontent à des interrogations souvent difficiles : comment se situer ? Comment écouter jusqu’au bout des personnes qui se retrouvent souvent en marge ? Quelle parole de réconfort, de soutien, d’invitation à la conversion est possible ? Comment accueillir et accompagner ces personnes dans le respect de ce qu’elles sont et en les aidant à trouver leur chemin, selon la foi chrétienne et en Église ?

manrèse

Une fraternité plus grande dans le service

Nous avons pris le temps de réfléchir à ces situations et d’interroger notre pratique, notre écoute. Des exposés puissants nous ont entrainés très loin, en profondeur, et ont été source de parole entre nous dans des directions différentes : prendre la mesure de la diversité de situations difficiles, douloureuses (P. Jérôme Guingand sj) ; accueillir le legs de la sagesse antique grecque (P. Laurent Gallois sj) ; consentir à être touchés (sœur Rachel Guillien) ; accompagner avec bienveillance (P. Thierry Anne sj) ; en vue du salut de son âme, recevoir à nouveau le chemin des Exercices Spirituels (sœur Sylvie Robert) ; nous mettre à l’écoute d’Amoris Laetitia (P. Alain Thomasset sj). Nous écouter et nous parler à cette profondeur nous ouvre à une fraternité plus grande, dans le service du Royaume, en Église, … et appelle notre conversion.

 Intervention de  Sœur Rachel Guillien :
« Être touchés »

♦ Consentir à être touchés, mais non déstabilisés au point de perdre de vue le Christ ;

♦ être touchés par la souffrance et cultiver l’espérance, notamment auprès des personnes victimes d’abus ;

♦ être touchés dans notre rapport à la loi, l’éthique et nous appuyer sur Sa miséricorde quand les personnes sont sur un chemin de mort ;

♦ être touchés dans nos propres limites et identifier notre malaise quand la perversité se dit.

Cette formation s’inscrit dans une démarche plus vaste : ces dix-huit derniers mois, nous avons tous été secoués, éprouvés, par les nombreuses révélations de crimes et abus de conscience, abus de pouvoir, abus sexuels. À Manrèse, nous avons avancé de plusieurs manières : nous avons invité à la prière et au jeûne chaque vendredi, de l’Avent à Pâques – pour les victimes et pour notre propre conversion, en Église ; nous proposons diverses retraites et formations qui touchent à l’accompagnement des situations complexes, dans une Église blessée ; et nous avons poursuivi la mise aux normes du Centre avec la création de parloirs permettant d’écouter les retraitants dans des lieux dédiés. La Compagnie de Jésus nous demande, avec raison, d’entrer plus avant dans une démarche de prévention des abus de toutes sortes, et ces parloirs étaient devenus indispensables.

Nous devons nous rappeler que ce qui est en jeu, profondément, c’est la conversion de l’Église, et de chacun, telle que le pape François y invite avec vigueur dans la Lettre au Peuple de Dieu, publiée en août 2018.

P. Paul Legavre sj, directeur du Centre spirituel de Manrèse

Témoignages de participants

Retire tes sandales, ce lieu est une terre sainte

« La tradition ignatienne privilégie le silence et la discrétion de l’accompagnateur, au service de la parole de celui ou celle qui reçoit les Exercices Spirituels. Il nous faut aussi parler : comme l’a exprimé l’un des participants lors d’un atelier,  « Il nous revient toujours de dire la loi, avec bienveillance, sans chercher à imaginer comment elle pourrait être accueillie par la personne accompagnée ».

Rachel Guillen nous a rappelé que « c’est quelque chose d’heureux de se laisser toucher. Il n’y a pas d’amour sans blessure ». D’où l’importance de relire et d’avoir des lieux de parole et de supervision. Le souci d’Ignace est que personne ne soit exclu de la relation avec le Seigneur ; c’est bien la question de la vie qui est au cœur de l’accompagnement. J’ai mieux appréhendé la relation entre la Loi de l’Église et la miséricorde divine. »

Sœur Dominique

Entrer en entretien avec un cœur large et généreux

« Je retiens de la session qu’il n’y a sans doute pas un accompagnement spirituel spécifique ou différent pour des personnes en situation complexe. Mais je reçois une invitation à m’engager plus profondément du fait de la gravité de ce qui est vécu. Ignace invite à entrer dans les Exercices Spirituels « avec un cœur large et généreux ». Cela vaut aussi pour moi quand j’entre dans un entretien d’accompagnement, en particulier quand la personne vit une situation douloureuse, complexe.

Ces entretiens, pour qu’ils aient une plus grande fécondité, il me faut les relire, c’est-à-dire oser écouter jusqu’au bout, jusqu’à l’inouï, l’Esprit en moi et en la personne accompagnée. Et continuer à pratiquer le discernement, en écoutant les mouvements intérieurs suscités par la rencontre. J’ai aussi à relire ma manière de regarder, ma bienveillance, les tâtonnements de mes propositions.

Je reçois un appel à prier davantage pour la personne accompagnée, la confier à Dieu, et comme Ignace, regarder la situation vécue en priant, dans l’attention aux motions. Enfin, je voudrais recevoir Amoris Laetitia plus profondément et notamment cette grande vérité : la mission première de l’Église est de faire entrer chacun dans le grand mystère de Dieu et de l’intégrer dans la communauté ecclésiale. La Loi n’est pas là pour condamner, il s’agit d’aider chacun à avancer, selon la règle de la gradualité. »

Catherine Mercadier (Versailles)

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