Comment la spiritualité de saint Ignace de Loyola peut-elle nous aider en temps de crise, comme celle du coronavirus ? Le jésuite flamand Nikolaas Sintobin apporte son éclairage.

Spiritualité ignatienne pour temps de crise Nikolaas Sintobin La crise du coronavirus a profondément bouleversé notre quotidien mais aussi notre vie de foi. Si des propositions spirituelles ont fleuri en ligne, si des célébrations en ligne ont nourri notre foi à Pâques, nous avons toutefois été confrontés à la perte de certains repères. Dans un contexte de crise, l’expérience de saint Ignace de Loyola peut nous inspirer à double titre : d’une part, sa spiritualité est née dans un contexte de crise personnelle et ecclésiale, et, d’autre part, saint Ignace de Loyola établit le vécu personnel – et la relecture qui en est faite – comme un lieu de découverte de Dieu et comme un guide pour sa propre vie. Je voudrais développer ici quatre points de la sagesse d’Ignace, qui peuvent nous inspirer en période de crise.

Discerner au coeur de l’incertitude

Dans nos vies, la crise n’est pas l’exception mais la règle. Le mot « crise » vient du grec krisis (κρίσις), qui exprime l’idée de jugement. Plus précisément, il fait référence à la nécessité de faire un choix. La vie humaine est une suite de situations face auxquelles nous devons discerner, au cœur même de l’incertitude. Pour saint Ignace de Loyola, il est important d’oser affronter le « non savoir », point de départ habituel pour discerner ce que Dieu attend de nous. Ainsi, l’incertitude n’est pas tant un problème qu’une condition pour pouvoir, sans préjugés, écouter le désir de Dieu. En d’autres termes, cette période marquée par la crise du coronavirus est appelée à devenir une période de croissance. Dieu n’a pas fermé le robinet de sa grâce. Cependant, l’expérience de l’incertitude n’est pas confortable. C’est pourquoi nous avons tendance, spontanément, à souhaiter y mettre fin le plus vite possible. Le discernement ignatien exige donc une discipline spirituelle. Saint Ignace de Loyola utilise parfois l’expression agere contra : aller contre, faire le contraire de ce que l’on ferait spontanément. Concrètement, cela signifie éviter de se laisser guider par ce que la peur inspire, comme solution apparemment évidente pour sortir rapidement de la crise. Le discernement exige du temps et de la patience.

Relire et remercier

Un outil que saint Ignace de Loyola recommande plus particulièrement est la relecture du vécu quotidien, concret et souvent banal. Passer en revue sa journée de façon priante n’est, en soi, pas typiquement ignatien. En revanche, cela le devient si nous suivons ses recommandations, qui fait à nouveau appel à l’agere contra de la discipline spirituelle. Spontanément, et surtout en temps de crise, nous risquons de diriger notre attention vers ce qui a été difficile, ce qui a rendu anxieux ou triste. Saint Ignace de Loyola demande de faire exactement le contraire. Le plus important est de considérer avec une acuité plus grande ce pour quoi vous souhaitez remercier Dieu : ce qui s’est bien passé, ce qui vous a fait du bien, vous a apporté de la joie ou de l’espoir, aussi petit ou insignifiant que cela puisse paraître. C’est là que le sol était solide sous vos pieds. C’est dans cette proximité-là que Dieu est présent. En relisant régulièrement votre journée, vous remarquerez des mouvements affectifs plus subtils. Ils sont très importants parce qu’ils se produisent beaucoup plus souvent que les mouvements puissants et forts. Ainsi, la relecture, même en temps de crise, peut contribuer à accroître la confiance, la gratitude et l’attachement.

Faire place à la peur

L’option préférentielle pour la gratitude ne signifie pas qu’on balaie d’un revers de main tout ce qui est négatif. Vous pouvez en tirer des leçons significatives. Saint Ignace de Loyola recommande de découvrir la source de la peur, de la tristesse ou de l’apathie. Vous pourriez apprendre quelque chose sur ce qu’il est préférable de ne pas faire. Ignace invite également à ne pas stagner dans les sentiments négatifs mais d’essayer de renouer consciemment avec la paix ou la joie dès que possible. En temps de crise, les sentiments négatifs, surtout l’angoisse, peuvent avoir un attrait particulier. La force de la peur réside dans la conviction intime qu’elle est justifiée. Comme aucun autre sentiment, la peur trouve des arguments subtils pour renforcer sa crédibilité. Vous croyez sincèrement que vous avez raison lorsque vous ressentez de l’anxiété. Et tous vos arguments prouvent que vous n’avez pas d’autre choix que d’avoir peur. C’est là que réside le côté trompeur de la peur. S’il est vrai que l’objet de la peur peut se réaliser, vous avez tout à fait la capacité de faire face aux problèmes. Vous le faites d’ailleurs du matin au soir.

Donner de l’espace à la joie

La relecture régulière renforce la relation à Dieu. En soi, elle est déjà une source de vie. La compréhension et l’intelligence apportées par la relecture peuvent également conduire à des décisions en conscience. De cette façon, vous donnez plus de place à la joie, à l’espoir et à la lumière que vous avez trouvés. La sagesse de saint Ignace de Loyola enseigne que la vraie croissance vient pas à pas. Malgré leur insignifiance apparente, les petites décisions, si elles sont forgées à partir des conclusions d’une relecture priante, sont de grande valeur et mènent loin.

P. Nikolaas Sintobin sj,
« Pasteur web », communauté jésuite d’Amsterdam

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (été 2020), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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