Pour mieux vivre ce Triduum pascal au temps du coronavirus, le P. Guy Delage sj, du Centre spirituel La Pairelle, propose des prières guidées selon la spiritualité ignatienne. Il propose, pour chaque jour, une introduction, des indications de prière et des références de textes bibliques et d’auteurs spirituels. En ce jour de Pâques, la prière ignatienne s’appuie sur le tableau Les disciples Pierre et Jean courant au tombeau le matin de la résurrection (Eugène Burnand, 1898). 

Prier avec un tableau

Les disciples Pierre et Jean courant au tombeau le matin de la résurrection, 1898, par Eugène Burnand

Indications pour prier

  • Me mettre en présence de Dieu c’est-à-dire me rendre présent à lui en me mettant en disposition d’accueil et d’écoute de sa Parole.
  • Faire mémoire du passage d’évangile : Pierre et Jean courant au tombeau au matin de Pâques.

Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble.

Jean 20,3-4a

  • Demander la grâce d’éprouver joie et allégresse avec le Christ ressuscité.
    • Voir les vêtements des personnages, leur couleur, considérer leur sobriété et comment l’extraordinaire (la résurrection) se manifeste dans l’ordinaire d’un jour qui naît.
    • Considérer les deux disciples, Jean (le disciple que Jésus aimait) et Pierre, dans leur complémentarité : l’un est jeune, l’autre d’âge mûr, tous deux tendus vers un même but. Prendre la place d’un des deux et porter toute mon attention vers le tombeau vide.
    • Regarder les gestes des mains de Jean qui expriment la certitude, la foi et Pierre, l’interrogation et le doute. Et moi, où est-ce que je me situe ?
    • Contempler le regard de Pierre, son œil illuminé. Et moi, comment la résurrection illumine-t-elle mon regard ?
    • Contempler aussi le paysage de garrigue en arrière fond, la lumière, la végétation, la place du ciel.
  • Conclure la prière
    • Engager un dialogue avec Dieu le Père ou son Fils Jésus comme si je m’adressait à un ami. Lui dire ce que j’ai éprouvé de joie, de difficulté ou de découverte pendant ce temps de prière. En rendre grâce ou demander pardon ou exprimer tout autre chose.
    • Terminer par un Notre Père.

P. Guy Delage sj
Centre spirituel La Pairelle
Communauté jésuite Saint-Robert Bellarmin, Wépion

Lecture : L’incertitude poignante de l’amour

Quand éclate dans le matin de Pâques, la grande volée des cloches, combien se souviennent de la résurrection qu’elles fêtent, fut un événement à peine chuchoté? Les évangiles ne tirent aucun parti de la renaissance des forces végétales ou des vivats d’un peuple acclamant sa sortie d’Egypte. Nature ou Histoire, aucun concept en majuscule n’est convoqué ce matin-là.

Tout commence modestement, par un signe négatif : le tombeau vide. On pense à un rapt, ou à une dérision ultime qui redouble le chagrin des femmes : le corps a disparu. De celui qui annonçait la vie éternelle, il ne reste pas même les restes. ! Ainsi, le premier écho de la résurrection du Christ est le sanglot de la Magdaléenne !

Puis, ici est là, Jésus apparaît. Nouvelle humilité. Peu le voient et ils voient peu. Parmi les disciples, toujours quelques-uns doutent. A tous, il faut du temps pour le reconnaître, et c’est à un menu détail qu’ils y parviennent, une intonation, un geste inimitable, un conseil avisé, ou ces plaies mortelles qui maintenant chantent qu’il est vivant ! Lui-même s’avance, pudique, retenu, attardé, pour ainsi dire apatride ; il n’enseigne plus rien, il n’émet que quelques mots, mais plus tendrement, plus doucement qu’il n’a jamais parlé.

Occasion manquée, pensera-t-on. Un ressuscité aurait dû hausser la voix : admirez ! Je vous l’avais bien dit ! et triompher à grand renfort de trompettes et d’éclairs ! Eh bien, non ! Dans sa gloire, il ne cherche pas d’autre façon que celle qu’il avait choisie pour naître, vivre et mourir, comme s’il voulait conserver dans le ciel le fragile statut qu’il avait sur la terre, et s’exposer ainsi à l’éternelle croix.

