Avec le confinement, un monde nouveau, pourtant « déjà là », s’est (r)ouvert à nos yeux, autrefois aveuglés par le rythme effréné de nos vies. Le P. Jean-Luc Fabre est rédacteur en chef de Christus, revue trimestrielle de spiritualité ignatienne, fondée et animée par les jésuites. Il nous invite à relire notre journée avec un regard renouvelé, comme le jardinier prend soin de son jardin…

Jardin de Vanves, un lieu vert. Durant le confinement de printemps, il m’a été donné de parcourir à pied les quelques kilomètres séparant les bureaux de la revue Christus, à Paris, de ma communauté de Vanves. Sensation étrange d’arpenter ces rues presque sans voitures, de croiser de très rares passants. Et là, incongrues, sur les trottoirs, des herbes folles ont poussé ; certaines ont même fleuri, se déployant parfois en tapis de verdure. Dans les squares aussi, les plantes ont percé le pavement minéral. J’écoute. En l’absence des bruits habituels de la rue, des oiseaux se manifestent par leurs cris et leurs chants, de plus en plus généreux, au fur et à mesure des semaines. Et l’air, oui l’air, purifié de cette odeur d’essence, que je ne remarquais même plus, cet air neuf, vivifiant, m’a renvoyé au temps de mon enfance.

Dans la jachère de ce monde d’hier, arrêté, comme pétrifié, surgissait un monde nouveau. Ce monde nouveau était aussi celui de mon enfance, dont le souvenir fut encore ravivé par le gloussement des poules de notre jardin. Ce monde nouveau était donc « déjà là », derrière l’autre ; il était toujours présent, secret et doux, en attente, comme éternel. Pour que je le perçoive, il fallait que je sois contraint de ralentir brutalement, dans un monde qui ralentissait lui aussi.

Ce monde, de jadis et d’aujourd’hui, s’est manifesté à moi avec une évidence éblouie. Durant ce temps en suspens, j’ai eu la chance de pouvoir jardiner un peu, chaque matin. Et j’ai pu ainsi mesurer la croissance des végétaux de jour en jour. Je sème quelques graines et j’attends les jeunes pousses sans pouvoir les reconnaître à coup sûr, mais je continue à arroser chaque matin. Je tâtonne, j’observe, je pose un acte comme une offre de dialogue. J’attends une réponse qui me viendra de ce monde, en son temps…

Un dialogue entre deux mondes

Et puis le confinement s’est lui arrêté, en juin. L’activité a repris son cours « normal ». Mais je sais maintenant, de tout mon être, que cet autre monde, celui de mon enfance, est toujours là, rieur, doux et fort, derrière le monde actuel, sérieux et laborieux. Il met en moi l’espérance de la possibilité heureuse du surgissement d’un autre monde pour tous. Vous savez, ce fameux « monde d’après ».

Au fond de moi, le travail et la prévision n’épuisent plus le tout de ma journée. Je sais que ce labeur ne dit pas le tout de ma vie. Je sens ainsi en moi le combat spirituel entre ces deux mondes : celui du modélisé, du calculé, de l’attendu, et celui de la découverte, du tâtonnement et du dialogue. Je sens bien que je dois être sur les deux mondes, mais que la vraie vie consiste à savoir ralentir, à se poser, à entrer en dialogue.

Relire sa journée

Aussi, depuis ce temps, je relis autrement ma journée. Je considère ma propre vie comme habitée par ces deux mondes, celui de la prévision et celui de la gratuité, du dialogue. Je sens le combat entre les deux, avec celui qui n’a de cesse de prendre tout l’espace, qui veut tout organiser, réguler, et l’autre qui est là, doux et humble.

Je prends un temps plus long pour laisser revenir la journée passée. Je m’efforce tout spécialement de me rendre attentif à ce qui surgit, à ce qui me nourrit, à ce qui peut prendre de l’importance, de manière inopinée, comme l’herbe sauvage des trottoirs ou les chants des oiseaux. Je prends le temps de savourer ces instants revenus, de les nommer, d’y revenir encore pour en exprimer tout le suc. En repérant les rencontres, les paroles échangées, les idées qui sont nées, je me promène dans le jardin de ma journée. JL Fabre

P. Jean-Luc Fabre sj
Rédacteur en chef de la revue Christus

Pour relire le jardin de ma journée

Je prends le temps de me poser, je prends conscience du lieu où je suis et je me mets en présence du Seigneur…
Je laisse revenir et se déployer le « jardin de ma journée », en demandant au Seigneur de me rendre particulièrement attentif aux jeunes pousses, à ce qui m’a apporté de la vie, de la joie… Je prends le temps d’admirer ce jardin.
J’observe la croissance des nouvelles pousses, de la fleur, du fruit qui s’épanouit. J’observe aussi la branche ou l’herbe qui prend trop de place. Je n’hésite pas à tailler la branche, à couper le gourmand, à enlever ce qui a séché ou fané. Je le fais avec soin, lentement et amoureusement. Je suis attentif à la séance de jardinage de la veille.
Après ce temps de promenade dans le jardin de ma journée, je referme la porte avec un sentiment de gratitude et de confiance envers le Jardinier de mon cœur.

Pour aller plus loin

Christus - juillet 2020 : Christus : S'abandonner, d'où naît la confinace? Depuis plus de 60 ans, la revue Christus, fondée et dirigée par les jésuites, accompagne chaque trimestre celles et ceux qui cherchent à vivre la rencontre quotidienne avec le Christ, au travers de chacun des actes de leur vie, dans la lignée de la spiritualité ignatienne. revue-christus.com