église L’être humain est fait pour la quiétude divine. L’inquiétude est la recherche plus ou moins anxieuse d’un juste rapport à Dieu et à la vie. Le site internet Croire.com propose la réflexion du P. Dominique Salin sj à ce sujet.

Il faut le dire tout de suite : il y a une « bonne » inquiétude, celle qu’évoque saint Augustin dans sa fameuse exclamation : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi » (Confessions I, 1).

Notre coeur est « sans repos » (inquietum) tant qu’il ne repose pas (quiescat) en Dieu. Nous sommes faits pour jouir de la paix, du repos, de la « quiétude » qui est celle de Dieu même.

Tant que nous cherchons notre bonheur ailleurs qu’en Dieu (dans les créatures au lieu du Créateur), nous ne pouvons qu’être déçus, insatisfaits ; nous ne tenons pas en place, il nous faut toujours plus, toujours autre chose. En ce sens, l’inquiétude, c’est plus qu’un état psychologique : c’est une attitude devant la vie, une manière d’être, où l’on n’a pas trouvé son « lieu », son vrai point d’ancrage, sa bonne manière d’exister.

Cette forme de malaise est saine.  Ce clignotant, sur le tableau de  bord de notre conscience, signifie : « Attention ! Ne t’arrête pas à ça. Tu vaux mieux que ça. Cherche encore. » Pascal a décrit, mieux que quiconque, ce malaise de « l’homme sans Dieu » : il vit entre une perpétuelle nostalgie du passé et de vaines anticipations de l’avenir. Il n’arrive pas à habiter le présent parce qu’il n’est pas en paix avec lui-même.

L’homme, être de désir

L’inquiétude, ici, est un stimulant positif. C’est que, pour Augustin comme pour Pascal, l’homme est un être de désir, l’homme est désir. Il cherche son lieu, sa place, son rôle dans le grand théâtre du monde, le drame de l’existence dans lequel il a débarqué sans préparation.

Son « lieu », à la fois lieu natal et destination finale, c’est Dieu. Son rôle, ce sera sa manière à lui d’être fils de Dieu. Tant qu’il n’a pas découvert Dieu, tant que son désir ne l’a pas conduit jusqu’à Dieu et à la familiarité avec lui, l’homme demeure inquiet. Certes, la découverte complète de Dieu, « l’entrée » en Dieu, n’est pas possible avant la mort.

Moïse lui-même en a su quelque chose. Mais une vie en étroite communion avec Dieu est tout à fait possible. Augustin en témoigne, lui dont l’inquiétude, la recherche inquiète du vrai Dieu, avait duré seize ans, de dix-sept à trente-trois ans !

Ils sont légion, ceux dont l’inquiétude aura occupé une période plus ou moins longue de leur existence : pour quelques illustres (Charles de Foucauld, Etty Hillesum, etc.), tant d’anonymes !

Un jour, la Parole de Jésus a pris pour eux tout son sens : « Venez à moi, vous tous qui peinez et qui ployez sous le fardeau, et moi je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28).

Le stoïcisme, le bouddhisme et leurs multiples avatars contemporains ne sont pas les seuls à promettre la paix du coeur, la sérénité, la force tranquille. La note propre au christianisme, c’est qu’il ne promet pas d’abord la sérénité ou la paix du coeur. Celles-ci ne sont données que par surcroît. Si on les cherche pour elles-mêmes, il y a de grandes chances que l’on ne les trouve jamais, et quelques chances que l’aventure tourne court.

La joie dans sa plénitude

Ce que propose le christianisme, c’est de découvrir une personne à la suite de laquelle on s’engage : le Christ. Or, celui-ci ne dore pas la pilule aux candidats : « Celui qui veut venir à ma suite, qu’il renonce à son moi, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24).

Son chemin n’est pas jonché de pétales de roses. La surprise est que celui qui s’est engagé sur cette voie-là, celui qui a courageusement calé sur son épaule la croix que la vie lui réservait (un trait de caractère, une maladie, un deuil, un accident, une blessure psychologique, bref un handicap – en réalité, nous sommes tous des handicapés, tous nous avons une croix dans notre vie, plus ou moins lourde), celui-là découvre, peu à peu ou brusquement, une joie étrange, qu’il n’échangerait pour rien au monde.

