P. Joseph Lacretelle (30.6.2025)
C’est après trois ans de ministère paroissial à Bordeaux qu’il révélera son véritable charisme personnel. Initialement, en effet, le statut de prêtre au travail ne relevait pas d’une logique de formation. Joseph était un homme timide « considérant toujours les autres comme supérieurs à lui-même ! » (Phil 2, 3). Son supérieur local suggéra au provincial de l’encourager à devenir prêtre au travail. Cet engagement donnera forme à tous ses engagements ultérieurs. Conscient, en se mettant au travail de magasinier, qu’il avait tout à apprendre des autres, il établira avec ses collègues de travail une relation de fraternité qui attirera à lui les plus fragiles, les plus modestes, les plus blessés. C’est aussi ce goût des pauvres qui l’amènera à louer, pendant quelques années, un appartement dans le quartier le plus populaire du centre de Bordeaux où il accueillait les plus paumés. Cela l’amena aussi à devenir membre militant de l’association « Vie libre » qui accompagne les victimes de l’alcoolisme sur le chemin de la guérison. Mais, là encore, Joseph ne voulait pas se mettre en surplomb. Il s’imposa, pour être en pleine solidarité avec les membres de l’association, de renoncer à tout alcool, obtenant même, pour un temps, de célébrer la messe avec du jus de raisin.
Joseph trouva, par ailleurs, un bon équilibre spirituel en rejoignant le Renouveau charismatique où s’exprimait une sensibilité adaptée à la sienne et où il mit à profit ses qualités d’écoute exceptionnelles. Son insertion dans le Renouveau fut si appréciée qu’elle lui valut, en 2013, de devenir son délégué diocésain. Ce sont aussi ses qualités d’écoute et de discernement qui ont fait de lui un accompagnateur de CVX très apprécié. Un des membres d’un groupe CVX qu’‘il accompagna pendant 12 ans m’écrivait : « Avec son air de ne pas y toucher, le regard presque baissé, derrière sa si grande sensibilité, par le ton à la fois affirmé et doux de sa voix, l’éternel habillement passe-muraille, il était profondément attentif aux bonheurs et aux douleurs de ses frères en Incarnation. Il nous confia une fois ou l’autre certaines de ces personnes avec qui il vivait une solidarité radicale et nous avons alors compris que son regard à la fois plein d’amour et souvent d’humour subtil pouvait percer à cœur le mystère des êtres et susciter une vraie rencontre. »
En communauté, Joseph était aussi réputé pour son humour ainsi que pour ses distractions. Je me rappelle celle-ci – célèbre ! – : alors qu’il vivait en communauté dans l’appartement du quartier populaire de Lormont, en partant au travail, chaque matin, Joseph descendait d’une main son cartable et de l’autre le sac poubelle de l’appartement. Un jour, arrivant au travail, Joseph constate qu’il avait attaché au porte bagage de sa mobylette le sac poubelle au lieu d’y mettre son cartable. Mais Joseph était le premier à rire de lui-même !
Ses dernières années réclamèrent de lui beaucoup de renoncements. Il regretta de quitter l’appartement en quartier populaire pour rejoindre la communauté du centre-ville de Bordeaux. Et surtout, il vécut douloureusement son éloignement de toutes ses relations bordelaises en partant à Pau où il bénéficia néanmoins du soutien de ses sœurs. Mais Il vécut ces renoncements sans jamais se plaindre. Nul doute que le Père ne l’accueille par ces paroles qu’il a souvent méditées : « Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, (…) entre dans la joie de ton seigneur » (Mt 25,23).
Pierre SALEMBIER sj (Athènes)
Article publié le 30 juin 2025