Les disciples eux-mêmes, naguère si épris de gloire, aspirent à retrouver le Jésus qui avait été leur maître et leur ami. Quand il apparaît portes closes, cela ne semble guère les intéresser. Ils ont besoin de l’homme avant de confesser le Dieu. Quand il montre la trace des clous, qui atteste un esprit libre et exalte un homme toujours debout, au cœur de l’iniquité, alors leur joie explose. Le supplice qui les a dispersés, incrédules, les rassemble dans la foi. Ils commencent enfin à comprendre qui est le Christ.

La religion qui en sortira prendra elle aussi pour emblème l’événement avant-dernier, qui est la croix, et non le dernier qui est la résurrection. Si par la suite elle a historiquement trahi, ce n’est pas la faute du clair évangile qui, de la nuit de Noël à l’aube de Pâques, livre inlassablement la grande leçon Dieu est amour. Quelle que soit aujourd’hui la victoire qu’il remporte sur l’aliénation invincible de la mort, l’amour ne renonce pas à être ce qu’il est, une éternelle offrande de soi, non une ostentation de la force.

La puissance, qui est d’ordre politique, se démontre toujours contre quelqu’un : elle abat ses adversaires, installe ses appareils, s’entoure de ses canons et de ses flatteurs. L’amour n’est que le souci des autres, qu’il veut libre, fraternels, heureux. La force qu’il se reconnaît se mesure à la liberté qu’il répand, à la solidarité qu’il noue, à l’espérance qu’il inspire, bref, à ce qu’il donne et non à ce qu’il amasse, et plus encore à la manière cachée dont il présente ce dont il comble.

Aussi la majesté de Dieu passe-t-elle par l’humilité de l’homme. Le calvaire, dans le jour radieux de Pâques, n’est pas oublié. La seule élévation que le Christ connaît est celle de son supplice, et sa présence transfigurée se livre dans le signe antérieur de l’ignominie.

Et au moment où il paraît le plus glorieux, disant : « Tout pouvoir m’a été donné », il s’efface, laissant ce pouvoir aux autres. Elle vaut pour lui, la consigne qu’il transmet à ses disciples : « Les grands de ce monde se font appeler bienfaiteurs. Vous, il n’en sera pas de même… » Il paie d’exemple, mendiant les miettes d’un amour d’abord refusé. Le plus grand est ici le plus petit et le restera toujours.

Le Christ des derniers jours en effet s’absorbe plus que jamais dans le service des autres. Ce qu’il dit, fait ou subit est pour eux. Ici, il vaque à de petites tâches, attentif à leur corps physique, qu’il nourrit. Là il retrempe leur foi, l’enracinant dans la double référence, l’Ecriture et sa propre personne. Ailleurs, il prononce les mots du pardon et de la paix.

Mais c’est avec une incertitude poignante que lui, l’amour même, interroge leur amour. Celui que nul désormais ne peut plus atteindre semble aujourd’hui plus vulnérable qu’il ne l’était dans la cour de Caïphe. Jamais auparavant, on ne l’a vu, comme ce matin, supplier un disciple et si ostensiblement en dépendre, comme si ce qu’il demandait avait le prix de son éternité : Pierre, m’aimes-tu ?

Tout est dit, dans ce tremblement : sans l’amour, le pouvoir qu’il donne à ses disciples retournerait à la force qui déshonore les César, parce qu’elle sèmerait une vanité de plus chez les maîtres, et une nouvelle servitude chez ceux qu’elle gouvernerait.

Ainsi sont faits les évangiles : tous ceux qui aiment le Christ, comme ses disciples jetés à genoux dans le texte de Matthieu, ou la Magdaléenne, chez Jean, qui étreint ses pieds, il les renvoie d’un geste large et fort, le même qui congédiait ceux qu’il avait délié de leur douleur : « allez votre chemin ».

Pierre qui trois fois répond : « Je t’aime, Seigneur », s’entend trois fois renvoyé dans le vaste monde : «  Paix mes brebis ». L’aimer lui, c’est aimer tous les autres.

En cet élan, en ce risque, en ce qu’il appelait sa faiblesse, saint Paul avait raison de saluer le grand mystère.

France Quéré, Le Monde, samedi 2 avril 1988

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