Il ne s’y attendait généralement pas, il n’avait sans doute même pas osé espérer que ce pourrait être pour lui aussi, mais c’est ainsi. Le soir même de son arrestation, Jésus prie le Père pour que ses disciples aient en eux sa « joie dans sa plénitude » (Jn 17, 13).

La joie, ce n’est pas l’indifférence glacée de celui qui a élevé autour de lui une muraille d’insensibilité – le « compère stoïcien » dont Bernanos écrit qu’ « il en sera pour sa crampe ». La joie de Jésus peut être très proche de la compassion selon Bouddha, mais ce n’est pas exactement la même tonalité. Cette joie peut aller de pair avec de grandes souffrances.

Contradiction ? Mais c’est la vie qui est contradictoire ! Là où il n’y a plus de contradictions, il n’y a plus de désir, il n’y a plus de vie.

Les tourments du fidèle 

Lorsqu’elle a commencé à mettre ses pas dans ceux de Jésus, une fois parvenue au port du Salut, l’âme « inquiète » n’est pas à l’abri de nouvelles formes de tourments, plus ponctuels peut-être et moins profonds que ceux qui la travaillaient naguère, mais parfois plus violents.

Ignace de Loyola, résumant en quelques paragraphes limpides seize siècles d’expérience chrétienne, distingue, dans ses Règles de discernement des esprits, deux grands types d’inquiétude.

Chez ceux qui commencent à se la « couler douce » ou à s’écarter plus ou moins franchement de la voie évangélique, le « bon esprit » (l’inspiration divine) « aiguillonne et ronge leur conscience par la loi naturelle de la raison ». Le  nom précis de cette première forme d’inquiétude est le remords, la mauvaise conscience. Une inquiétude salutaire, qui invite à rétablir le cap.

Le mauvais esprit

C’est une tout autre forme d’inquiétude qui assaille, symétriquement, « ceux qui progressent intensément dans la purification de leurs péchés et s’élèvent de bien en mieux dans le service de Dieu notre Seigneur (…). Alors, le propre de l’esprit mauvais est de mordre, d’attrister et de mettre des obstacles, en inquiétant par de fausses raisons, pour empêcher d’aller de l’avant ».

Cette inquiétude-là, parfois subtile dans ses manifestations, est perverse. Inspirée par « l’ennemi de la nature humaine », le « père du mensonge », elle vise à séparer l’homme de Dieu. En grec, le diabolos est « celui qui divise ». Le mauvais esprit peut être très « malin ». Il excelle à inspirer des pensées qui, sous couleur de bien, peuvent entraîner dans le désespoir.

Saint Ignace avait connu ce genre d’inquiétude pendant les premiers temps de sa conversion, alors qu’il s’exerçait, à Manrèse, à mener une vie spirituelle exigeante : « Quoi ? Tu crois que tu vas pouvoir mener longtemps cette vie-là ? Mais, mon pauvre ami, tu en es bien incapable ! Tu es trop ceci, pas assez cela… En réalité, tu n’es qu’un présomptueux. Allez, reviens au sens de la réalité, sois humble, laisse tomber ! »

Une affaire de foi

Ce genre d’inquiétude, très fréquent, peut prendre bien des formes. Peut-être le jeune homme riche de l’Évangile s’est-il laissé prendre au piège de cette inquiétude (Mt 19,16) ? Il était en effet travaillé par une autre forme d’inquiétude lorsqu’il s’était adressé à Jésus : est-ce que je fais bien tout ce qui doit être fait pour être en règle avec Dieu ? Est-ce qu’il ne me manquerait pas quelque chose ? Au fond, cet homme était un inquiet, au mauvais sens du mot. Manque de foi ou affaire de tempérament ? Allez savoir.

Marthe était peut-être dans ce cas-là, lorsqu’elle s’inquiétait et s’agitait pour essayer de faire deux choses à la fois, alors qu’une seule suffisait (la cuisine ou l’écoute du Seigneur, Jésus ne tranche pas).

Innombrables sont les formes que peut prendre l’inquiétude dans la vie spirituelle. Pour la saisir en sa racine, il peut être commode de la définir par son contraire. Là-dessus, Jésus a tout dit en quelques phrases : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie… Regardez les oiseaux du ciel et les fleurs des champs… Demain s’inquiétera de lui-même » (Mt 6,25).

Le contraire de l’inquiétude n’est pas l’insouciance, c’est la confiance, c’est-à-dire la foi.

Dominique Salin, jésuite

> Source : Croire.com