Pour fêter le 60e anniversaire du Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ), des responsables, encadrants et amis du Mouvement se sont retrouvés du 11 au 13 novembre pour vivre un grand rassemblement « Effata », à Bordeaux. Retrouvez l’homélie du P. François Boëdec sj, Provincial, prononcée lors du rassemblement, le dimanche 13 novembre, à partir de l’Evangile de Luc 21, 5-19.

À Bordeaux, dans l’enceinte de l’établissement scolaire jésuite Saint Joseph de Tivoli, sous un soleil radieux, se sont rassemblés du 11 au 13 novembre, près de 350 responsables, amis et anciens du Mouvement Eucharistique des Jeunes. C’était l’occasion de fêter les 60 ans du Mouvement. Ce fut un temps de travail, de prière et de fête, comme les membres du MEJ ont tant de goût à les organiser et à les vivre.

Retrouvez ci-dessous l’homélie du P. François Boëdec sj, Provincial, prononcée lors du rassemblement, le dimanche 13 novembre, à partir de l’Evangile de Luc 21, 5-19.

Homélie du P. François Boëdec sj, Provincial

Frères et sœurs, Mes amis,

Ce que nous venons d’entendre n’est-il pas en train de se réaliser ? Le dérèglement climatique qu’on n’arrive pas à arrêter, avec ses incendies et ses inondations, les migrations qui vont avec, la guerre en Europe, finalement tout près de chez nous, une guerre affreuse dont on voit bien qu’elle peut entraîner le monde dans l’abime, des conflits dans beaucoup d’autres endroits du monde, des persécutions religieuses, un libéralisme qu’on ne peut ou ne veut maîtriser, et qui laisse sur le bord tant de monde, des régimes politiques totalitaires un peu partout, une démocratie de plus en plus contestée, et puis chez nous, dans notre pays, une société fragilisée, fracturée, où il est difficile de se parler, une violence qui n’est jamais loin, sans parler de notre Eglise, bien discréditée, et dont les propos intéressent de moins en moins de monde. Pas de quoi faire la fête ! Alors, serions-nous arrivés près de la fin que l’Evangile de ce dimanche annonce ? Tous ces bouleversements annoncent-ils le jour du Seigneur, ce jour que nous espérons mais redoutons tout autant ? Que nous est-il permis d’espérer, nous, membres et amis du MEJ, qui mettons notre foi en Dieu ?

Je crois qu’au-delà des images terrifiantes que cet Evangile apporte, il nous faut entrer dans une intelligence spirituelle de ce qui est dit. Regardons la situation dans laquelle Jésus prend la parole. Situation somme toute assez banale : certains disciples sont en train d’admirer le Temple, sa beauté, ce qu’il représente. C’est légitime, car le Temple – vous le savez -, ce n’est pas n’importe quel édifice pour les Juifs, c’est l’édifice central qui abrite ce qui en quelque sorte structure toute leur vie : la présence de Dieu, les Ecritures, le culte et la prière, et par-là bien sûr toute l’histoire sainte qui va avec. Evidemment, les disciples de Jésus ont intégré toutes ces références reçues de la tradition dans laquelle ils sont nés.

Et voilà que Jésus, en quelque sorte, va bousculer tout cela. Il va mettre à mal ce sur quoi reposaient leurs assurances et leurs certitudes. A ces disciples qui contemplent cette construction, si importante pour eux, comme si l’éternité s’y était installé, eh bien Jésus va montrer le caractère éphémère des choses : « des jours viendront – dit-il, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre ». Pas étonnant dès lors que les disciples – et nous en aurions fait sans doute de même – demandent, un peu sonnés, un peu héberlués, quand cela arrivera.

Que va répondre Jésus ? Parlant de toutes sortes d’événements dramatiques, il va d’abord dire que ce n’est pas la fin. Plus loin dans le chapitre, il annoncera même le retour du Fils de l’homme, véritable commencement. Pour le dire autrement, c’est parce que Jésus est venu qu’il y a à attendre autre chose que la fin du monde. C’est parce qu’il est venu, que l’annonce de l’Evangile transforme radicalement le regard que l’on peut porter sur les événements de l’Histoire, celle de chacun comme celle des peuples.

Mais vous allez me dire, d’accord mais pourquoi parler ainsi de manière aussi terrifiante ? On préfèrerait entendre un discours qui nous dit que les choses vont s’améliorer. C’est que St Luc, l’auteur de cet évangile, pour bien montrer que le Christ est celui qui récapitule l’Histoire, celui qui l’achève en même temps qu’il l’ouvre, va utiliser ici un vocabulaire habituel à l’époque, le vocabulaire apocalyptique. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’Apocalypse n’est pas l’Histoire avec un grand H, ni même une prophétie à proprement parler. Le mot « Apocalypse », ne l’oublions pas, signifie « Révélation ». Révélation de quoi ? Pas de l’avenir, mais du sens des événements que les hommes vivent depuis toujours et qui se répètent inlassablement. En quelque sorte, le genre apocalyptique traduit en images le drame que nous vivons au fil de l’histoire, dans ce temps qui s’écoule entre le commencement et la fin. Cette fin qu’on ne peut décrire, et qui comme le commencement, échappe à nos représentations.

