La Compagnie de Jésus a publié le 3 juillet un communiqué appelant les victimes d’abus sexuels commis par des jésuites à témoigner et faisant un point d’étape sur les mesures de prévention mises en place. Le Provincial, le P. François Boëdec sj, explique dans une interview parue dans La Croix l’importance du recueil de ces témoignages pour les victimes, pour l’Église et pour la Compagnie elle-même.

françois boedec sj ciric

BRUNO LEVY/CIRIC

« L’appel à témoins lancé par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) nous a semblé un moment opportun car nous souhaitions faire un point d’étape sur les témoignages qui sont remontés à notre cellule d’écoute mise en place en 2014 et encourager toutes les victimes d’abus commis par des jésuites qui ne se sont pas encore manifestées à témoigner.

La remontée de témoignages des victimes est primordiale

« Je crois que nous avons réussi à faire face aux situations d’urgence. En revanche, savoir comment gérer les situations anciennes, qui concernent des jésuites pour la plupart décédés, nous a pris plus de temps. Nous avons avancé grâce aux victimes, qui nous ont poussés à prendre la parole. Nous témoignons que ces rencontres nous ont mis en chemin et transformés. C’est important aussi pour elles de se rendre compte que nous les entendons et que nous sommes profondément affectés par ce qu’elles ont vécu. C’est notre histoire, il nous faut la regarder en face. Et nous sommes déterminés à faire ce travail de mise en lumière. »

Je comprends très bien – même si je le regrette – que des victimes n’aient plus confiance en l’Église et ne souhaitent pas lui adresser leur témoignage mais la Ciase est une commission indépendante et peut, à ce titre, leur permettre de se sentir en confiance pour parler.En ce sens, nous avons envoyé un message personnalisé à toutes celles qui nous avaient contactés pour les encourager à contacter aussi la Ciase (1), ainsi qu’à toutes les associations d’anciens élèves des établissements jésuites, en indiquant que nous, jésuites, sommes désireux, que les victimes se manifestent.

« Il faut bien comprendre que ces témoignages sont importants pour nous aussi. Cela apporte des informations, davantage d’objectivité. Cela nous fait regarder en face ce qui s’est passé, la manière dont ces abus ont été traités jusqu’à aujourd’hui. Cela nous permet d’exprimer que nous avons failli à notre mission dans telle ou telle situation, que c’est pour nous une honte, une grande tristesse, et cela aide, je l’espère, les victimes elles-mêmes. Dans la majorité des cas, les personnes que nous recevons nous disent être soulagées d’avoir été entendues. »

« Nous nous engageons à chaque fois à faire des recherches et à en communiquer aux victimes le résultat. Dans certains cas, c’est frustrant quand nos archives ne révèlent rien, soit parce qu’il n’y a pas eu de signalement à l’époque, soit parce que les cas se sont réglés à l’oral par le passé. Mais lorsque nous avons connaissance d’autres victimes du même abuseur, nous l’indiquons et c’est important pour la victime de le savoir. »

« Concernant nos archives, il est évident que la CIASE aura accès à tout ce à quoi elle veut avoir accès. Mais il faut savoir que les dossiers des jésuites en France dans nos archives représentent 500 mètres linéaires ! Le témoignage des victimes est donc particulièrement utile. Enfin, c’est une question de documentation et de mémoire : chaque fois qu’une personne s’adresse à nous concernant un jésuite pour une plainte, un dossier est désormais ouvert et conservé. »

Un travail de vérité et de parole nécessaire

« C’est l’Église tout entière qui est blessée. Il y a sûrement une lassitude, mais je pense que tout le monde a envie qu’on aille jusqu’au bout de ce travail de vérité et de parole. Le pape nous y encourage.

Personnellement je prie beaucoup avec cette prière eucharistique : « Fais de ton Église un lieu de vérité et de liberté, de justice et de paix, pour que l’humanité tout entière renaisse à l’espérance ». L’Église devrait être ce lieu de parole libre et de respect dont le monde a tellement besoin. Et c’est sans doute pour cela que c’est tellement dur pour les chrétiens et pour la société tout entière de se rendre compte que des prêtres et des religieux, qui nous parlent de foi, n’ont pas été à la hauteur de cette confiance.

En tout cas, si les médias ou nous-mêmes parfois pouvons être lassés, les victimes ne le sont pas. Elles souhaitent qu’on puisse apporter des garanties que personne plus jamais n’ait à subir ce qu’elles ont subi. »

> Source de l’article : propos extraits de l’article « Nous, jésuites, encourageons les victimes à témoigner » du journal La Croix publié le 2 juillet 2019

> Lire le communiqué « Lutte contre les abus sexuels : appel aux victimes et point d’étape »

> Consulter la page “En cas d’abus”