Jésuites à Luxembourg La parabole de la joëlette Depuis 2012, le P. Vincent Klein sj, aumônier du Centre pénitentiaire du Luxembourg, et ses collègues sont partenaires d’une initiative qui ne manque pas de saveur d’Évangile. Le Projet Joëlette – du nom de ce fauteuil roulant tout-terrain à une roue, guidé par des accompagnateurs valides – offre à des personnes en situation de handicap de vivre des excursions en pleine nature. Quand l’impossible devient possible…

Le Projet Joëlette luxembourgeois est né d’une initiative belge appelée « Les Chemins de TraverSe ». Le Tricentenaire, à Heisdorf, foyer d’accueil pour personnes porteuses de handicaps lourds, est partenaire de ce projet avec l’aumônerie de prison. Il réunit autour de quelques résidents du Tricentenaire des personnes détenues en congé pénitentiaire, d’anciens détenus, des réfugiés et des bénévoles, souvent amis de la Communauté jésuite du Christ-Roi. Novice jésuite depuis 2018, j’ai eu la chance de vivre un expériment de six semaines au foyer d’accueil du Tricentenaire. Je témoigne ici d’une expérience marquante de mon séjour luxembourgeois et de l’équilibre d’une joëlette tout-terrain, belle métaphore de nos relations humaines.

Une rencontre improbable

Ces excursions dans la nature suscitent la rencontre, subtile alchimie, entre des personnes venant d’horizons très divers. « Nous sommes très différents de par nos histoires. Dans cette expérience, ce qui compte, ce n’est pas le parcours plus ou moins facile dans la vie de chacun, mais notre humanité commune » exprime Romain Kremer, un des fondateurs du projet, aumônier à la prison et membre de la CVX. Christophe, ancien détenu et habitué de ces sorties, abonde en ce sens : « Ces sorties joëlette m’apportent deux cents fois plus que je ne donne… cela me procure à chaque fois de l’élan ». Il y a les habitués – certains en ont déjà vécu plus de trente – mais aussi, à chaque sortie, des nouveaux. La personne porteuse d’un handicap se trouve au centre de cette rencontre improbable qui devient alors « une explosion de joie », selon l’expression de Romain.

Une solidarité à toute épreuve

Jésuites à Luxembourg La parabole de la joëlette (2) Pas de sorties joëlette sans un minimum de bénévoles. En effet, pour conduire une joëlette, quatre marcheurs au moins doivent se relayer : deux pour conduire le siège roulant et un de chaque côté pour accompagner la personne assise et la rassurer quand les chemins deviennent escarpés. Pour assurer la sécurité de tous, il est nécessaire de partager l’effort et de se concerter. L’objectif n’est pas d’abord de vivre une performance physique, mais de créer une cohésion qui permette de partager la joie de respirer en pleine nature.

Dans l’effort les personnalités se révèlent, s’enrichissent et se confrontent. « Nous sommes tous à égalité, chacun vibre à des sensations, à des peurs. En se mettant au service les uns des autres, on avance ensemble », exprime Christophe Dalstein, éducateur au Tricentenaire. À la fin d’une sortie, David, un bénévole d’origine africaine, s’est exclamé : « Je suis fatigué de joie ! »

Surmonter des obstacles

« Le mystère de la joëlette, c’est de franchir ensemble des obstacles », explique encore Romain. « C’est toujours la personne qui est sur le siège qui décide de l’itinéraire. » Viviane partage spontanément: « Je suis heureuse de pouvoir découvrir des sites magnifiques de notre région où je ne pourrais aller seule ». Et Yolande renchérit: « Cela me fait à chaque fois du bien de prendre un bol d’air ». Les deux sont résidentes au Tricentenaire. Prisonnières de leur corps, elles savent ce que veut dire franchir des obstacles et surmonter des peurs. Et que dire de Wenguo et David qui ont dû quitter leurs pays d’origine ou de Christophe, Francisco ou Jos qui portent le lourd handicap d’une vie de galère ? Sur un sentier escarpé, au-dessus d’un ruisseau à franchir ou d’un escalier à descendre, les bras tendus, les genoux pliés et les rires partagés trahissent la joie de traverser ensemble la merveilleuse réalité d’une nature qui résiste parfois.

Quand la grâce de la rencontre rend possible l’improbable, l’équilibre de la joëlette devient une parabole de nos expériences humaines et spirituelles. Comment ne pas penser au paralytique de l’évangile (Luc 5, 17-26) qui, porté par la solidarité des siens, vit la rencontre inattendue avec le Seigneur de la Vie qui le rend à la liberté. Le secret du Projet Joëlette se révèle dans ce partage de nos fragilités qui nous font grandir en humanité ! À plusieurs, aucun obstacle n’est infranchissable…

En savoir plus

Sur les chemins de TraverSe : https://leschemins.wixsite.com/chemins
Sur le noviciat chez les jésuites : www.jesuites.com/noviciat

Bruno Delaunay nsj*
Novice jésuite en expériment au Luxembourg

> Source : revue Échos jésuites, été 2019S‘abonner gratuitement à la revue trimestrielle numérique et /ou papier