Et donc, ce n’est pas un hasard si St Luc utilise ce vocabulaire apocalyptique. Après la destruction du Temple de Jérusalem, en l’an 70, beaucoup de chrétiens jugeaient la fin des temps imminente et l’attendaient. Et donc cet Evangile, écrit vers 80-85, les rejoint dans cette attente, en reprenant un genre littéraire habituel pour l’époque.

Mais en fait, tout ce dont nous parle St Luc, – les guerres, les soulèvements, les tremblements de terre, les épidémies – appartient aussi à notre expérience. C’est bien de notre univers qu’il s’agit. Et c’est bien parce qu’il s’agit de notre monde que l’Evangile met en perspective la destruction du temple, événement historique que tout le monde peut constater, et les « signes de la fin ». Manière de dire que les signes de la fin sont là depuis toujours.

Alors c’est vrai, mes amis, c’est vrai que bousculés par les nouvelles de violence, proche ou lointaine, nous avons parfois du mal à reconnaître que finalement c’est toujours et partout, dans notre monde mais aussi dans notre cœur, le même enjeu : celui de savoir et de choisir ce qui est le plus important. Ce qui ne périra pas. Celui de refuser la division et l’enfermement que suscitent l’envie, la jalousie, la volonté de possession et de puissance. L’Evangile d’aujourd’hui nous dit qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin, que nous n’en serons jamais totalement indemnes – et nous le savons bien ! -, qu’on ne peut penser tirer notre épingle du jeu, nous, qui sommes à la fois membres de cette humanité, mais aussi désireux d’être disciples de Jésus. La vie nous place en effet, de différentes manières, en ces lieux où nous avons à décider, où nous avons à choisir en conscience, éclairés par l’Esprit du Christ, l’Esprit de l’Evangile.

Les chrétiens ne sont pas mis à côté des douleurs, des incertitudes, des drames du monde. Ils n’en sont pas protégés. Et précisément, c’est en ces lieux de déchirures et de fractures du monde, de notre société, de nos familles, de nos existences, que le Seigneur nous espère enracinés en lui, c’est là où la force de vie de l’Evangile est attendue, là qu’il attend notre présence.

Frères et sœurs, mes amis, regardons nos existences. Ce que nous avons construits et ce que nous voulons faire. Quelles sont nos assurances ? Où avons-nous à gagner en liberté, en détachement pour être totalement à Celui qui nous fait tenir debout dans toutes les tempêtes de nos vies, celui qui nous redresse quand nous sommes tombés, celui qui seul peut donner à nos vies leur pleine valeur, leur véritable fécondité et leur achèvement ? Nous avons sans cesse à choisir, et les choix de vie que nous avons à poser se font parfois dans les douleurs de l’enfantement. Un monde appelle à naître. Il commence dans la vie de chacun, dans la vie de notre mouvement aussi, et il n’est pas étonnant que l’appel de Dieu à la vie se fasse au milieu du chaos. Certains jours, nous aimerions avoir des signes. Mais le seul signe, celui qui annonce la victoire définitive, c’est celui d’un amour qui dans nos vies et notre société fait reculer la mort sous toutes ses formes. Alors, demandons-nous : de quoi sommes-nous signes, comme chrétiens aujourd’hui, et comme membres du MEJ ? Donner sa vie se fait d’abord, jour après jour, de manière souvent peu spectaculaire. Ce n’est pas forcément plus facile. Tout chrétien n’est pas appelé au martyr, mais tout chrétien est appelé à donner sa vie par amour, au « compte-goutte » je dirais. Et nous voyons bien les lieux très concrets de notre vie, familiale, affective, relationnelle, professionnelle, sociale, politique et ecclésiale… où cela se joue. Où amour se décline en souci de vérité et de justice, en fidélité, liberté et respect. Cela suppose sympathie pour les aspirations de nos contemporains ; cela exige parfois aussi des changements qu’il faut savoir poser avec le courage de l’Esprit.

Alors, réentendons aujourd’hui frères et sœurs que le Seigneur ne nous abandonne pas, ne nous laisse pas. Qu’il ne faut pas voir dans les évolutions de nos sociétés et de l’Eglise, la fin du monde alors qu’il ne s’agit que de la fin d’un monde, ni succomber à un pessimisme qui érode peu à peu nos dynamismes intérieurs. Etre enracinés dans la foi, ce n’est pas tenir à la force des poignets, mais nous disposer à accueillir celui qui est déjà venu et qui continue de venir. Et découvrir qu’il y a une joie, une joie très profonde, celle que l’on connaît bien au MEJ, qui donne de l’élan, de croire ensemble en ce Dieu qui prépare avec nous l’avenir. Pas seulement pour les 60 ans à venir, mais pour beaucoup plus !

P. François Boëdec sj, Provincial

François Boëdec