Il pleut des cendres : méditation pour le temps de Carême du P. Vincent Klein sj
Pour le mercredi des Cendres, le P. Vincent Klein sj nous partage une méditation qui nous invite à changer notre regard pour le temps de Carême. Dans des situations tragiques de notre époque, il met en lumière des signes d’espérance qui ouvrent à la dimension pascale.
Il pleut des cendres sur Catane, en Sicile, ville que les pentes incandescentes de l’Etna ont repoussée jusqu’à la mer. La belle a perdu ses couleurs, seuls quelques phares de voiture en transpercent le gris. Une habitante balaie machinalement sa cour sous les flocons qui tombent abondamment pourtant. De sa manche, elle époussette un miroir et esquisse un sourire alors que sur Catane, il pleut des cendres.
Il pleut des pierres sur Iskenderun, en Turquie, ville où la chrétienté a germé il y a presque deux mille ans. De la cathédrale il ne reste qu’une arche, stoïque mémoire. Plus loin, des hommes hagards, dont la poussière a figé les larmes, regardent abattus le tas de ruines. Et voici qu’une fillette s’avance, légère, sur les gravats. Elle se penche, retire des décombres une peluche qu’elle secoue et serre dans ses bras en triomphant alors que sur Iskenderun, il pleut des pierres.
Il pleut des bombes sur Bachmout, petite ville du Donbass, devenue l’objet improbable de toutes les convoitises. Des cadavres de militaires et de civils qui ont essayé de fuir jonchent le sol un peu plus loin. Trop risqué pour le moment d’aller les enterrer. Au milieu des bâtiments éventrés, un couple âgé a recueilli chez lui un soldat aux abois. Ils partagent ensemble un festin : un verre de lait et deux, trois pommes alors que sur Bachmout, il pleut des bombes.
Il pleut des machettes sur Goma, en République Démocratique du Congo, ville martyre des Grands Lacs. Un peu plus loin, les touristes parcourent les montagnes volcaniques à la recherche de gorilles alors que les habitants sont, une fois encore, jetés sur les routes. A côté des mamans chargées comme des mulets, des enfants courent derrière un cerceau qu’ils font avancer à l’aide d’un bâton en criant gare avec insouciance alors que sur Goma, il pleut des machettes.
Il pleut des pétales d’amandiers dans les rues glacées de Marseille. Le mistral les emporte et les fait tourbillonner. Et voici qu’ils s’accrochent à la couverture d’un homme grelottant retranché pour la nuit dans l’embrasure d’un magasin. Sans pierre où reposer sa tête, il vient d’accueillir près de lui un plus mal loti, un plus grelottant, avec qui il partage un bout de pain et une bouteille de vin, alors que sur Marseille, il pleut des pétales d’amandiers.
Il pleut des larmes de sueur et de sang dans le jardin, de l’autre côté du Cédron. Le sommeil est lourd et la solitude pesante. Seuls les oliviers se tordent de douleur et, compatissants, laissent suinter quelques gouttes d’une huile parfumée. D’ici on aperçoit bien la Ville Sainte d’où se détache, massif, le temple. Un peu plus haut, on distingue une colline nue à la forme de crâne, alors qu’au jardin des Oliviers, il pleut des larmes de sueur et de sang.
Sur une branche nue, une mésange au front marqué de noir chante à tue-tête, en plein hiver, un air de printemps. Elle s’envole et laisse tomber de ses ailes grises un nuage de cendres.
P. Vincent Klein sj (communauté Notre-Dame des Missions – Marseille)
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