Pour le P. Charles Delhez sj, que l’on soit panthéiste, agnostique, athée ou croyant, le Carême nous rappelle l’urgence de la quête de soi. Un article à publié initialement sur le site de La Libre Belgique.

Le confinement nous a trouvés bien démunis et parfois vides quand les activités et les relations qui donnent sens à notre vie ont été mises au ralenti. Il est alors vital de revisiter notre moi profond. Là, nous percevons la présence de quelque chose de plus vaste que nous-mêmes, quelle que soit la manière dont nous la nommions. Qui, en effet, n’a jamais été envahi, à l’intime de lui-même, par ce sentiment d’être relié à plus grand que lui ?

Le combat intérieur

La vie spirituelle n’est pas un salon de thé paisible ou une fumerie d’opium. Elle est le lieu de nos choix et de nos engagements, et donc aussi d’un combat, d’une guerre contre notre moi superficiel. Un vieil Indien cherokee, dit-on, expliqua un jour à son petit-fils qu’il y avait en lui une rivalité terrible entre deux loups. L’un est mauvais, précisait-il, il n’est que colère, avidité, tristesse, regret, culpabilité, ressentiment. Et l’autre, bon, qui n’est que joie, paix, amour, sérénité, humilité, générosité… Lequel des deux loups va gagner ? demanda le petit-fils. Et le grand-père de répondre : Celui que tu choisis de nourrir.

Il y a en effet un discernement à opérer. L’être humain n’est pas seulement un être habité par des désirs, il est encore celui qui peut, par un dialogue intérieur avec lui-même, vérifier si ses désirs sont bons ou mauvais. Avoir, valoir et pouvoir résument les tentations auxquelles nous sommes tous confrontés. Deux évangélistes rapportent de manière imagée cette épreuve spirituelle de Jésus, la situant dans le désert, ce lieu dépouillé où rien ne nous distrait de nos terres intérieures.

Saint Ignace, le fondateur des jésuites, s’est converti suite à une longue observation de ce qui se passait au plus profond de lui durant sa convalescence à Loyola, après la bataille perdue de Pampelune (20 mai 1521). Rêver de cape et d’épée, de femmes et de têtes couronnées lui donnait certes beaucoup de plaisir, mais le laissait finalement sec et vide. Par contre, se voir menant une vie semblable à celle des saints et de Jésus, qu’il découvrait dans les rares livres à sa disposition, l’emplissait d’une joie profonde et durable, réveillant en lui le meilleur.

Des moyens

« Le combat spirituel aussi brutal que la bataille d’hommes », disait le poète Arthur Rimbaud. Il faut donc s’y entraîner. Pour pouvoir résister à la tentation, les traditions religieuses proposent trois moyens : la prière, le jeûne et l’aumône. La prière cherche à puiser en Dieu la force nécessaire et lui permet de nous remettre en question. L’aumône nous détache de nos biens et nous exerce à la solidarité en la pratiquant déjà. Le partage – mot moins condescendant – fait circuler les biens au lieu de les assigner à résidence, et chacun est gagnant. Enfin, le jeûne est un recentrement du désir sur l’essentiel. Que désirons-nous ? Un ventre plein ou un cœur ouvert à la rencontre avec l’autre et avec Dieu, en communion avec la nature ?

Notre société a plus que jamais besoin d’un bon Carême ! La spiritualité n’est plus le monopole des religions, elle est « sortie de la religion », pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, mais elle demeure le propre de l’homme. Quand elle est religieuse, elle débouche sur la découverte d’un plus grand que soi, innommable : l’Infini de l’Amour, de la Vérité et de la Beauté. Les croyants donnent le nom de Dieu à cette transcendance ultime, car ils tissent avec elle une relation personnelle.

Pour certains penseurs actuels, cette transcendance est à situer uniquement dans l’horizontalité, sans lien avec Dieu. Là est une partie du débat occidental contemporain. Dégagée de la tentation de l’absurde radical, la quête du sens oscille aujourd’hui entre l’horizontal (panthéiste ou agnostique, voire athée) et le vertical (un Absolu personnel et transcendant). N’attendons pas d’avoir définitivement résolu ce problème pour nous mettre en route vers nous-mêmes !

P. Charles Delhez sj (curé de la Paroisse Saints-Marie-et-Joseph, Blocry, en Belgique)

 

 

 

> Un article initialement publié sur le site de La Libre Belgique.

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