Les expériments sont au cœur de la formation initiale de tout jésuite. Responsable de la formation des novices, le P. Thierry Anne sj retrace l’histoire et le sens de ces temps d’expérimentation. Matthieu et Samuel, novices de première année, ont expérimenté ce noviciat « hors les murs » en pleine crise du coronavirus : ils ont vécu confinés, au service des résidents âgés d’un ÉHPAD (Maison de Repos et de Soins) à Bruxelles.

« Ce progrès dans l’oraison que l’on acquiert dans les Exercices n’est pas donné (…) seulement pour soi mais en vue de la fin poursuivie par la Compagnie. Ainsi, les Exercices achevés, on fait l’expérience de la fermeté des désirs du novice. Pour cela, il est placé dans un hôpital, où il a des occasions d’éprouver son humilité, sa patience, sa charité. Il connaît ainsi ce qu’il est et la mesure de son progrès dans les choses spirituelles », écrivait Jérôme Nadal, ce proche de saint Ignace de Loyola, et un des meilleurs interprètes de sa pensée.

Nadal nous présente en quelques lignes le cœur de la vie d’un compagnon jésuite : un constant aller-retour entre la prière et le service apostolique. La perspective étant de contempler tout en s’activant et de porter la mission tout en priant, le noviciat cherche à en être un véritable entraînement. À cette fin, Ignace invente une manière nouvelle de vivre ce temps de formation initial : il conçoit un programme étalé sur deux années pleines au lieu d’une seule, qui conduit à un aller-retour régulier entre les lieux d’expériment et la communauté du noviciat.

Les Constitutions de la Compagnie de Jésus évoquent quatre expériments : les Exercices spirituels pendant 30 jours, l’expériment d’hôpital, l’expériment de pèlerinage et l’expériment domestique. À cela, nous avons ajouté, en bien des pays du monde, un expériment apostolique auprès des plus pauvres, un expériment pastoral, un expériment d’études et un apostolat hebdomadaire dans la ville du noviciat. Au total, le novice passe ainsi près de neuf mois en différentes missions à l’extérieur.

Qu’est-ce qu’un expériment ?

L’expression « expériment » pourrait se définir comme une expérience qui produit du fruit spirituellement. Au résultat, cette expérience – souvent choisie par différence avec les expériences déjà traversées par les novices jusqu’alors dans leur vie – provoque des déplacements et éclairages intérieurs tels que le novice voit sa vocation éprouvée, c’est-à-dire émondée, précisée, et souvent renforcée.

Nadal souligne qu’Ignace place les 30 jours d’Exercices spirituels en première position. Dans la solitude avec le Seigneur, les novices demandent la grâce de suivre le Christ humble et pauvre. Les expériments donnent l’occasion de vérifier que cette demande, devenue désir passionné, tient la route. Que serait un choix émis et écrit qui ne se manifesterait pas en actes ? Le novice et son responsable de formation considèrent alors le décalage ou, au contraire, admirent la confirmation, laquelle se concrétise par l’attention aux plus pauvres, le tablier de service jamais vraiment rangé, l’amour du prochain, la joie de la rencontre des hommes et femmes.

Thierry Anne Ainsi en va-t-il de notre formation initiale depuis près de cinq siècles. Elle s’avère tellement fructueuse que la plupart des maisons de propédeutique (de préparation à la formation de prêtre) en ont repris plusieurs éléments, cherchant à retrouver ce mouvement si original !

Thierry Anne sj, maître des novices pour la province EOF, Lyon

 

Un expériment en plein confinement : deux novices témoignent

13 mars 2020, veille du départ en expériment d’hôpital. Du fait de l’augmentation brutale de malades du Covid-19, la destination de Samuel changeait d’heure en heure. Matthieu apprenait qu’il ne vivrait pas ses soirées et jours de repos au sein de la communauté jésuite Saint-Michel, à Bruxelles… mais confiné dans un ÉHPAD de Bruxelles, tenu et animé par les Petites Sœurs des Pauvres, où était prévu son service de jour. Trois jours après la messe d’envoi en expériment, c’est la surprise des retrouvailles ! À l’inattendu de l’annonce, succédait le défi de bien vivre cet expériment à deux, et éloignés d’une communauté jésuite.

Matthieu et Samuel en expériment au temps du coronavirus.

« Service des repas en chambre, émissions de radio pour les résidents, animation de temps de prière ont densément rythmé nos journées. Cette mise au service quotidienne fut l’occasion d’éprouver notre fraternité et de la rendre plus authentique. Le coronavirus nous força à tomber les masques.

Alors que nombreuses étaient les occasions de manger avec d’autres, nous avions choisi de partager ensemble nos repas. C’était l’équilibre dont nous avions besoin entre ouverture aux autres et vie de (petite) communauté. Tandis que le climat de tension suscité par la pandémie était facteur de désaccord entre nous et avec les employés, des prises de parole libres, une écoute bienveillante et un brin d’humour ont permis de dépasser ces divisions.

Cette joyeuse fraternité a, nous semble-t-il, rayonné extérieurement et porté du fruit : une grande confiance nous a été donnée dans des prises de responsabilités et des échanges empreints de sincérité.

« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Mc 4, 26-27). »

 

En savoir +

> jesuites.com/noviciat-jesuites

Pour aller plus loin

Cet article est extrait d’Échos jésuites (automne 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour cela, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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