Qui est mon prochain ? Comment témoigner son affection ou sa solidarité, alors que la pandémie du Covid-19 nous impose la distance physique ? Le P. Vincent Klein sj propose une réflexion à partir de ce dilemme apparemment insoluble. Une piste : faire confiance aux anges !  

Méditation V Klein anges Les temps de guerre ou de catastrophes naturelles drainent invariablement leur lot d’horreurs, de familles déchirées ou d’enfants abandonnés, hagards. Mais les catastrophes et les guerres sont aussi des moments où s’expriment les plus fortes solidarités humaines. Qu’il nous suffise d’évoquer les sauveteurs, parfois venus de pays lointains qui, au risque de leur vie, vont fouiller les décombres pour retrouver des survivants ou bien ces soignants qui affrontent les épidémies et en paient le prix fort. Je me souviens de deux jeunes Syriens que nous avions invités à un weekend de préparation à la confirmation, il y a quelques années. Ils parlaient bien sûr de l’horreur de la guerre et de la chance qu’ils ont eue de trouver, en Europe, un refuge. Pourtant, au grand étonnement des adolescents de leur âge à qui ils partageaient cela, ils disaient également regretter cette atmosphère de solidarité et d’altruisme qu’ils avaient vécue dans leur pays durant la guerre.

Vivre la solidarité en gardant ses distances : un paradoxe ?

L’épidémie que nous subissons pour le moment ne serait-elle pas l’occasion de vivre cet élan de solidarité « plus fort que la mort » ? Facile à dire ! Une amie me confiait récemment combien il était crucifiant pour elle de ne pas pouvoir rendre visite à son père dans le sud de la France, alors qu’il est peut-être en train de vivre ses dernières semaines. Ne devrait-elle pas, se demandait-elle, au nom d’une valeur plus haute, braver les interdits pour lui rendre une dernière visite ? Sa place n’est-elle pas auprès de lui ? L’essentiel n’est-il pas de vivre ces moments près de lui, en échangeant quelques gestes d’affection et des dernières paroles, souvent si fondamentales dans de pareilles circonstances ? L’épidémie du Covid-19, comme toute autre épidémie hautement contagieuse d’ailleurs, porte en soi ce très cruel paradoxe : si tu veux être solidaire et montrer ton affection à ton prochain, à commencer par tes familiers âgés ou malades, surtout ne leur rend pas visite, mais garde tes distances : tu risquerais de les infecter ! Un pédopsychiatre disait récemment la difficulté que connaissent beaucoup de parents pour communiquer à leurs enfants, surtout aux plus petits, qu’ils devaient garder leurs distances et ne pas visiter, pour le moment, leurs grands-parents, car ils pourraient les contaminer. En même temps, comment leur dire qu’ils n’y étaient pour rien s’ils devaient malgré tout attraper le virus ? Exercice d’équilibrisme périlleux et délicat s’il en est !

Qui est mon prochain ?

Mais alors qui est mon prochain ? Qu’ai-je fait de mon frère, de ma sœur dans le besoin ? Rester chez moi et éviter le contact avec les autres serait l’acte d’amour suprême pour ne pas répandre l’épidémie ? Nous est-il demandé de « passer à bonne distance » du pauvre homme, battu à mort et laissé dépouillé par des bandits sur la route qui descend de Jérusalem à Jéricho, comme le prêtre et le lévite (Lc 10, 31) ? L’attitude louée par Jésus, celle du bon Samaritain, serait à proscrire absolument ? Quel paradoxe crucifiant ! Faut-il revenir à l’Ancien Testament, aux conseils que le livre du Lévitique donne aux lépreux de crier « impur, impur ! » sur leur passage pour que les personnes saines se tiennent à bonne distance et ne soient pas contaminées (Lév 13, 45-46) ! Or n’est-ce pas justement cette barrière entre le pur et l’impur que Jésus est venue briser ?

Croire aux anges !

Pour sortir de ce terrible conflit intérieur, de ce paradoxe apparemment insoluble, je ne vois qu’une solution : croire aux anges ! Et croire en y mettant toute notre foi. Oui, croire qu’il y a des personnes envoyées – angeloi en grec – qui s’occupent au mieux des malades, des personnes âgées et vulnérables et en particulier de mes proches. Croire aux anges demande de reconnaître l’engagement du personnel de santé et de tous ceux qui font du lien entre les gens reclus chez eux et leurs proches dans le besoin, tous ces acteurs sociaux sur le terrain qui transmettent chaleur et humanité.

Croire aux anges, c’est aussi invoquer saint Gabriel, patron des moyens de communication, y compris des nouvelles technologies qui nous permettent de rester en lien entre nous, de nous encourager, de diffuser des messages de confiance et de paix, des messages de prière, des messages qui prêtent à réflexion ou à rire, car l’humour est fondamental dans les moments graves. Ces messages permettent que la vie, professionnelle et scolaire, mais aussi spirituelle et familiale, continue, tant bien que mal.

Croire aux anges implique aussi de les remercier, d’applaudir – par exemple tous les soirs à 20 heures par la fenêtre – tous ceux qui sont sur le pont pour combattre le fléau. Croire aux anges, c’est aussi rendre grâce pour nos moyens de communication modernes très performants qui sont désormais mis au service du lien social et familial. Croire aux anges, c’est peut-être et surtout reconnaître que je ne suis pas le centre du monde, le sauveur de l’humanité ni même de mes proches, que d’autres ont pris le relais et que c’est ce qui convient… pour le moment du moins !

Il nous appartiendra ensuite de tirer tous les enseignements des événements uniques que nous vivons pour le moment. En attendant, gardons-les dans notre cœur !

Vincent Klein sj

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