« François nous aura fait rêver (…) : entrer dans la joie de servir le Serviteur de l’homme » – les mots du P. Dominique Degoul, sj

Suite au décès du pape François, le P. Dominique Degoul rend hommage à celui qui voyait l’Eglise comme un « hôpital de campagne » et qui n’a eu de cesse de transmettre la joie de l’Evangile.

Hommage à François

L’histoire a conduit, au cours des siècles, à entourer la personne du souverain pontife d’une solennité qui aurait sans doute beaucoup surpris le premier des papes : saint Pierre, mort crucifié la tête en bas, n’a pas eu d’obsèques solennelles, ou de chorale en grégorien.

Pourtant, son tombeau très probablement identifié de manière authentique sous la basilique qui porte son nom, est un lieu de recueillement et de pèlerinage ininterrompu depuis près de 2000 ans. Non parce qu’il fut puissant : au contraire, l’humilité même de sa mort – Pierre ne voulut pas subir le même supplice que son Seigneur, se sentant indigne de le partager – nous rappelle que le pape, quelle que soit la manière dont les siècles ont magnifié sa fonction, est d’abord, avant tout, un frère.

Un pape n’a pas choisi d’être pape : il est élu sans être candidat ; sa fonction n’est pas d’être le chef suprême de l’Eglise : la seule tête, c’est le Christ. Paul VI l’avait manifesté lors de la procession d’entrée du Concile Vatican II, en tenant l’évangéliaire au-dessus de sa tête.

Un pape n’est pas sans défaut – ni même sans péché.

François nous a prévenus : peu après son élection, dans une interview à la Civilta cattolica , à la question « qui êtes-vous, Jorge-Mario Bergoglio ? », il avait répondu, après le silence de la réflexion : « je suis un pécheur ».
Les Exercices spirituels qui ont façonné le jésuite qu’il était, après avoir fait entendre à l’homme la beauté de sa vocation « louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur », le mettent rapidement en face de son incapacité à remplir ce programme, et font éprouver à chacun à quel point, en soi, quelque chose s’oppose à Dieu, refuse d’aimer, de croire, d’espérer… et à quel point cependant, là où le péché abonde, la grâce surabonde.

On est habitué à ce qu’un pape fonde son ministère dans la prière : François ancrait sa spiritualité dans l’heure d’oraison quotidienne, dans la simple messe du matin et dans une proximité affirmée avec la Vierge Marie. Si Jésus lui-même ne concevait pas sa vie autrement que dans une prière constante vers son Père, combien plus le pape a-t-il besoin de se retrouver devant celui qui lui demande de conduire le troupeau.

Mais François a aussi osé manifester le besoin qu’il avait de la proximité spirituelle de ses frères et sœurs chrétiens. Demandant le soir de son élection que la foule prie pour le bénir avant de prononcer à son tour la bénédiction, demandant à tous ses visiteurs de prier pour lui parce que « pas facile, le job », décidant de continuer à loger dans l’appart-hôtel du Vatican non pas pour fuir le luxe des appartements pontificaux, mais pour ne pas avoir à prendre seul ses repas lorsqu’aucune circonstance protocolaire ne lui imposait un invité. François ne voulait pas manifester une proximité, comme un souverain qui condescendrait : il avait, tout bêtement, besoin des autres.

On l’a dit autoritaire, cassant, parfois brutal dans ses décisions. On l’a dit plus amical avec l’extérieur de l’Eglise qu’avec l’intérieur. Il y a indéniablement du vrai dans tout cela. On a dit qu’il avait beaucoup entrepris et peu réussi. C’est probable. L’histoire jugera – et il est bien possible que beaucoup des intuitions qu’il a portées, mais qu’il n’a pas pu expliciter jusqu’au bout ou porter à leur achèvement soient suffisamment fécondes pour que, retravaillées, elles continuent à irriguer la vie de l’Eglise.

Mais il est frappant que, dans son enseignement, coexistent deux grandes lignes :

D’un côté, l’affirmation d’une joie. François, après un bel hommage rendu à Benoit XVI en revêtant de l’autorité pontificale le texte d’une encyclique achevée mais non promulguée, Lumen Fidei, inaugure son enseignement par un appel à la joie : Evangelii Gaudium : comme Jésus, qui a commencé son ministère par la joie des noces de Cana et son enseignement par les Béatitudes. Et ce thème durera : Gaudete et Exultate, Amoris Laetitia … Tout au long de son pontificat, François a voulu nous tourner vers la joie profonde, transfigurante, que provoque la rencontre du Seigneur.

Mais de l’autre côté il y aura l’inquiétude très profonde pour le monde tel qu’il est. Comme Jésus pleurant sur Jérusalem et les malheurs qui l’attendent, François s’est inquiété pour ce monde. Laudato Si, Fratelli tutti, disent dans quelles logiques notre monde risque de sombrer : cet homme venant du sud, témoin des grandes fractures du monde, et en particulier des contradictions de nos pays riches qui s’accommodent de la disparition d’enfants non nés, d’hommes qui fuient leur pays, ou des vieillards trop longs à partir. Comme saint Dominique qui criait dans sa prière « Seigneur, que vont devenir les pécheurs ? », François portait cette vive inquiétude pour le monde et cherchait, à sa manière, à nous mettre en mouvement.  

Dilexit nos, sa dernière encyclique, testament spirituel paru moins de six mois avant sa mort, est comme le point de rencontre de ces deux lignes. Le monde est traversé par des tensions graves et menaçantes ; mais Dieu l’a tant aimé qu’il a envoyé son Fils unique : dans le cœur de Jésus transpercé et toujours aimant, le monde traversé par le mal trouve la promesse d’un salut, de cette joie qui renouvelle tout et qu’on appelle l’Evangile.

Dans son rapport à l’Eglise, François n’était pas patient. Il parla souvent sévèrement – et parfois de manière injuste. Evangélisateur pour le monde, il fut pour l’intérieur de l’Eglise comme ces prophètes de l’Ancien Testament, qui viennent dire au nom de Dieu tout ce que le peuple porte en lui-même d’infidélités, de raideurs, d’hypocrisies. On entend en écho l’adresse de Jésus à ses disciples « esprits sans intelligence », et parfois celle qu’il adresse aux pharisiens « hypocrites ! ». Interpellation désagréable, pas toujours ajustée, pas toujours juste, dépourvue des bonnes techniques de communication et de pédagogie. Examen de conscience auquel il a sans cesse appelé l’Eglise qui déjà fatigue sur le terrain… Mais en même temps, François nous aura fait rêver : sa vision de l’Eglise comme « hôpital de campagne » porte une promesse qui peut nous mettre en mouvement : entrer dans la joie de servir le Serviteur de l’homme.

Au détour d’une phrase de Dilexit nos, François parle de la tentation de gérer l’Eglise comme on gérerait un business plan. Et il dit ce qu’on risquerait d’y perdre : « Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. »

Ce qui serait oublié, c’est en quelques mots, ce à quoi François tient : ce qui dit le sens et la saveur d’une vie que, depuis son entrée au noviciat de la Compagnie de Jésus jusqu’à sa mort dans la lumière de Pâques, il a consacrée à la mission du Christ.

Puisse-t-il avoir déjà entendu de son Maitre et Seigneur : « entre dans la joie de ton maître ».

P. Dominique Degoul, directeur du Centre Teilhard de Chardin

Article publié le 7 mai 2025

Aller en haut